Femmes et cinéma (2/6): Olivia de Havilland, une rebelle à Hollywood

Son combat aura coûté cher à la star (l'équivalent de 200 000 euros, plus le manque généré par une période sans tourner), mais il a changé du tout au tout la donne à Hollywood. © GETTY IMAGES
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

La lutte victorieuse d’Olivia de Havilland contre la toute-puissance des studios a changé la face de l’industrie du film.

Novembre 1943. Le patron de Warner Bros reçoit un courrier qui manque de le faire tomber à la renverse. Olivia de Havilland, une des plus grandes stars à être sous contrat avec le puissant studio, l’attaque en justice. Son amie Bette Davis s’y était déjà risquée un peu auparavant, en quittant Hollywood et en portant sa cause devant les tribunaux anglais. Elle avait perdu… Mais l’agent d’Olivia est aussi avocat. Il épouse la cause de sa cliente avec une confiance absolue. Cette fois sera la bonne! La raison du conflit? L’actrice sous contrat avec le studio depuis ses 19 ans s’est rapidement rebellée contre la tyrannie du big boss, Jack Warner. Elle a sollicité (avec succès parfois) des prêts à d’autres maisons de production. Elle a aussi refusé de nombreux rôles, ce qui lui a valu d’être plusieurs fois mise à pied. Son contrat de sept ans venant à échéance, elle s’est crue bientôt libre. Mais Warner Bros a décidé d’ajouter ses périodes d’inactivité forcée à la durée prévue… 25 semaines de rallonge. Insupportable pour Olivia, à qui le premier jugement donnera raison. Le juge assimilant, dans ses attendus, les pratiques du studio à du servage! La Warner ne se le tient pas pour dit. Elle fait appel, tout en poursuivant une campagne de dénigrement contre l’actrice, doublée d’une incitation à la profession pour qu’elle la boycotte. Raté! Le jugement sera par deux fois confirmé, par la Cour d’Appel en 1944 et la Cour Suprême de Californie en 1945. Son combat aura coûté cher à la star (l’équivalent de 200 000 euros, plus le manque généré par une période sans tourner), mais il a changé du tout au tout la donne à Hollywood, créant une jurisprudence dont actrices et acteurs allaient pouvoir se réclamer par la suite…

À 102 ans, Olivia de Havilland est avec Kirk Douglas (d’un an son cadet) l’ultime survivante de cet âge d’or hollywoodien fait de glamour en surface et de calculs sous-jacents, d’accomplissements artistiques et de manoeuvres parfois bassement commerciales. Et tout comme Kirk, elle y fit figure de rebelle. Lui se révolta contre la liste noire visant les suspects de communisme pendant la chasse aux sorcières maccarthyste dans les années 50. Il se mêla aussi de production et défia le pouvoir des studios. Un pouvoir qu’Olivia et sa résistance farouche avaient déjà bien bousculé dès les années 40. Son intelligence, son caractère fort (voire épouvantable aux dires de certains), son immense talent d’interprète et ses nombreux succès lui ont permis d’exercer son droit au refus comme personne avant elle. Miss de Havilland savait où elle allait, et lui faire obstacle n’était pas la meilleure idée en ces années où s’enchaînaient les triomphes ( The Adventures of Robin Hood en 1938, Gone With the Wind en 1939, Hold Back the Dawn en 1941). Sa liberté conquise, elle allait faire des choix gagnants, avec To Each His Own et un premier Oscar en 1947, puis The Heiress et un second trois ans plus tard.

Une actrice libre

À une époque où les magnats du cinéma pouvaient se laisser aller à parler des acteurs comme d’un cheptel certes richement rétribué mais corvéable à merci et absolument dépendant d’un système, Olivia la rebelle devait marquer sa différence. Par fierté, refus de la sujétion, sans aucun doute, mais aussi parce qu’elle avait une conscience précise des rôles qu’il lui fallait. Son épanouissement ne passerait que par des personnages complexes, tout en nuances et en profondeur, loin des archétypes en vogue (Bad Girl, Good Girl). Pour avoir ces rôles, pour travailler avec les réalisateurs capables de la porter vers cette excellence qui l’obsédait (John Huston, Anatole Litvak, William Wyler, entre autres), elle devait avoir le privilège du choix. Jamais elle n’en fit un combat ouvertement féministe, et encore moins politique. C’était SON combat à elle, point. Mais il allait bénéficier à tant de ses collègues contemporaines et à venir.

