Festival À travers champs: entre cinéma et ruralité, l’amour est dans le pré

En mars, le cinéma se met au vert avec le festival À travers champs qui met à l'honneur le monde rural. © DR
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Fruit de la collaboration entre divers centres culturels wallons et des acteurs locaux du monde agricole, la 6e édition du festival À travers champs réaffirme la prégnance du lien entre ruralité et cinéma. Explications et décryptage en deux temps.

Truffaut disait à son propos qu’il était « le plus beau film du monde« . En 1927, Friedrich Wilhelm Murnau a déjà deux immarcescibles chefs-d’oeuvre à son actif, Nosferatu et Le Dernier des hommes, mais signe avec Sunrise (L’Aurore), symphonie visuelle doublée d’une oeuvre-somme, à la fois le climax définitif et le chant du cygne de l’art muet. Dans un petit village situé en bord de lac, un simple paysan y succombe aux charmes vampirisants d’une citadine, délaissant femme et enfant dans le dessein de suivre la funeste tentatrice jusqu’à la grouillante métropole. Mais c’est une autre histoire qui s’écrit sous les lumières de la cité: celle du bonheur retrouvé et de la promesse du retour à la terre. Si dans ce mouvement d’oscillation entre la campagne et la ville, Murnau révolutionne le langage cinématographique, multipliant notamment les travellings signifiants, il exprime également déjà une inquiétude, la menace d’un déclin du monde agricole face à l’attractivité urbaine.

Ce motif du désenchantement rural, doublé de l’espoir et de l’affirmation d’une possible renaissance, ne cessera d’habiter l’Histoire du cinéma, jusqu’à -et singulièrement, d’ailleurs- aujourd’hui. C’est tout le sens du travail d’un Raymond Depardon, bien sûr. Mais c’est aussi l’esprit présidant à l’essaimage d’initiatives et d’événements cinéphiles consacrés à la question de la ruralité. Parmi eux, le festival biennal À travers champs déroule en mars sa 6e édition (lire également l’encadré ci-dessous) sur treize lieux situés dans les arrondissements de Dinant et Marche-en-Famenne. Animatrice-directrice du centre culturel de Rochefort, Carine Dechaux en est l’un des fers de lance: « En 2005, nous avons organisé un focus sur des familles d’agriculteurs à Rochefort par le biais d’une expo photo, un spectacle de théâtre-action et des tables rondes interrogeant les relations consommateurs-producteurs. À la fin du week-end, plusieurs personnes sont venues nous trouver pour nous dire: « Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait? » »

Quelle place pour la ruralité au cinéma?

Ce désir de prolonger le débat débouche, dès 2008, sur la création d’À travers champs, festival du film sur la ruralité impliquant aussi bien des acteurs issus de la sphère culturelle que du monde agricole. D’autres municipalités des environs entrent dans la danse et l’intérêt citoyen ne cesse de croître autour de l’événement. « Au-delà de l’indéniable attractivité des images, le cinéma est un formidable outil de démocratie, poursuit Carine Dechaux. Le documentaire et la fiction nous ont permis d’ouvrir un tas de pistes de réflexion sur des questions sensibles, comme celle des circuits courts par exemple. Prenez un film comme Demain de Cyril Dion et Mélanie Laurent. Son succès fou n’a rien d’un hasard. Il cristallise énormément de peurs et d’espoirs liés à notre époque et à l’état du monde. »

Diplômée en communication à l’Ihecs puis en ciné documentaire à Sint-Lukas à Bruxelles, Marie Devuyst signait en 2016 Quand le vent est au blé, docu épinglé cette année au programme du festival À travers champs qui s’intéresse à la culture des blés anciens: « Ce n’est pas tant moi qui ai jeté mon dévolu sur la thématique que la thématique qui est venue me chercher, témoigne-t-elle . C’est-à-dire que je fréquente beaucoup de milieux militants, attachés à la terre, à l’idée d’un retour à davantage de bon sens en matière d’agriculture. J’ai ainsi été amenée à rencontrer des personnes qui travaillaient autour de la culture des semences anciennes et des pains traditionnels. Ce sont des connaissances qui m’ont un jour demandé de les filmer durant un week-end organisé dans une ferme. Ça m’a beaucoup inspirée, et de là est né le désir de me lancer dans un documentaire placé sous le signe de la ruralité alternative. » La cinéaste défend l’idée du cinéma comme caisse de résonance aux problématiques sociétales. « On entend souvent dire que la ruralité n’est pas assez présente sur les écrans. Mais quand on s’intéresse vraiment à la question, on se rend compte qu’il existe beaucoup de films et de festivals qui lui sont consacrés.« 

