Koen Mortier signe « Skunk », un drame fort et brutal sur l’adolescence maltraitée

Dans le rôle d'un ado maltraité, le jeune Thibaud Dooms (à gauche) est la révélation de Skunk. © CZAR Film & TV Selectie

Dans Skunk, son nouveau long métrage brut et dur, le réalisateur Koen Mortier suit de près Liam, un garçon gravement maltraité qui vit dans un centre fermé.

Koen Mortier ne peut pas en vouloir à ceux qui ne croient pas à Skunk, son quatrième long métrage, parfois poétique mais toujours choquant (lire la critique). Le réalisateur du film culte Ex Drummer et de Un ange, la tragédie autour du cycliste Frank Vandenbroucke, a eu la même réaction lorsqu’il a lu Skunk, le livre de Geert Taghon à la base du film. “Geert Taghon décrit des scènes hors norme et des moments vraiment choquants. Je me disais souvent qu’il inventait tout ça. Ce n’est qu’en lisant son épilogue que j’ai compris que c’était réel”, explique-t-il.

Négligences graves, maltraitance d’enfants, abus sexuels, brûlures d’animaux, psychoses: Geert Taghon n’a rien inventé, il a décrit ce qu’il a vu et entendu au cours de ses années en tant qu’infirmier dans un service psychiatrique pour adolescents sous statut médico-légal. “Après avoir lu le livre, je suis allé moi-même dans des centres fermés pour parler aux jeunes et à leurs accompagnants. Et là, on s’aperçoit que le livre n’est pas si dur par rapport ce qu’on voit et ce qu’on entend là-bas”, explique le réalisateur sans sourciller.

Pourriez-vous donner un exemple?

Koen Mortier : Je me souviendrai toujours d’un petit gars maigrichon. Il s’était retrouvé là parce qu’il avait violé sa jeune sœur. Il pensait lui donner de l’amour. Il s’est avéré qu’il avait lui-même été abusé par un parent entre ses 5 et ses 15 ans. Il m’a raconté toute sa vie. Il m’a dit qu’en fait il était attaché à son violeur. J’ai tellement été renversé par son histoire que j’ai décidé d’aller de l’avant et de faire Skunk. C’est lui aussi qui est la raison de la fin sans restriction de mon film (de l’horreur pure, NDLR). Je ne voulais pas d’autre issue que celle de la réalité du personnage. Ne pas aller au fond des choses, c’était les trahir. Je ne pouvais pas faire ça.

Le réalisateur Koen Mortier: « Je ne voulais pas d’autre issue que celle de la réalité du personnage. Ne pas aller au fond des choses, c’était les trahir. Je ne pouvais pas faire ça.« 

Pourquoi êtes-vous allé sur place, dans ces centres fermés?

Koen Mortier : Pour vérifier s’il y avait moyen que ça devienne un film. L’auteur du livre pouvait prétendre qu’il s’agissait de faits réels, mais je voulais tester la profondeur de cette vérité. Les conversations avec les jeunes et leurs accompagnants ont confirmé la nécessité du film. Je trouve très important qu’il y ait un film qui décrive ces situations dingues telles qu’elles sont. J’espère que Skunk servira de déclencheur pour un débat. Parce qu’il ne s’agit pas simplement de jeunes “en difficulté”, ce sont des ados atteints de psychoses et d’autres problèmes dus à des abus, des mauvais traitements, des tortures. Des choses extrêmes. Je trouve bizarre que presque personne ne soit au courant. Je ne comprends pas non plus comment il est possible que nous, en tant que société, on passe à côté de ça. Vous n’allez pas me dire que les parents, les voisins, l’école, les amis, la famille, les clubs sportifs ne perçoivent aucun signal. Trop souvent, on ne se préoccupe des victimes que quand elles sont elles-mêmes devenues des bourreaux.

Le sujet est très dur. Vous n’avez jamais eu de doutes par rapport à ce projet?

Koen Mortier : Non. Le projet a subi pas mal de refus. Le VAF (Vlaams Audiovisueel Fonds) n’était pas très enthousiaste. Le directeur-intendant précédent a littéralement dit: “Qui s’intéresse à une histoire comme ça, à des gens comme ça? Qui veut voir ça?” Comme s’il s’agissait de déchets. Moi ces gens m’intéressent. La force d’une société se mesure à son maillon le plus faible. Eurydice Gysel, ma femme et productrice, se demandait si nous n’allions pas un peu trop loin cette fois. Mais de manière assez étrange, chaque refus me rend plus fort. Je ne sais pas comment l’expliquer. Même si je n’avais pas eu un sou, ce film aurait existé. C’est un réflexe que j’ai adopté pour ne pas tomber au fond du trou. Je ne choisis jamais la facilité, je ne fonctionne pas comme ça

Une de vos armes secrètes, c’est Nicolas Karakatsanis, directeur de la photographie belge très demandé au niveau international. Mais vous l’avez poussé ici à tourner de manière plus brute, plus crue, plus dense que d’habitude. Pourquoi?

Koen Mortier : Skunk se partage entre deux mondes: celui de l’institution et celui de la maison de Liam. Je voulais que la maison des parents soit comme un enfer dantesque, avec des références au Caravage ou aux films d’horreur gore italiens des années 70. Je voulais consciemment rendre ce monde très sombre, à la Nosferatu. Le monde de l’institution est plus léger. Il n’y a pas de couleurs dures et agressives, mais pastel. Nous avons tourné sur pellicule, ce qui rend l’aspect brut encore plus sale.

Thibaud Dooms, dans le rôle principal, est la révélation du film.

Koen Mortier : J’ai eu beaucoup de chance avec Thibaud. Ce jeune acteur inconnu s’est jeté à corps perdu dans un personnage et un monde qu’il ne connaissait pas. Le métier d’acteur est en grande partie une question d’audace. L’audace d’entrer dans un personnage et une situation. Thibaud était prêt à tourner à chaque seconde. C’est très éprouvant. Tout le monde sur le plateau se demandait ce qu’il était en train de se passer, il nous a vraiment bluffés. Je pense qu’il a eu besoin de six mois pour se remettre de son voyage à l’intérieur de ce personnage.

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