Entretien avec Mike Mills, auteur d’une petite mignonnerie douce-amère avec C’mon C’mon

Joaquin Phoenix et Woody Norman complices devant la caméra de Mike Mills.
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Réalisateur de Thumbsucker, Beginners et 20th Century Women, l’Américain Mike Mills signe, avec C’mon C’mon, une petite mignonnerie douce-amère qui invite à renouer avec son âme d’enfant.

Touche-à-tout de génie (vidéaste et graphiste, il a réalisé des clips pour Pulp, Air ou Blonde Redhead et conçu des pochettes pour Jon Spencer, Sonic Youth ou les Beastie Boys), Mike Mills a pris pour habitude de puiser dans son vécu le plus intime le carburant de ses fictions. C’est plus que jamais vrai s’agissant de C’mon C’mon (lire la critique), son nouveau long métrage, qui s’inspire librement de détails très personnels de la relation privilégiée qu’il entretient avec son propre enfant. Drame résolument anti-spectaculaire évoluant sur un mode doux-amer, le film chronique la naissance et la consolidation d’un lien d’amour et de confiance entre Johnny (Joaquin Phoenix), un journaliste radio, et son neveu Jesse (Woody Norman), âgé de 9 ans.

Ensemble, et pour quelques jours, ils tracent la route et tentent de s’apprivoiser, recueillant au passage, pour le travail du premier, des interviews de jeunes garçons et filles interrogés sur leur vision du futur. Joint par Zoom, le réalisateur américain raconte: « Cette idée d’émailler le film de petites interviews documentaires m’est venue d’un travail que j’avais moi-même effectué pour le Musée d’art moderne de San Francisco. J’étais allé dans la Silicon Valley interroger des enfants dont les parents travaillaient pour de grosses entreprises technologiques de type Google, Apple ou Microsoft. C’était très intéressant. À vrai dire, je ne me voyais pas aujourd’hui faire un long métrage replié sur lui-même, qui ne soit nourri que de ma relation très spécifique à mon enfant. À l’arrivée, ces petites interviews bien réelles spécialement réalisées durant le tournage de C’mon C’mon, et qui en rythment le déroulement, me permettent de penser plus grand que juste moi ou ma famille, de mettre en lien ma petite expérience personnelle avec le grand monde. Et puis j’aime l’idée que plusieurs types de langages cinématographiques puissent coexister à l’intérieur d’un même film, pour lui donner une énergie particulière, une certaine singularité. »

Et Joaquin Phoenix de se retrouver donc à jouer les intervieweurs de luxe en plus de sa propre partition: « Ensemble, nous avons simplement établi une liste très souple de questions à poser au préalable. Mais pour le reste, c’est juste Joaquin face aux enfants, écoutant son instinct pour rebondir et interagir. Je dois dire qu’il est vraiment très bon en tant qu’intervieweur. Il a le chic pour donner confiance et assurance à la personne en face de lui. Il a fait ça avec beaucoup de soin, d’attention et de coeur. »

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Zones d’ombre

Porté par un regard tendre et humain, C’mon C’mon n’est pas qu’une inoffensive ode à l’enfance. C’est aussi un film capable d’explorer des choses assez complexes, voire carrément bizarres. Comme cet étonnant rituel que le jeune Jesse met en place avant d’aller dormir, et dans lequel il se plaît à faire semblant d’être un orphelin dont la famille est morte. « Il y a quelques années, j’ai mené un long projet avec les membres du groupe The National, et j’ai été amené à passer beaucoup de temps avec eux. C’est à ce moment-là que j’ai entendu parler de cette espèce de jeu que la fille d’Aaron Dessner, le guitariste du groupe, qui co-signe aujourd’hui la B.O. de C’mon C’mon avec son frère, avait mis en place. Elle se prénomme Ingrid et avait 9 ou 10 ans quand elle a commencé à faire ça. Ça m’a semblé tellement cinématographique et étrange comme rituel… J’ai donc demandé à Aaron s’il était d’accord que je l’intègre à mon film. J’ai alors demandé à Ingrid qu’elle m’explique bien toutes les modalités de ce rituel, parce qu’il s’accompagnait de règles nombreuses et très précises. Les gens vont peut-être juste trouver ça amusant en regardant le film, mais pour moi il y a quelque chose de vraiment très profond qui se joue là. Ça prouve que les enfants ne sont pas juste mignons, gentils et innocents. Ils font face au quotidien à des préoccupations très proches des nôtres, qui ont à voir avec la mort, des questions d’identité, des angoisses… Mais ils les traduisent dans leur propre langage, qui est souvent celui du jeu. »

Une conception des choses qui montre bien à quel point, chez Mike Mills, l’enfant est envisagé comme une personne à part entière. Quand on lui demande s’il avait des références filmiques en tête au moment d’imaginer cette relation très horizontale entre un adulte et un enfant, le réalisateur cite sans hésiter le film de Wim Wenders, Alice dans les villes (1974). « Il est toujours resté dans un coin de ma tête durant le processus de création. J’aime beaucoup la dynamique entre l’adulte et l’enfant dans ce film. Il m’a servi en quelque sorte de boussole. C’est peut-être aussi ça qui a achevé de me décider de tourner C’mon C’mon en noir et blanc. La plupart de mes films préférés sont en noir et blanc, en effet. Et à vrai dire, j’aurais aimé tourner chacun de mes films de cette façon. Mais pour C’mon C’mon, ça tenait tout de même d’une espèce d’évidence. Il y a dans cette image d’un adulte et d’un enfant parcourant différentes villes, dans ce grand corps et ce petit corps évoluant côte à côte, quelque chose de mythologique, de presque atemporel. C’est un peu comme une fable. Et le noir et blanc, avec sa capacité à nous extraire du réel, est, je crois, déjà porteur en soi de cette dimension fabuleuse. Et puis aussi, pour moi, ce film tient davantage du dessin crayonné, du croquis, que du tableau de peinture bariolé. Vous voyez ce que je veux dire? Il y a toujours quelque chose de plus spontané, de plus frais, de moins définitif, dans un dessin. C’est le sentiment que je voulais qu’on ressente à la vision du film.« 

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