Une Américaine à Paris

The Snake Pit (1948), réalisé par Anatole Litvak, lui offrit un de ces rôles dont elle avait rêvé, où elle pourrait donner sa pleine mesure. Olivia se débarrasse de tout oripeau glamour pour offrir une des toutes premières incarnations réalistes de la maladie mentale. On allait lui offrir quelques années plus tard le rôle de Blanche Dubois dans l’adaptation de A Streetcar Named Desire par Elia Kazan et avec Marlon Brando. Mais elle venait de donner naissance à son fils, vraie raison d’un refus que d’aucuns attribuèrent à tort à une réprobation morale vis-à-vis du sujet. Que n’a-t-on pas dit et écrit de négatif sur elle! Mauvaise soeur, emmerdeuse de première, et tant d’autres jugements plus ou moins argumentés (plutôt moins que plus) et exprimant surtout l’irritation d’observateurs rarement prêts à accepter qu’une femme se revendique absolument libre, y compris en se montrant peu tolérante à l’égard des questions idiotes qu’elle ne se privait pas d’épingler lorsqu’on l’interviewait.

Naturalisée américaine en 1941, l’actrice britannique n’aura jamais tout à fait adhéré au mode de vie local. Et au milieu des années 50, elle partit s’installer à Paris, où elle habite encore aujourd’hui, rue Benouville, dans le chic 16e arrondissement. Elle a consacré un livre autobiographique plein d’esprit, Every Frenchman Has One, à ses rapports avec la France et les Français. Lesquels lui auront décerné la Légion d’Honneur en 2010 (elle avait 94 ans), mais surtout fait d’elle la première femme à présider le jury du festival de Cannes, dès 1965. The Knack… And How to Get It du Britannique Richard Lester avait triomphé, les prix d’interprétation tant féminin (Samantha Eggar) que masculin (Terence Stamp) allant aux interprètes de The Collector, le film de William Wyler, qui l’avait dirigée dans The Heiress, un de ses plus grands rôles.

Douce… ou pas

Une rue de Mexico, Dulce Olivia (« douce Olivia »), fut baptisée en son honneur, à la demande du grand réalisateur Emilio Fernández. Mais sa postérité ne fut pas toujours aussi poétique. Notamment l’an dernier quand apparut au petit écran la série Feud (littéralement « querelle »), qui met en scène des rivalités célèbres. De Havilland y est jouée par Catherine Zeta-Jones, dans une première saison consacrée aux rapports entre Bette Davis (interprétée par Susan Sarandon) et Joan Crawford (campée par Jessica Lange). Olivia n’a pas apprécié. Et à 101 ans, elle a déclenché un procès pour faire valoir ses droits à contrôler l’image (de « peste ») donnée d’elle. Cette fois, la justice lui a donné tort, une cour californienne estimant que la célébrité, le fait d’être un personnage public, ne donne pas plus droit à « être propriétaire de son histoire » que ne le serait un quidam. De quoi nourrir une nouvelle jurisprudence majeure… cette fois à ses dépens!

Nul doute que sa décision de poursuivre aura été aussi déclenchée par le portrait pas toujours flatteur donné dans Feud à celle qui fut son amie et complice en rébellion à Hollywood: Bette Davis. Les deux femmes étaient proches, à la ville et aussi à l’écran comme l’a immortalisé le passionnant et terrible Hush… Hush, Sweet Charlotte réalisé par Robert Aldrich en 1964. Elles sont cousines pour le meilleur mais surtout pour le pire dans ce film où le personnage joué par Olivia fut initialement destiné à Joan Crawford. Celle-ci tombant malade peu de temps après le début du tournage, Olivia la remplaça, et fut formidable. Les mauvaises langues (encore) affirment que Bette Davis s’était montrée détestable avec Joan Crawford pour qu’elle abandonne le film, et ce jusqu’à ce qu’elle craque…

