Critique | Cinéma

Léa Mysius (Les Cinq Diables) : « Je me sens appartenir à une génération qui veut faire bouger les lignes du cinéma français »

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Avec Les Cinq Diables, Léa Mysius avait aussi à cœur de mettre en scène des personnages féminins et/ou issus de l’immigration agissants et puissants. “Il faut changer le système des représentations dans le cinéma français”, assène-t-elle. © National
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Titre - Les Cinq Diables

Genre - Drame, Fantastique

Réalisateur-trice - Léa Mysius

Casting - Adèle Exarchopoulos, Sally Dramé, Swala Emati

Durée - 1h35

Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Grande promesse du cinéma français, Léa Mysius déçoit quelque peu avec un deuxième long métrage pyromane qui déborde d’idées singulières mais peine à leur donner vie.

Elle était assurément l’une des brûlantes révélations de Cannes 2017, où elle présentait son très prometteur premier long, Ava, à la Semaine de la Critique tout en co-signant le scénario des Fantômes d’Ismaël d’Arnaud Desplechin, qui faisait l’ouverture du festival. Dans la foulée, Léa Mysius n’a cessé d’alimenter tous les espoirs, co-signant notamment encore les scénarios de L’Adieu à la nuit d’André Téchiné et des Olympiades de Jacques Audiard. En mai dernier, tous les regards étaient dès lors naturellement tournés vers Les Cinq Diables, son deuxième long métrage en tant que réalisatrice, présenté à la Quinzaine sur la Croisette. Drame fantastique qui joue avec l’eau et le feu, le visible et l’invisible, le film se construit autour d’une étrange petite fille métisse et solitaire à l’odorat hyper développé, Vicky (Sally Dramé). Cette dernière est capable d’identifier et de reproduire toutes les odeurs de son choix, qu’elle collectionne dans des bocaux étiquetés avec soin. Comme celle de sa mère (Adèle Exarchopoulos), par exemple, à qui elle voue un amour dévorant. Jusqu’au jour où la jeune sœur du père de Vicky fait irruption dans leur vie, l’odeur de celle-ci transportant la gamine dans des souvenirs obscurs qui l’invitent à percer les mystérieux secrets de sa famille et de son existence…

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Magie noire

Le bébé et le film vont sortir plus ou moins en même temps”, sourit Léa Mysius, une main posée sur son ventre déjà bien rond, alors qu’on la retrouve fin mai sur la Croisette. Et la cinéaste d’embrayer sur la genèse très personnelle de son nouveau rejeton filmique… “Ce nouveau long métrage est né de ma passion pour les odeurs. Depuis toute petite, je concocte en effet des pots avec des choses parfois horribles (sourire). Et d’autres avec des choses plus sympas. Aujourd’hui encore, j’adore essayer de reconnaître des parfums. Ayant grandi à la campagne, j’ai vraiment appris à ouvrir mes narines. Au contraire de certains de mes amis, qui ont grandi à Paris et ont dû apprendre à les fermer, à cause de la puanteur ambiante. J’avais envie de travailler là-dessus mais je ne voulais pas du tout faire un film sur l’industrie de la parfumerie. Je voulais quelque chose de plus primitif, de plus sensoriel. De là est née l’idée de cette petite fille dotée d’un pouvoir magique en lien avec les odeurs, qui va lui permettre de lever le voile sur l’énigme de ses origines qui pèse sur ses épaules et celles de son entourage.

« Pendant des années, on s’est quand même vraiment interdit le genre, alors qu’il autorise énormément de possibilités.« 

Léa Mysius
© National

Construit à la manière d’un nébuleux puzzle empreint de magie noire, le film tente des choses assez singulières et déborde d’idées de cinéma mais peine hélas parfois à leur donner vie. Inscrit au cœur de paysages montagneux qui réveillent de vieux mythes enfouis, il tend vers l’univers des contes et lorgne avec insistance le cinéma de genre anglo-saxon. “Oui, c’est indéniable, j’ai été très influencée pour ce film par le cinéma de genre américain. Dès l’ouverture, je cite d’ailleurs The Shining avec un plan aérien filmé au drone. Les longs métrages de Jordan Peele m’ont également beaucoup inspirée. Son film Us tout particulièrement, avec sa dimension familiale. Et puis Twin Peaks, évidemment, ça saute aux yeux je crois. À vrai dire, je me sens appartenir à une génération qui a un peu envie de faire bouger les lignes du cinéma français et de sortir notamment d’une façon de faire des films qui est toujours très portée sur les dialogues. Pendant des années, on s’est quand même vraiment interdit le genre, alors qu’il autorise énormément de possibilités. Moi ce qui m’intéresse avec le fantastique, c’est de créer de nouveaux systèmes de croyance, de réenchanter le monde et de plonger à fond dans le romanesque, dans le ludique. En ça, je sens une vraie libération aujourd’hui, où le cinéma est davantage synonyme de plaisir pour les jeunes réalisateurs français. C’est sans doute aussi en partie dû à l’arrivée massive, chez nous, de séries fantastiques, qui sont venues désinhiber les auteurs. J’espère en tout cas que les choses vont continuer à évoluer dans ce sens.

Si elle co-signe toujours des scénarios pour d’autres (ainsi encore de Stars at Noon de Claire Denis, qui sortira l’an prochain), Léa Mysius co-écrit pour sa part ses propres films avec Paul Guilhaume, son directeur photo, qui est aussi son compagnon de vie. “Ce que je trouve très intéressant dans notre collaboration, c’est que le scénario et l’image se construisent en même temps. On est d’emblée, en effet, dans une écriture très visuelle, avec déjà des éléments de découpage par exemple. La dimension dramaturgique et l’univers graphique du film sont ainsi indissociables. S’agissant des Cinq diables, l’idée que Vicky se trouve véritablement incarnée dans des souvenirs qui ne sont pas les siens, qu’elle marche et qu’on la suive en courte focale à l’intérieur de ces images du passé, c’est quelque chose qu’on a trouvé dès l’écriture avec Paul. On voulait vraiment que la petite puisse se déplacer dans ces souvenirs comme dans un jeu vidéo. À New York, j’ai assisté un jour à une expérience théâtrale concoctée par le collectif Sleep No More où les acteurs jouaient tout autour du public dans un endroit immense. En tant que spectateurs, on portait tous un masque et on pouvait se balader librement dans l’espace. Et les acteurs faisaient comme si on était complètement invisibles. Or ils étaient juste à nos côtés. Ça créait quelque chose de vraiment très étrange. Et puis parfois, soudainement, ils nous intégraient dans la représentation et ça créait un choc. Ce choc-là, on a aussi tenté de le reproduire à l’écran.

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