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Éviter le piège du raccourci facile, donc: si les fictions à teneur essentiellement « commerciale » ne donnent certes pas toujours beaucoup de visibilité, et donc de réalité, à la ruralité, il n’en va pas forcément de même du côté des productions moins blockbusterisantes, qu’elles soient de nature documentaire ou non. Voir encore les tout récents Sans adieu de Christophe Agou et Normandie nue de Philippe Le Guay. Parmi d’autres. Succès monstre de l’année 2017, Petit Paysan de Hubert Charuel, lui aussi au programme du festival À travers champs, tord également le cou à certaines idées reçues, en lien celles-là avec la représentation même de la ruralité à l’écran. Désamorçant le cliché contemplatif et le simple naturalisme afin de privilégier un climat anxiogène digne d’un film de genre, il y aborde par exemple en filigrane la question peu connue du burn-out paysan: « Paysan, c’est un métier stressant, insiste le réalisateur. Ces stéréotypes comme quoi à la ville on serait tendus tandis qu’à la campagne on vivrait relax, c’est n’importe quoi. C’est un stress différent, évidemment, qui varie beaucoup en fonction de données extérieures. On dépend constamment des conditions climatiques, de la santé du troupeau… Mais la mondialisation et l’industrialisation n’ont fait qu’intensifier le facteur stress. Les logiques de rendement, d’investissement, ont créé le même cercle vicieux que dans le monde des affaires, par exemple. On parle de production de matières premières, il s’agit donc d’un domaine terriblement dépendant de l’économie, de la bourse, du marché. Les éleveurs sont de gros consommateurs d’antidépresseurs. »

Quelle place pour le cinéma en milieu rural?

Si la présence de la ruralité dans toute sa diversité est plus que jamais vitale sur les écrans aujourd’hui, que dire de celle de l’institution cinématographique elle-même au coeur du milieu rural? Hubert Charuel, encore lui, se plaît à raconter que, plus jeune, en Champagne-Ardenne, il n’avait qu’une idée en tête: reprendre la ferme de ses parents. Mais il s’est, in fine, accroché au plaisir procuré par les seules sorties que l’on s’autorisait alors en famille, au cinéma du coin. Et c’est ainsi qu’il décida de faire des films. Au-delà de cet hypothétique éveil à une vocation, quel est le rôle des salles de cinéma en milieu rural? C’est la question essentielle que pose Macadam Popcorn, récent documentaire itinérant également proposé dans le cadre du festival À travers champs. Signé Jean-Pierre Pozzi, le film embarque Mathieu Sapin, tenant pince-sans-rire d’une BD reportage nomade (Campagne présidentielle, Gérard, cinq années dans les pattes de Depardieu), sur les routes de France. Contacté par téléphone, ce dernier raconte: « Moi je viens de la campagne. J’ai grandi en Bourgogne. L’idée, c’était donc de partir à la rencontre des exploitants de salles en province. Je venais de tourner un court métrage et je m’apprêtais à m’attaquer à mon premier long en tant que réalisateur. Ça m’intéressait de voir où arrivaient les films, le bout du bout de la chaîne en somme. Le film montre que gérer une salle de cinéma aujourd’hui, particulièrement en milieu rural, c’est une véritable aventure humaine. En ce sens que c’est un peu l’agora contemporaine, un espace où les gens se retrouvent pour échanger. Il y a l’idée d’une communion. Un peu comme à la messe. Dans le film, il y a d’ailleurs un endroit où l’on se rend, dans les Cévennes, qui est à la fois un lieu de culte et un espace de projection. La charge symbolique est forte.« 

