Les archives du film jamais réalisé de Kubrick sur Napoléon

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Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

En 1967, Stanley Kubrick se lance dans un projet de film sur Napoléon. Gigantesque, l’entreprise n’aboutira pas. Un somptueux ouvrage rassemble les archives du plus grand film jamais tourné

Des innombrables projets de films jamais aboutis, le Napoléon initié par Stanley Kubrick en 1967 est sans conteste le plus fameux. Eu égard à la personnalité de l’auteur, bien sûr, mais aussi à l’ampleur du sujet transcendant largement la biographie classique, et qui faisait affirmer au réalisateur de 2001: A Space Odyssey que cette épopée serait  » le plus grand film qui ait jamais été fait » .

Les archives du film jamais réalisé de Kubrick sur Napoléon

On sait ce qu’il en advint, Kubrick étant amené à renoncer après des années de recherches et de préparation, la MGM, premier bailleur de fonds pressenti, puis la United Artists se retirant d’une entreprise pharaonique jugée beaucoup trop risquée (pour donner une idée du gigantisme de la production, le réalisateur envisageait d’utiliser 50 000 figurants pour les scènes de bataille), frilosité accentuée par le flop retentissant du Waterloo de Sergueï Bondartchouk en 1970.

Les archives du film jamais réalisé de Kubrick sur Napoléon

Une approche « kubrickienne »

Les archives du film jamais réalisé de Kubrick sur Napoléon

Le cinéaste, dont le perfectionnisme n’est plus à souligner, avait toutefois accumulé une documentation pléthorique afin de préparer son grand-oeuvre: des ouvrages par centaines, des images par dizaines de milliers, données dont l’historienne du cinéma Eva-Maria Angel considère qu' » il n’est pas impossible qu’elles soient le plus grand corpus d’archives privées sur Napoléon« . Elles sont, aux côtés des documents de préparation du tournage, au coeur du somptueux ouvrage édité aujourd’hui par Taschen sous la direction d’Alison Castle, et qui reprend, en un volume unique, les dix livres composant l’édition collector parue en 2009.  » Plutôt que de tenter de donner aux lecteurs la vision la plus claire possible de ce à quoi le film aurait ressemblé (une idée irréaliste, voire blasphématoire), j’ai décidé que l’approche la plus « kubrickienne » consisterait à simplement partager autant de documents que possible afin que le lecteur puisse tirer ses propres conclusions » , explique Castle dans sa préface.

Les archives du film jamais réalisé de Kubrick sur Napoléon

La plongée dans ces archives se révèle résolument passionnante, qui permet de cerner les intentions du cinéaste – » la vision de Kubrick aurait embrassé un vaste pan d’Histoire, des aventures militaires audacieuses et la puissance de l’ambition d’un seul homme, combinées à un portrait intime de la vanité, au sommet de son pouvoir et de sa capacité de destruction« , écrit Jan Harlan, son beau-frère et producteur exécutif-, mais aussi d’en apprécier la méthode de travail.

Les archives du film jamais réalisé de Kubrick sur Napoléon

Si, comme l’écrit encore Eva-Maria Angel, il fallut à Kubrick conquérir Napoléon au prix d’une véritable épreuve de force, le réalisateur avait veillé à ne rien laisser au hasard. Les documents rassemblés reflètent la rigueur et la méticulosité de sa préparation, attestée par ses conversations avec l’historien Felix Markham, spécialiste de l’Histoire napoléonienne engagé comme consultant, mais aussi par un dossier iconographique monumental sur l’imagerie de l’époque. D’autres archives témoignent de l’avancement du projet: documents de production, carnets de notes, estimations budgétaires, photos des lieux de tournage potentiels, livret sur les costumes -s’il entendait vêtir les personnages principaux de tenues fidèles à la réalité historique, Kubrick avait aussi imaginé d’habiller les milliers de figurants de vêtements en papier pouvant faire illusion-, références, correspondance (avec Audrey Hepburn, notamment, qui refusa le rôle de Joséphine), et jusqu’à la version « définitive » du scénario, établie le 29 septembre 1969. À défaut du film, un ouvrage… impérial.

Le Napoléon de Stanley Kubrick: le plus grand film jamais tourné. Dirigé par Alison Castle. Éditions Taschen. 832 pages.

Les films jamais éclos

Dune (Alejandro Jodorowsky)

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Auteur culte d’El Topo et La Montagne sacrée, Alejandro Jodorowsky se lance, en 1974, dans l’adaptation de Dune, de Frank Herbert. Rien n’est trop beau pour le réalisateur chilien qui ambitionne de changer la face du cinéma et s’entoure de Moebius et H.R. Giger afin de donner corps à ses visions. Le film s’annonçait extraordinaire, Hollywood refusera pourtant de le suivre, David Lynch réalisant, dix ans plus tard, une version poussive du roman.

Megalopolis (Francis Ford Coppola)

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Dès le milieu des années 80, Francis Ford Coppola s’attèle à Megalopolis, vaste fresque autour d’un architecte mégalo visant la création d’une cité utopique dans un New York futuriste. Le réalisateur signe quelques films de studio pour en garantir le financement, tourne de premiers essais et s’apprête à réunir un casting monstrueux lorsque les attentats du 11/09 mettent un terme prématuré au projet, devenu trop sensible.

L’Enfer (Henri-Georges Clouzot)

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En 1964, Henri-Georges Clouzot entame le tournage de L’Enfer, avec Romy Schneider et Serge Reggiani dans les rôles principaux. Disposant d’un budget illimité, le réalisateur entend révolutionner le cinéma, ambition toutefois mise à mal par la maladie. Trente ans plus tard, Claude Chabrol réalisera sa version du film avant qu’en 2009, Serge Bromberg et Ruxandra Medrea n’exhument, pour un documentaire, les scènes déjà filmées par Clouzot -elles sont sublimes…

À la recherche du temps perdu (Luchino Visconti)

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Entre l’oeuvre de Marcel Proust et celle de Luchino Visconti, il y a d’évidentes affinités, et le réalisateur transalpin a de tout temps caressé l’espoir d’adapter la Recherche. En 1971, le projet prend forme, avec l’écriture du scénario pour un film d’une durée estimée de quatre heures, des repérages et un casting, où l’on retrouve notamment Alain Delon dans le rôle du narrateur. La production gagne en ampleur et, faute d’un budget suffisant, Visconti se lance, en 1972, dans Ludwig, avant de renoncer.

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