Soeurs, stars et rivales

Femmes et cinéma (2/6): Olivia de Havilland, une rebelle à Hollywood
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Olivia de Havilland et Joan Fontaine (de son vrai nom Joan de Beauvoir de Havilland) furent les premières soeurs à remporter chacune un Oscar. Et aussi les premières à se voir nominées la même année. C’était en 1942 et Olivia l’était pour Hold Back the Dawn de Mitchell Leisen, Joan pour le Suspicion d’Hitchcock. Joan allait être couronnée meilleure actrice sous les yeux d’Olivia qui devra pour sa part attendre 1947 pour recevoir sa première statuette avec To Each His Own du même Mitchell Leisen. Quinze mois séparent l’aînée (Olivia) de sa cadette. Toutes deux sont nées à Tokyo durant la Première Guerre mondiale, d’un père avocat (Walter de Havilland) et d’une mère comédienne (Lilian Fontaine). La famille ayant quitté le Japon pour la Californie dès 1918, c’est aux États-Unis que ces Britanniques de naissance grandissent et choisissent de suivre la voie maternelle, sur scène et devant les caméras. Très vite, une fois les projecteurs braqués sur leur ascension vers la gloire, le sujet des relations compliquées entre les soeurs alimenta la presse et les conversations. On les baptisa « les soeurs ennemies », on fit grand cas de leur rivalité amoureuse (elles se disputèrent ni plus ni moins que le milliardaire et producteur Howard Hughes) et professionnelle (Olivia « soufflant » à Joan le rôle de Melanie Hamilton dans le triomphal Gone With the Wind en 1939). Toutes petites déjà, elles se déchiraient mutuellement leurs robes, affirment certains, qui attribuent un rôle crucial à une mère faisant alternativement de chacune sa préférée, alimentant ainsi la jalousie des fillettes avant même qu’elles ne deviennent rivales. Ajoutez-y un caractère très fort, une intelligence largement supérieure à la moyenne (Joan avait un QI de 160…), et vous obtenez le cocktail explosif d’une relation tendue au fil de nombreuses décennies, car Joan vécut 96 ans et Olivia vient de souffler ses 102 bougies!

The Heiress (1949), classique féministe

Femmes et cinéma (2/6): Olivia de Havilland, une rebelle à Hollywood

Catherine Sloper n’a pas les talents exigés d’une jeune femme de la haute société américaine du XIXe siècle. Timide et introvertie, un peu naïve et sans attrait particulier, elle ne brille pas de cet éclat convenant à une riche héritière. Catherine vit seule avec son père veuf et inconsolable (mais aussi tyrannique) dans une vaste et belle demeure sur Washington Square, ce parc new-yorkais dont Henry James s’inspira en 1880 pour son roman du même nom, que le film adapte idéalement. Un soir, au cours d’un bal mondain, elle fait la rencontre du jeune et séduisant Morris Townsend (joué par Montgomery Clift). Elle en tombe amoureuse et il lui fait une cour empressée. Mais le père de Catherine (interprété par Ralph Richardson) ne veut pas entendre parler de mariage. Sa fille n’ayant aucun charme à ses yeux, il pense que seule sa fortune intéresse le prétendant, forcément coureur de dot… Olivia de Havilland avait vu au théâtre une pièce adaptantWashington Square et avait pensé qu’il y avait là un rôle à sa mesure pour un film. L’actrice approcha directement William Wyler, le cinéaste des très remarquablesWuthering Heights (1939) etThe Best Years of Our Lives(1946). Elle s’empressa ensuite d’acquérir les droits d’adaptation cinématographique du roman.The Heiress lui offre l’occasion d’une performance tout en nuance et retenue, et d’autant plus émouvante. Catherine Sloper fait le choix de l’amour et pas celui de la sécurité. Elle refuse le statut de potiche auquel son milieu veut la réduire. Et cela ne peut bien se passer. Morris, n’ayant pas eu le courage de briser avec elle les normes sociales, prendra lâchement la fuite. Et quand il reviendra vers Catherine devenue très riche à la mort de son père, elle lui fermera sa porte… Olivia de Havilland a reçu son second Oscar pour son interprétation bouleversante de Catherine, après celui obtenu en 1947 pourTo Each His Own de Mitchell Leisen.The Heiress reste, sept décennies plus tard, l’expression douloureuse mais parfaite de son ardent féminisme. Et d’un exceptionnel talent.

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