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Godard aimait à souligner que l’invention du projecteur était antérieure à celle de la caméra. En ce sens, la salle de cinéma a toujours été, et reste, l’espace privilégié d’épanouissement d’un film dans sa phase de réception. Si Macadam Popcorn ne se fait faute de rappeler que le 7e art, historiquement, est un produit de la ville, et une habitude de citadins, c’est pour mieux insister dans la foulée sur l’importance de la multiplicité des lieux de sa diffusion comme des politiques de programmation. Le cinéma est un outil de cohésion et de transformation sociale. Voir des films labellisés « art et essai », c’est aussi apprendre à penser le monde. Géraldine Cambron, animatrice et coordinatrice de l’ASBL Cinémarche à Marche-en-Famenne, très active dans l’organisation du festival À travers champs, s’intéresse depuis plusieurs années à la question du cinéma en région rurale: « L’arrivée du numérique a sonné le glas de la projection en pellicule pour la majorité des exploitants, mettant plusieurs petits opérateurs en réelle difficulté. Parce que le coût en nouvel équipement était assez élevé. C’est quelque chose qui s’est beaucoup fait ressentir sur le territoire de Marche-en-Famenne et dans l’arrondissement de Dinant, où certains cinémas ont vu poindre la menace de fermeture. La Province de Namur s’est vraiment montrée exemplaire sur ce point parce qu’elle a alors décidé de subventionner les nouveaux appareils de projection de toutes ses salles, ce qui n’a pas été le cas hélas en province de Luxembourg ou ailleurs. Le problème n’est pas pour autant résolu à moyen ou long terme: les appareils de projection numérique ont une durée de vie de quinze ans maximum, alors qu’avec la pellicule on était bons pour 60 ans. Que va-t-il se passer dans quelques années? La Province de Namur va-t-elle de nouveau venir à la rescousse? On ne sait pas. » Et de poursuivre la réflexion:  » Il est essentiel pour les petites salles de cinéma aujourd’hui de s’associer en groupements, en réseaux d’opérateurs, afin de se montrer plus forts face à des distributeurs qui auront toujours tendance à négliger les exploitants plus modestes. Mais à l’heure de Netflix et des tablettes, il faut aussi plus que jamais travailler l’idée d’attractivité du cinéma auprès du public. Le cinéma n’est pas qu’un endroit où l’on vient s’asseoir et regarder un film. Il doit être un lieu d’accueil, de rencontres, d’échange, d’animation, un lieu de vie oeuvrant dans le sens d’un épanouissement des individus. L’accessibilité et la démocratisation de la culture restent des questions fondamentales dans les campagnes aujourd’hui. Parce que si l’on compare avec les grandes villes, c’est le néant total en termes de subventions pour les salles en zone rurale et même semi-urbaine. Nous avons besoin de soutiens publics afin que la population, quel que soit son lieu d’habitation, puisse avoir accès au cinéma dans toute sa variété. » À bon entendeur…

Demandez le programme

Festival À travers champs: entre cinéma et ruralité, l'amour est dans le pré

Un projecteur de cinéma en forme de tracteur trône sur l’affiche de la 6e édition du festival biennal À travers champs. Tout un symbole. Après les identités diverses composant la ruralité en 2008, le lien entre agriculture, production alimentaire et consommation en 2010, le rapport de chacun à la terre en 2012, les urgences en 2014 et l’entrée en résistances en 2016, l’événement se déploiera cette année autour de la thématique « Il est temps! ». « Temps de relever des défis et d’inventer des alternatives, de prendre des responsabilités collectives et individuelles, de soutenir plus que jamais les producteurs et agriculteurs. Temps de prendre le temps de soigner la terre pour les générations futures. » Le temps aussi de se retrouver autour des films proposés: étalé sur l’entièreté du mois de mars, le festival allume les feux de la passion cinéphile et du débat citoyen en Wallonie, de Rochefort à Saint-Hubert, de Dinant à Hotton, de Ciney à Tenneville. Au menu, des documentaires récents (Quand le vent est au blé de Marie Devuyst, Tout s’accélère de Gilles Vernet, Visages Villages d’Agnès Varda et JR, Macadam Popcorn de Jean-Pierre Pozzi…) ou plus anciens (incontournable Symphonie paysanne de Henri Storck), mais aussi des fictions (Petit Paysan de Hubert Charuel, Amama d’Asier Altuna, le dessin animé Ferdinand de Carlo Saldanha…). Le tout placé sous le signe de la rencontre et de la prise de parole, de l’ouverture et de la sensibilisation. Vachement bien!

À travers champs, festival du film sur la ruralité, du 01 au 31/03, à Beauraing, Ciney, Dinant, Durbuy, Forzée, Hotton, Houffalize, La Roche, Marche, Nassogne, Rochefort, Saint-Hubert et Tenneville. www.festival-atraverschamps.be

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content