Critique | Cinéma

Le procès Goldman: l’ombre d’un doute

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Cédric Kahn: “J’ai choisi Arieh Worthalter sur son énergie, sa qualité de jeu, l’incarnation. Il pouvait incarner Pierre Goldman parce qu’il avait en même temps son côté très physique et très intellectuel.” © National
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Titre - Le procès Goldman

Genre - Drame

Réalisateur-trice - Cédric Kahn

Casting - Arieh Worthalter, Arthur Harari, Stéphan Guérin-Tillié

Sortie - En salles

Durée - 1h56

Critique - Jean-François Pluijgers

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Dans Le Procès Goldman, Cédric Kahn revient sur une affaire ayant défrayé la chronique judiciaire française dans les années 70 pour en tirer un film résonnant avec le présent.

Le dernier festival de Cannes aura notamment été une affaire de procès. Celui au cœur d’Anatomie d’une chute, la Palme d’or de Justine Triet. Ou celui qui donne son titre au nouveau film de Cédric Kahn, découvert en ouverture de la Quinzaine des Cinéastes, et assurément l’une des propositions les plus fortes que l’on ait pu voir sur la Croisette cette année. Le réalisateur de Roberto Succo et La Prière y revient sur une affaire qui avait défrayé la chronique judiciaire (et politique) française au cœur des années 70. Activiste juif d’extrême gauche basculé dans le banditisme et condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour une série de braquages ayant entraîné la mort de deux personnes, Pierre Goldman avait vu ce jugement annulé par la Cour de la cassation. Avec à la clé un second procès à l’issue forcément incertaine -il restait passible de la peine capitale- s’étant tenu en 1976 devant la Cour d’assises de la Somme.

L’objet, aujourd’hui, d’un drame puissant d’une grande rigueur tant narrative que formelle qui, s’il ne quitte jamais le tribunal, n’en déborde pas moins allègrement du cadre traditionnel du film de prétoire pour embrasser des enjeux plus vastes. À l’image de ceux déjà soulevés à l’époque, Goldman devenant l’icône de la gauche intellectuelle, les Régis Debray ou autre Simone Signoret assistant d’ailleurs à son procès. “C’était un symbole. Mais l’intérêt de cette affaire, c’est aussi qu’il y a beaucoup de mystère et d’ambiguïté, souligne le cinéaste. Mes parents sont des intellectuels de gauche. Enfant, j’avais entendu parler de Pierre Goldman, et je voyais son livre, Souvenirs obscurs d’un Juif polonais né en France, dans leur bibliothèque. Je connaissais donc son histoire, mais de manière un peu vague. Ce n’est qu’une fois adulte, quand j’ai lu son livre, qui est magnifique, que je suis rentré dans son histoire par sa parole à lui, et sa vérité.

Les droits de l’innocent

La parole, elle est au cœur du film, comme elle le fut lors du procès, que Cédric Kahn et sa coscénariste, Nathalie Hertzberg, ont reconstitué à partir des articles de presse de l’époque. “Ce qui est compliqué dans l’affaire Goldman comme dans beaucoup d’autres, c’est qu’il n’y a pas de preuves. Du coup, il n’y a plus que de la parole, de la conviction, du discours.” Un art oratoire dans lequel Goldman excelle, s’avérant aussi charismatique qu’insaisissable, individu ayant le verbe volontiers provocateur -“Goldman est très punk, il est dans la transgression, il déstabilise tout le temps”. Situation qui n’ira pas sans provoquer des frictions avec son avocat, Georges Kiejman (Arthur Harari), soucieux d’arrondir les angles et de ne pas le voir s’aliéner les jurés. Souci dont son client n’a cure, qui clame haut et fort Je suis innocent, cela me donne tous les droits!

Cédric Kahn
Cédric Kahn © getty

Jusqu’à donner, le cas échéant, dans la généralisation abusive, comme lorsqu’il décrète: “La police est raciste, absolument toute la police”. Une tirade parmi d’autres ne manquant pas de résonner avec l’actualité. Cédric Kahn: “Je suis d’accord avec Kiejman, qui dit que certains policiers peuvent être racistes dans certaines conditions, mais pas l’ensemble du corps policier bien sûr. La position de Goldman est très radicale. De toute façon, l’époque n’a pas inventé le racisme, il est vieux comme le monde.” Quant à l’état du racisme et de l’antisémitisme dans la France d’aujourd’hui? “C’est une question brûlante, sourit le cinéaste. Je pense qu’il y a un racisme profond dans la société française, mais ça vaut aussi pour le monde entier, non? Il y a, lorsqu’on est en difficulté, ce réflexe d’exclusion de l’autre, de l’inconnu. Il faut beaucoup d’éducation et de civilisation pour lutter contre le racisme. L’antisémitisme, c’est plus subtil et plus compliqué, parce qu’il en existe plusieurs sortes: un antisémitisme nouveau qui est celui des gens qui s’identifient au conflit israélo-arabe, un antisémitisme historique et puis, aussi, un antisémitisme associé à une haine des élites, des gens qui réussissent et ont de l’argent. C’est donc plus compliqué, mais je ne trouve pas l’antisémitisme très fort en France: je ne trouve pas que c’est difficile d’être Juif en France. C’est plus difficile d’être musulman. Ou pauvre, tout simplement.

