Les merveilleux adieux d’Harry Dean Stanton

Avant de passer définitivement la porte de sortie à 91 ans, Harry Dean Stanton fait des merveilles en cow-boy rebelle dans Lucky. © DR
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

L’acteur tire sa révérence dans le drôle et très émouvant Lucky. Portrait.

Son ami Wim Wenders, qui l’a élevé dans la lumière d’une Palme d’or cannoise avec Paris, Texas en 1984, lui avait très certainement parlé de son cinéaste préféré, le Japonais Yasujiro Ozu. Et de sa sépulture située à Kamakura, charmante ville côtière au sud de Tokyo. Toute proche du temple d’Engaku-ji, elle porte, gravé sur la pierre tombale, le caractère chinois « mu ». Lequel peut se traduire par « vide », « néant », « rien ». Harry Dean Stanton avait lui-même l’habitude de dire que rien n’est important, même nous humains, qui ne faisons que passer, l’espace d’une vie brève sans prolongation dans quelque au-delà paradisiaque ou non. L’acteur ne croyait pas en Dieu et avait chevillé en lui le sens de l’éphémère. Dans Lucky (lire notre critique), son ultime film, son personnage de vieux cow-boy tranquillement rebelle entre chaque matin dans le snack tenu par son ami Joe (joué par Barry Shabaka Henley) en lui lançant en guise de salut: « Tu n’es rien. » À quoi Joe répond, tout aussi rituellement: « Tu n’es rien non plus. » Et les deux de se sourire… L’ombre d’Ozu passe le long du comptoir où Lucky fait ses mots croisés quotidiens tout en buvant le café bouillant préparé par Joe. Harry Dean Stanton sait, au moment de le tourner, qu’il n’y aura plus d’autre film après celui que réalise son pote (et aussi comédien) John Carroll Lynch. Il l’a choisi pour ses adieux à l’écran et au monde. Lucky est sorti aux États-Unis le 1er octobre de l’année dernière. Harry Dean était décédé le 15 septembre, à l’âge de 91 ans…

Western

Cela faisait une bonne soixantaine d’années que le natif de West Irvine, Kentucky, menait une carrière d’interprète hors norme, aimé plus qu’admiré, reconnu par ses pairs mais globalement méconnu malgré quelques rôles entrés dans l’Histoire du 7e art. Tout avait commencé en 1954 avec une apparition dans un épisode de la série télévisée Inner Sanctum, placée sous le signe du mystère et de l’horreur. À ses débuts, le comédien apparaissait aux génériques sous Harry Stanton, puis Dean Stanton. Les deux prénoms ne seront associés qu’à l’aube des seventies, pour le road-movie culte de Monte Hellman Two-Lane Blacktop, où il incarne un auto-stoppeur… L’ordinaire de Stanton durant ses premières années dans le métier est fait de quelques films de cinéma mais surtout d’assez nombreuses séries dont l’une en particulier fait beaucoup parler d’elle. Rawhide (1959-1965) joue la carte du western classique et assez réaliste. Un jeune acteur s’y révèle. Il s’appelle Clint Eastwood et sera bientôt lancé vers la gloire par Sergio Leone et son western à l’italienne, lyrique et violent. Au fil des saisons, Harry Dean Stanton reste à bord mais… change de personnage. Il en ira de même dans une autre série à succès située dans l’Ouest mythique, Gunsmoke, où il figure de 1962 à 1968.

La fin de la décennie et le début de la suivante marquent un grand chambardement et l’avènement de jeunes réalisateurs ambitieux, épris d’indépendance et marqués par la contre-culture. Stanton est déjà largement quadragénaire quand certains d’entre eux l’embarquent dans leurs très excitantes aventures. Sam Peckinpah (Pat Garrett and Billy the Kid) est son contemporain mais John Milius (Dillinger) n’a que 29 ans, et Francis Coppola (The Godfather: Part II) en a 35. Harry Dean tourne aussi avec un autre grand, Arthur Penn, pour The Missouri Breaks (1976). Et dans l’unique long métrage de fiction d’un certain Bob Dylan, Renaldo and Clara (1978). Toujours des seconds rôles, mais qu’importe! Ne considère-t-il pas que  » tout acteur est un acteur de composition« ? Et n’est-il pas, définitivement, imperméable aux rêves de grandeur, de gloire et de richesse? C’est avec un sourire timide, presque d’excuse, qu’il fera face aux ovations du public et à la folie médiatique d’un Cannes bouleversé par son interprétation dans Paris, Texas

Moments de grâce

Il s’était mis en évidence (et avait progressé au générique) du terrifiant Alien de Ridley Scott (1979) et du musical The Rose avec Bette Middler (la même année), puis de La Mort en direct de Bertrand Tavernier (1983). John Carpenter l’avait choisi deux fois (Escape from New York puis Christine) et Coppola rappelé pour One from the Heart. Mais Wenders lui offrait enfin le rôle principal d’un grand film, celui de Travis Henderson, « drifter » solitaire tentant de se reconnecter à la société, à sa famille. Un autre Européen, le cinéaste punk et anglais Alex Cox, le plaçait lui aussi en tête d’affiche de Repo Man. La face de sa carrière n’en aura pas été drastiquement modifiée pour autant. Stanton fut formidable chez Robert Altman (Fool for Love, 1985) et tint un double rôle dans The Last Temptation of Christ (1988) de Scorsese. Il entra ensuite dans l’oeuvre singulière de David Lynch(1), d’abord pour Wild at Heart (1990) puis avec Twin Peaks: Fire Walk with Me (1992). Mais plus de rôle vedette dans des films importants. De belles rencontres, comme celle de Terry Gilliam avec le délirant Fear and Loathing in Las Vegas (1998) ou celle de Sean Penn pour le déchirant The Pledge en 2001. Et des moments de grâce comme la scène finale de The Straight Story (1999), un autre David Lynch. Moins actif à mesure que l’âge lui cherchait des faiblesses, Harry Dean fut encore « l’homme au chapeau » du très trash Seven Psychopaths de Martin McDonagh, voici cinq ans. Et l’année dernière, il s’illustra dans la nouvelle saison de Twin Peaks. Depuis 2011, un festival lui est consacré dans son Kentucky natal. Il y aura manqué de quelques jours la projection de Lucky, le 28 septembre dernier. Mais ce n’est rien.

(1) Un Lynch qui incarne avec bonheur un des amis de Lucky dans le film des adieux de Stanton.

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