« La Quietud », secrets de famille

Quand Pablo Trapero exploite la ressemblance troublante entre Bérénice Bejo et Martina Gusman...
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Avec La Quietud, le cinéaste argentin Pablo Trapero signe le portrait sinueux et sensuel d’une famille dysfonctionnelle

Lire également la critique du film « La Quietud : un drame intime sensuel et sinueux »

Entamé en 1999 par Mundo Grua, prix de la Critique à la Mostra de Venise, le parcours de Pablo Trapero l’a vu s’imposer rapidement comme l’un des fers de lance de la nouvelle vague du cinéma argentin, qui devait révéler, au tournant des années 2000, les Lucrecia Martel, Daniel Burman ou autre Diego Lerman. Et le cinéaste originaire de San Justo de bientôt signer des oeuvres aussi marquantes que Leonera, drame carcéral féminin présenté en compétition à Cannes, ou Carancho, retraçant, tout en noirceur, les petits trafics d’un avocat spécialisé dans les accidents de la circulation, avant de faire tourner… Jérémie Renier dans Elefante blanco.

Des soeurs fusionnelles

Comme Familia rodante ou El Clan avant lui, La Quietud , son neuvième long métrage, met en scène une famille dysfonctionnelle. « La famille au sens large est le premier défi qui se présente à nous en termes de socialisation, relève l’auteur-réalisateur. Nous rencontrons nos parents avant quiconque, et s’il se trouve que nous n’en avons pas, cette absence nous façonne également. Nous sommes conditionnés par notre famille, elle nous forme de diverses manières: quand l’on a des frères ou des soeurs, il nous faut vivre avec eux, alors que nous pouvons quitter nos condisciples de l’école une fois les cours terminés. On choisit ses amis, mais on ne choisit pas sa famille, et ses membres, qu’on le veuille ou non, la composeront à jamais. C’est une matrice propice au drame, d’où mon intérêt. » Appartenant à la haute société argentine, celle de La Quietud évolue suivant une dynamique singulière, dont la relation aussi trouble que fusionnelle unissant deux soeurs, Mia et Eugenia (Martina Gusman, épouse et muse de Pablo Trapero, et Bérénice Bejo), serait le pivot. « Le film résulte d’un faisceau d’éléments, poursuit le cinéaste. Avant tout, il y avait le désir de retravailler avec Martina. Notre dernière collaboration remontait à Elefante blanco , et j’apprécie énormément ses qualités de comédienne, l’une des meilleures de sa génération à mes yeux. Je souhaitais aussi mettre en scène un portrait de soeurs. Lorsque The Artist avait été présenté à Cannes, nous avions rencontré Bérénice, et j’avais été frappé par sa ressemblance avec Martina. Je leur avais dit, sous forme de boutade, que je tournerais un jour un film où elles incarneraient des soeurs. Une fois El Clan terminé, je le leur ai donc proposé. S’y ajoute que je voulais montrer la campagne argentine, et composer un tableau de famille complémentaire à celui d’El Clan. « 

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Et de substituer au modèle patriarcal du premier son pendant matriarcal, La Quietud étant avant tout une affaire de femmes, ces deux soeurs aux liens plus ambigus qu’il n’y paraît de prime abord bien sûr, mais aussi une mère (jouée par la légende du cinéma argentin Gabriela Borges) à la présence écrasante, la narration, sinueuse, dévoilant bientôt de lourds secrets de famille. Quelque chose comme le « charme » discret de la bourgeoisie, pour paraphraser le titre d’un film célèbre de Luis Buñuel, l’un des cinéastes dont Trapero reconnaît bien volontiers l’inspiration. « Son cinéma a clairement influencé La Quietud . Je ne me lasse jamais de revoir ses films, avec leur sens de l’absurde et du surréalisme, comme dans L’Ange exterminateur. Lors du tournage, nous avions d’ailleurs baptisé la longue scène de dîner où ils adoptent un comportement bizarre « scène d’extermination ». Je tenais à ce que la tension se teinte d’absurde, qu’il y ait une contradiction entre le drame et l’humour noir. J’ai choisi les chansons qui rythment le film en ce sens, afin qu’elles suscitent de l’empathie mais induisent aussi une certaine distance, et qu’elles ménagent un espace où le spectateur puisse respirer. » Cahier des charges respecté à la lettre, du Rempart de Vanessa Paradis, à Amore completo de Mon Laferte, en passant par People d’Aretha Franklin.

Si le film esquisse ainsi une cartographie intime chahutée, il l’adosse aussi, l’air de rien, au contexte chargé de l’Histoire récente de l’Argentine. « J’ai voulu que ce passé infuse le propos, mais de manière sous-jacente, observe Pablo Trapero. J’ai donc disposé quelques éléments, suffisants pour la compréhension du film. Après, libre à chacun d’aller faire des recherches sur Google pour en savoir plus. Cet angle me permettait notamment d’évoquer l’impact de la dictature sur les civils… », petite et grande histoire se trouvant étroitement imbriquées…

Au passage, La Quietud vient témoigner de la vitalité retrouvée du cinéma latino-américain, vérifiée du Chili au Brésil, de l’Argentine au Mexique, avec les Pablo Larrain, Kleber Mendonça Filho, Damian Szifron, Alfonso Cuaron et beaucoup d’autres encore. « Je ne puis avancer d’explication, mais c’est clair que nous connaissons une période particulièrement faste. Quand j’ai commencé l’école de cinéma, personne n’aurait osé parier sur un moment comme celui-ci. Nous en parlions avec Alfonso Cuaron: nous essayions de tourner des films juste pour le plaisir. Et maintenant, ces films voyagent un peu partout, et incitent d’autres gens à en faire. Peut-être cela tient-il à l’amour que nous portons au cinéma: je me considère avant tout comme spectateur, c’est de là que je viens. J’ai commencé à voir des films enfant, j’ai continué ado, puis à l’école de cinéma, et encore maintenant. Ces réalisateurs aiment le cinéma de tout leur être. Avoir ce lien physique pour ainsi dire nous aide peut-être à tourner des films qui parlent au public… »

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