Gaspar Noé (Vortex): « Quand on a Alzheimer, on peut entrer dans des états de terreur sans issue »

Françoise Lebrun et Dario Argento: deux solitudes face à un inexorable déclin.
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Avec Vortex, Gaspar Noé signe un film frontal sur la fin de vie, scrutant, en split-screen, un couple -Françoise Lebrun et Dario Argento- confronté à Alzheimer.

On peut compter sur Gaspar Noé pour toujours surprendre. Après Irréversible-Inversion intégrale, le voilà donc qui propose aujourd’hui ce qui est présenté comme son premier film « tout public », à savoir Vortex. Le synopsis tient en une phrase: « La vie est une courte fête qui sera vite oubliée« . C’est donc de fin de vie qu’il est ici question, le réalisateur franco-argentin scrutant, deux caméras à l’appui, un couple – Françoise Lebrun et Dario Argento, on y reviendra – confronté aux affres de la maladie d’Alzheimer, le film s’ouvrant d’ailleurs sur une dédicace explicite: « À tous ceux dont le cerveau se décomposera avant le coeur » .« ça concerne une personne sur trois, observe-t-il, alors qu’on le rencontre à la faveur de la présentation de Vortexau festival de Gand. J’en ai vu beaucoup des gens perdre la tête comme ça, que ce soit à cause de Parkinson, d’un AVC et surtout d’Alzheimer. Quand vous voyez ça, vous n’enviez pas les gens qui sont dedans, et pas du tout ceux qui sont proches, même si vous en faites partie. » Et d’enchaîner, sur un ton égal: « Mourir n’est pas un problème, c’est avant. Le problème, c’est qu’on n’est pas dans un bad trip comme quand on a pris un mauvais acide: ça dure 5 ou 6 heures, une nuit entière maximum, même si l’expérience du temps est un peu plus longue, que l’expérience psychologique dure 12 heures, et que la déprime vient après. Quand on a Alzheimer, on peut entrer dans des états de terreur sans issue, qui ne font que s’aggraver… »

Gaspar Noé (Vortex):

La mort est une issue joyeuse

Ce projet, Gaspar Noé explique qu’il y pensait depuis un moment déjà, ayant compris, en côtoyant ses grands-parents puis sa mère, la complexité des enjeux liés à la vieillesse. « Le truc par rapport à ce film, c’est que c’est un sujet tabou, plus que le viol, l’inceste ou le racisme. C’est un tabou tacite, parce que tout le monde est terrorisé par l’idée de la sénilité. Et puis, de temps en temps, tu as – mais ce n’est que le pic d’un iceberg – un film qui représente une maladie universelle et omniprésente dans toutes les familles. Tu as eu Amour , The Father: tous les ans, il y a un film qui aborde le sujet de la sénilité, et cette année, c’est moi qui, pendant six mois, vais occuper ce petit bout d’iceberg. Mais la montagne de la sénilité est partout sur cette planète, dans toutes les familles, et on ne veut pas en parler parce qu’on sait tous qu’on a de grandes chances de rentrer dans ce merdier sans nom, tellement malaisant que la mort est une issue joyeuse. » Pour représenter cette réalité, Gaspar Noé a opté pour une approche quasi documentaire, s’appuyant sur un dispositif à deux caméras et un recours continu au split-screen pour filmer ce couple dans son dialogue avec la mort. « Je ne pensais pas que j’allais forcément faire le film à deux caméras. On a commencé à tourner des séquences à une caméra et d’autres à deux, et je me suis rendu compte que, de toute évidence, c’était plus joli ainsi. On a donc retourné ce qu’on avait fait avec une seule caméra pour que tout le film puisse être monté en split-screen. J’aime bien tourner en longs plans, en laissant le temps naturel aux comédiens, à eux d’exister. Tant que l’attention du spectateur est alimentée, il n’y a pas besoin de couper. » Le choix du split-screen, outre qu’il aura permis de souligner la solitude partagée du couple, sera venu conférer une texture particulière au film: « Quand on le voit sur deux écrans, avec ce qui se passe à droite et à gauche, l’attention de l’oeil ne cesse d’aller d’un écran à l’autre, donc on n’a jamais l’impression de saisir la totalité de l’information. Rien que le mouvement de l’oeil, qui va en permanence de droite à gauche, crée, surtout si on est près de l’écran, un état d’hypnose. Le même film sur un seul écran aurait paru plus long que le film de 2 heures 20 sur deux écrans, parce qu’on est toujours en train de relire des informations ou d’en chercher. Sur un écran, ça aurait été plus chiant. »

Ce couple confronté aux affres de la vieillesse, Gaspar Noé a donc choisi de le faire incarner par Françoise Lebrun et Dario Argento. Autant dire qu’avec l’actrice de La Maman et la Putain et le réalisateur de Suspiria, le film ressemble aussi à un fantasme cinéphile, croisant deux écoles a priori très éloignées. « Ils ne se connaissaient pas du tout. Dario n’avait pas vu le film le plus célèbre de Françoise, que je lui ai fait parvenir, et Françoise, qui vient d’une école de cinéma pas du tout liée au giallo, ignorait qui il était. Du coup, je lui ai filé son autobiographie et des films, mais leurs deux univers ne s’étaient jamais croisés, pas même dans des festivals. Françoise, depuis que j’ai vu La Maman et la Putain , je suis fasciné par ce qu’elle dégage. C’est la première personne à qui j’ai pensé pour jouer la mère. Quant à Dario, je l’avais rencontré il y a 30 ans, et il m’est tellement sympathique que quand j’ai dû chercher quelqu’un qu’on ait envie d’aimer comme personne de 80 ans, c’est la première idée que j’ai eue. Il a un charisme à toute épreuve, et il sait parler avec les mains. Les gens qui sont dans les métiers du spectacle comme les réalisateurs sont en représentation permanente -je l’ai vu présenter Le Fantôme de l’opéraà la Cinémathèque française pendant une heure, il a fait un monologue et les gens applaudissaient comme s’il était le meilleur comique de Paris. Si tu le mets devant la caméra et que tu lui dis « vas-y, improvise », il le fait. À partir du moment où, avec l’aide d’Asia Argento, il a accepté de jouer dans le film, je me suis dit: c’est emballé, j’ai les deux personnes que je voulais le plus. »

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