Après Drive My Car, Ryusuke Hamaguchi revient avec la fable zen Evil Does Not Exist

Après son film oscarisé Drive My Car, le cinéaste Ryusuke Hamaguchi se montre encore plus intimiste et poétique dans Evil Does Not Exist. Un autre joli morceau de cinéma zen.

Le projet a débuté il y a trois ans, pendant la pandémie, lorsque Eiko Ishibashi, compositrice de la B.O. de Drive My Car de Ryusuke Hamaguchi a demandé au réalisateur un film pour accompagner un de ses concerts. Hamaguchi est parti filmer dans le village de Harasawa et ses environs, à deux heures de route de Tokyo. Ces images composent le film muet Gift, long de 80 minutes, présenté en première mondiale au Film Fest Gent l’année dernière, accompagné en live par Ishibashi.

Les images et la musique ont tellement plu à Hamaguchi 
qu’il a décidé d’aller plus loin. Il a approfondi les personnages qu’on y voit, des acteurs amateurs de cette région boisée. Il a enrichi la musique néoclassique aux irrésistibles violons et aux fragiles motifs de piano par des dialogues sur un père célibataire et sa fille confrontés à des promoteurs de Tokyo qui veulent venir construire un site de glamping dans la région. Les frictions avec les villageois, les inquiétudes écologiques et les apartés mélancoliques se mêlent à une satire subtile du système capitaliste et un comique de situation pince-sans-rire. Evil Does Not Exist (Le mal n’existe pas en VF), salué par le prix du jury et celui de la critique internationale à Venise l’année dernière, rafraîchit l’âme comme une rivière de montagne.

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« Après Drive My Car, je savais que mon prochain film devait être complètement différent, déclare le cinéaste. J’ai senti que mon prochain projet me donnerait une nouvelle direction. En tant que réalisateur, mais aussi en tant qu’être humain. »

Quelle est la différence avec Gift?

Ryusuke Hamaguchi: Ce sont deux films différents, même s’ils se superposent en partie. Gift n’a pas de dialogues et a été réalisé pour un concert d’Eiko. Lorsque le film a été terminé, j’ai voulu en faire une autre version où l’on entendrait également les acteurs. Qui sont-ils? Que font-ils là? Qu’est-ce qui les préoccupe? Telles sont les questions qui me sont venues à l’esprit lors du premier montage. Peu à peu, je me suis rendu compte que mon « clip » ne suffirait pas à rendre justice à cette belle musique.

Il fallait que ce soit un vrai film?

Ryusuke Hamaguchi: Exactement. Et c’est comme ça que je me suis retrouvé avec cette histoire de glamping et de gentrification de la campagne japonaise, un phénomène dont j’avais entendu parler et sur lequel j’avais lu plusieurs choses. Certaines images apparaissent dans les deux films, comme ces arbres dont les branches me rappellent des calligraphies. Mais Evil Does Not Exist dure une demi-heure de plus que Gift, l’ordre des séquences n’est pas le même et il y a des scènes supplémentaires et d’autres plans des mêmes scènes. Les deux films proviennent de la même source, mais ce sont deux ruisseaux distincts, des expériences différentes.

En voyant Drive My Car et vos films précédents se déroulant dans de grandes villes, on ne dirait pas que se cache en vous un amoureux de la nature et un militant écolo.

Ryusuke Hamaguchi: (rires) Je ne le suis pas. Ne vous méprenez pas: je suis soucieux de l’environnement, mais ce film ne traite pas de la pollution, mais bien de notre attrait pour le profit, des schémas que ça engendre -respect des délais, gestion des budgets- et qui mettent en danger notre environnement et nous-mêmes.

Vous êtes plus “rouge” que “vert”?

Ryusuke Hamaguchi: Je suis surtout un citadin. Je n’ai jamais eu de relation étroite avec la nature. Le fait que la nature et l’écologie jouent un rôle prépondérant ici est simplement dû au fait que c’est là que vit Eiko. Après Drive My Car, nous avons rêvé pendant plus d’un an à notre prochain film. Je lui rendais souvent visite pour voir où elle vivait et travaillait, car son environnement est une grande source d’inspiration pour elle.

Et cette inspiration vous a vous-même marqué?

Ryusuke Hamaguchi: J’y ai développé ma propre relation avec la nature. Par exemple, je n’avais jamais vraiment regardé les arbres jusqu’à ce que je me tienne en dessous avec ma caméra, que je commence à marcher en regardant en l’air et que ces travellings de branches se découpant sur le ciel commencent soudain à ressembler à des peintures en mouvement. C’est très obsédant, surtout avec la musique qui l’accompagne. Eiko m’a également présenté aux autres villageois, qui savaient tout sur les arbres, sur les endroits où pousse le wasabi sauvage, sur les lieux où coule l’eau potable. J’ai appris toutes ces choses avant de commencer à écrire Evil Does Not Exist. Je me suis rapproché des personnages de manière organique pour ainsi dire, et je me suis ainsi rapproché du cœur de l’histoire.

C’est-à-dire?

Ryusuke Hamaguchi: Les êtres humains sont des créatures étranges mais fascinantes, qui utilisent toutes sortes de mots mais font des choses qui ne concordent pas avec ces mots. À cause des autres. À cause de leur habitat. À cause d’eux-mêmes. Tous mes films parlent de ça. Mais celui-ci est davantage guidé par les images et la musique que par les mots. C’est pour ça qu’il ne faut pas essayer de vraiment comprendre ce film. Il faut en faire l’expérience, l’écouter comme un morceau de musique.

Est-ce aussi pour cette raison que vous avez choisi ce titre énigmatique?

Ryusuke Hamaguchi: Ces mots me sont venus à l’esprit spontanément en regardant le paysage et en pensant à la nature. Pendant un moment, tout semble si pur et harmonieux qu’on a l’impression que le mal n’existe pas. Mais bien sûr, il existe. Malheureusement. C’est la même tension entre l’image et le mot, entre les sentiments et la raison. Je n’ai jamais voulu changer de titre, même après avoir terminé le montage. Mais encore une fois, la meilleure façon de le comprendre est de le considérer comme le titre d’un morceau de musique. Ce titre n’a pas nécessairement de lien avec la signification de la musique non plus. C’est ce sentiment que je veux transmettre aux spectateurs. C’est aussi la raison pour laquelle le film n’a pas de fin tranchée. Il s’agit de mouvement. Le mouvement de personnes dans un environnement. Et les sentiments et les pensées qui naissent en les regardant. ●

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