Lost Highway, cauchemar psychomoteur

Plus de 20 ans après sa sortie, Lost Highway préserve sa magie et son mystère. © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Lost Highway, le classique halluciné et schizophrène de David Lynch, ressort, objet d’une exemplaire restauration numérique. De l’inconscient au cinéma…

Le générique avale le bitume dans la nuit, les bandes jaunes défilant au son de I’m deranged de David Bowie et Brian Eno, pour plonger le spectateur dans une autre dimension. Il en ressortira, incrédule, 134 minutes plus tard, la boucle nocturne se repliant dans le reflet des gyrophares et l’écho des sirènes de police lancées à toute allure aux trousses de Bill Pullman/Fred Madison, image séminale ponctuant un film essentiel – Lost Highway, ou quand le cinéma de David Lynch s’engagea pour un voyage sans retour dans les allées fécondes de l’abstraction et de l’inconscient.

Dick Laurent Is Dead

À un peu plus de 20 ans de distance (Lost Highway était sorti sur les écrans belges en janvier 1997), et alors qu’il ressort, restauré, en différents formats (salle, VOD, Blu-ray, DVD), c’est peu dire que le film a préservé tant sa magie que son mystère, défiant le rationnel pour atteindre au rêve, ou plutôt au cauchemar -psychomoteur comme il se doit. À la rubrique synopsis, le dossier de presse de l’époque indiquait: « Lost Highway est l’histoire d’un assassin schizophrène racontée du point de vue des différentes personnalités de l’assassin lui-même. Cette perspective inhabituelle se révèle peu à peu à mesure que l’intrigue progresse. Le premier niveau de l’histoire met en scène un mari jaloux qui assassine sa femme. Plus tard apparaissent les égarements de son esprit: rage, peur, tristesse, humiliation. Il est littéralement écartelé par un changement de personnalité. Ce qui démontre la faculté de l’esprit humain à se jouer des tours… »

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Celui pris par l’histoire à l’écran n’est guère moins crypté où, à un message énigmatique – « Dick Laurent Is Dead »– délivré anonymement au parlophone de leur villa, succède le dépôt sur leur perron d’une vidéo violant l’intimité de Madison et son épouse, Renée (Patricia Arquette). Un processus se répétant jusqu’à l’orgie sanglante et confuse qui va précipiter le premier au bagne, condamné à mort pour le meurtre d’icelle, mais bientôt relâché parce que s’étant (littéralement) métamorphosé en Pete Dayton (Balthazar Getty), ouvrier dans un garage et protégé du boss de la pègre locale, Mr. Eddy (Robert Loggia). S’esquissant par flashs successifs, le lien entre Dayton et Madison va se préciser lorsqu’apparaît la maîtresse du caïd, à savoir Alice Wakefield, ou plutôt Patricia Arquette, ayant troqué le noir de sa chevelure pour le blond platine. Une femme fatale pour laquelle le mécanicien serait prêt à embarquer pour l’enfer, justement situé dans la Vallée de la Mort…

Une boucle dérangée

Lynch décrivait Lost Highway comme « Un film noir d’horreur du XXIe siècle. Une enquête dérangeante sur des crises d’identité parallèles. Un monde où le temps est dangereusement hors de contrôle. Un terrifiant voyage sur la route perdue… » Avec son articulation en miroir, le film réussit comme peu d’autres à égarer celui qui s’y risque, happé dans un jeu trouble de détours, d’échos et de faux-semblants. Soit, saturé d’un lourd parfum de sexe, de sang, de violence et de folie, un voyage sensuel dans un inconscient torturé que l’auteur manipulerait à loisir, dévidant ses obsessions récurrentes en même temps que les références à son oeuvre (et notamment à Twin Peaks). Et allant jusqu’à vampiriser un Bill Pullman généralement transparent pour en faire le clone opaque de son acteur fétiche, Kyle MacLachlan. Manière de poser un environnement familier (voir encore un Mystery Man emblématique de l’imaginaire du cinéaste, parmi d’autres particularismes) pour mieux l’écarteler en quelque sorte, la boucle dérangée de Lost Highway emmenant son cinéma dans un ailleurs aussi séduisant que stupéfiant, en une expérience réinventant les frontières de la perception, processus qui connaîtra son aboutissement quelques années plus tard dans Mulholland Drive.

Cerise sur le gâteau (ou plutôt la tarte aux cerises, s’agissant de Lynch), la restauration numérique est exemplaire, qui rend à Lost Highway son cachet vénéneux de même que son ensorcelante beauté, l’esthétique du cinéaste originaire de Missoula étant ici à son zénith. Ne reste donc qu’à espérer que Mulholland Drive, chef-d’oeuvre absolu et sans doute le plus grand film du XXIe siècle à ce jour, ne bénéficie à son tour de semblable traitement…

Lost Highway. De David Lynch. Avec Bill Pullman, Patricia Arquette, Balthazar Getty. 2h14. Dist: Cinéart. ****(*)

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