Une autre question brûlante qu’aborde le film, c’est celle de la justice et de la recherche de vérité. “Mon sujet, c’est l’exercice de la justice. J’aimais faire tourner la vérité: qu’à chaque parole, le point de vue et la vérité changent de camp. Le spectateur doit être comme un juré, et doit se poser toutes ces questions au fur et à mesure du débat. C’est ça qui crée la tension.” Obtenue aussi à l’aide d’une mise en scène immersive: “On a tourné sous une verrière, et on laissait la lumière rentrer comme elle le voulait. Je tenais à ce que ça soit très vivant, et qu’on ait l’impression d’être à un vrai procès. Les réactions du public étaient spontanées, ils ne connaissaient pas le scénario. Ils suivaient les débats et réagissaient vraiment en fonction de l’énergie des acteurs et de l’intensité des échanges. Les acteurs jouaient autant pour le public que pour la caméra, c’était une expérience entre le théâtre et le cinéma. Rien qu’aux réactions du public, j’entendais si les acteurs étaient bons.” Précaution inutile dans le chef d’Arieh Worthalter, proprement stupéfiant sous les traits de Pierre Goldman: “Je l’ai choisi sur son énergie, sa qualité de jeu, l’incarnation. Il pouvait incarner Pierre Goldman parce qu’il avait en même temps son côté très physique et très intellectuel.” Sans l’ombre d’un doute, pour le coup.

Le Procès Goldman ****

Saint Omer d’Alice Diop, Anatomie d’un couple de Justine Triet, Le Procès Goldman de Cédric Kahn: par une curieuse coïncidence, trois des œuvres les plus marquantes produites par le cinéma français ces derniers mois sont des variations sur le film de procès. Et constituent autant de façons de questionner la société, tout en réfléchissant le médium cinématographique. À cet effet, le réalisateur de Vie sauvage et La Prière a choisi de s’intéresser à une affaire ayant défrayé la chronique judiciaire française au cours des années 70, l’affaire Pierre Goldman, du nom d’un activiste d’extrême gauche, condamné en première instance à la réclusion criminelle à perpétuité pour quatre braquages à main armée dont l’un devait entraîner la mort de deux personnes. Et qui, l’arrêt ayant été cassé par la Cour de cassation, allait faire l’objet d’un second procès devant la Cour d’assises d’Amiens en avril 1976, moment où s’ouvre le film.

Irréductible complexité

Personnage fascinant que Pierre Goldman (Arieh Worthalter), fils d’immigrés juifs polonais héros de la Résistance communiste en France. Un individu hanté par l’histoire de ses parents et la question de la judéité -“Je veux être un Juif guerrier”, proclamera-t-il notamment. D’une irréductible complexité, qui le verra passer, sans plus d’états d’âme, de l’idéal militant au banditisme. Mais aussi, à la faveur d’un procès où défile l’intelligentsia de gauche, de Régis Debray à Simone Signoret, témoigner d’un incontestable charisme ne virant cependant jamais à la séduction. À quoi, tout en ne cessant de clamer son innocence, il préfère la provocation infusée, à l’occasion, de traits bien sentis -du genre “Moi aussi, je suis un Nègre. Un Juif et un Noir, c’est exactement la même chose”. Quitte à susciter l’incompréhension de son avocat, Georges Kiejman (Arthur Harari), craignant que ses débordements verbaux ne lui aliènent les jurés, alors qu’il reste passible de la peine capitale.

Pour reconstituer ce procès, Cédric Kahn et sa scénariste Nathalie Hertzberg se sont basés sur les innombrables articles de journaux parus à l’époque. Ils en ont tiré un film ajoutant à une rigueur formelle confinant à l’austérité un réalisme saisissant. Et d’immerger le spectateur dans un huis clos tendu et étouffant, pour mieux ballotter ses éventuelles certitudes au gré des prises de parole. Si la personnalité paradoxale de Pierre Goldman domine les débats -Arieh Worthalter est tout simplement génial dans un rôle auquel il confère une intensité sidérante et une force de conviction rare-, Le Procès Goldman dépasse forcément le cadre de cette seule affaire pour soulever des enjeux politiques et sociaux rimant avec le présent. Fracture de la société, racisme policier en question, rappel de la souveraine présomption d’innocence et de la nécessité d’une justice sereine à l’heure où l’immédiateté tendrait à dicter sa loi: à 50 ans de distance, c’est comme si cette affaire nous parlait déjà d’aujourd’hui. Magistral.

De Cédric Kahn. Avec Arieh Worthalter, Arthur Harari, Stéphan Guérin-Tillié. 1 h 56. Sortie: 04/10.

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