Critique | Cinéma

La Bête: un film sur la peur d’aimer

© Carole Bethuel

Titre - Le Bête

Réalisateur-trice - De Bertrand Bonello

Casting - Avec Léa Seydoux, George MacKay, Guslagie Malanda.

Durée - 2 h 23

Bertrand Bonello livre un film-somme aussi fascinant qu’effrayant sur la peur d’aimer, cauchemardant une humanité libérée de ses affects.

Dans un salon parisien du début du XXe siècle, dans une villa de verre californienne du début du XXIe, dans les rues désertées d’une cité anonyme en 2044, Gabrielle et Louis se croisent et se décroisent, s’observent et se ressentent, s’inquiètent et se repoussent, surplombés par l’étrange sentiment d’être promis à un destin tragique. Pianiste mariée à un fabricant de poupées, la Gabrielle de 1910 n’est pas libre de vivre son amour. Actrice sans rôle en 2014, elle s’imagine convertir un jeune incel (célibataire involontaire) à la possibilité de l’amour. En 2044, alors qu’elle fait partie des 67% de chômeurs que compte la société, elle court après le fantôme de son grand amour. C’est de là que part le récit de La Bête, d’une époque où pour accéder à un monde du travail colonisé par les machines, les humains doivent entreprendre une déprogrammation mentale les libérant de leurs affects, en les purgeant des sentiments qui ont traversé leurs vies antérieures. Cobaye volontaire, Gabrielle se révèle récalcitrante, au fil des souvenirs.

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Variation autour d’un même t’aime

La Bête suit l’histoire d’amour contrariée à travers les siècles de Gabrielle et Louis. Une histoire sans cesse entamée, jamais réalisée, comme tétanisée par la possibilité de sa propre fin. Avec une virtuosité scénaristique impressionnante, Bertrand Bonello (L’Apollonide, Saint Laurent, Nocturama) nous projette d’une époque à l’autre, multipliant les interférences et les voyages dans le temps, semant son récit de petits ostinatos, éléments récurrents qui se font écho d’une vie à l’autre. Au souffle romanesque de l’histoire d’amour se substitue peu à peu la peur, alors que la tension monte. Une peur existentielle, dont le principal objet est l’amour. “Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve”, ce pourrait être le mantra du héros de La Bête dans la jungle, la nouvelle de Henry James dont le film est librement inspiré. Ce pourrait être celui de la nouvelle humanité imaginée par le réalisateur dans un monde où la désincarnation est en route. Tout au long du récit se déploient les figures de la catastrophe. Pourtant c’est avant tout un contact humain que Gabrielle s’efforce d’établir, luttant contre l’obsolescence programmée de l’humanité face au monstre d’intelligence artificielle que celle-ci a créé.

Tout à sa splendeur visuelle, La Bête est aussi un film-somme qui inclut la dystopie comme le film d’époque, le mélo comme le thriller. Film aussi sur son interprète, au sommet d’un art montré en train d’advenir, notamment en dévoilant ses coulisses jusqu’au jeu nu sur fond vert, qui finit de convaincre, s’il en était besoin, de l’hyper-actrice qu’est décidément Léa Seydoux.

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