Déconfiné pour être sauvage: impossible d’encore regarder tranquillement un film!

Jovan Adepo et Mathilde Ollivier dans Overlord de Julius Avery, une production JJ Abrams avec des expériences secrètes nazies. © ISOPIX
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

45 jours sans voir de film, le cerveau en surchauffe devant des navets, éteint devant de l’horreur très enthousiasmante: et si le confinement avait drôlement fragmenté le rapport au cinéma de certains? Crash Test S05E39, si ceci n’est pas une élucubration, cela pourrait être drôlement inquiétant…

Depuis le confinement, il m’est très difficile de suivre un film, de me poser devant du cinéma. Tellement difficile que début mai, j’ai arrêté d’essayer. J’ai lu des bouquins, j’ai tué des tanks, des chevaliers et des aliens, j’ai fait mon bedroom DJ mais je n’ai pas regardé un seul film entre le 11 mai et le 25 juin. Déficit d’attention dû au stress ambiant? Possible, mais comment alors expliquer que durant cette même période, j’ai lu sans aucun problème du Maupassant, du Gogol et du Spinrad, ce qui demande tout de même un peu plus de concentration que 90 ou 120 minutes d’images qui bougent? Le confinement m’a d’ailleurs beaucoup moins stressé que le déconfinement. C’est maintenant que débute l’apocalypse zombie, que l’on navigue à vue dans un monde incertain où le pétage de plombs et l’irresponsabilité crasse se généralisent. Le tout sous le cagnard, à 28 degrés de moyenne. Tant qu’il s’agissait de rester chez soi et de prendre le bus aux heures creuses, ça n’a pas changé grand-chose à mon quotidien. Le plexiglas dans les bars, le port pour le moins imaginatif du masque chez certains et estimer que les teufeurs de la Place Flagey sont des gros cons, en revanche, c’est pour moi tout à fait neuf. Pas forcément très anxiogène mais quand même…

Le confinement m’a beaucoup moins stressé que le déconfinement. C’est maintenant que débute l’apocalypse zombie.

Mon cas n’est pas isolé. Durant le confinement, beaucoup de gens se sont plaint de ne pas parvenir à regarder des films, suivre des séries et lire des livres… Des articles ont été écrits à ce sujetet ils pointent généralement comme facteurs principaux le stress et la culpabilité. Je synthétise: depuis des années, vous avez à côté du lit une pile de livres, des listes de films à voir en tête, des idées de produits culturels à découvrir quand vous aurez le temps. Arrive le Covid-19 et voilà que vous n’avez en principe plus que ça à foutre, en plus d’un réel besoin de divertissement. Mais vous n’y arrivez pas. Votre pile de bouquins reste la même. Vous ne rattrapez pas les classiques du cinéma que vous vous étiez promis d’un jour regarder. Vous glandez, vous flippez. D’où davantage de stress, la montée d’une certaine culpabilité et un très gros déficit d’attention. C’est intéressant mais je ne me sens que moyennement concerné par cette explication. C’est qu’en mai, avant d’arrêter le cinéma à domicile, je me suis en fait rendu compte que je n’arrivais plus à suivre des films que j’avais envie de voir, devant lesquels j’avais envie de me poser. Je ne parvenais pas à retenir les noms des personnages d’un Lucio Fulci, je n’avais quatre jours plus tard pour ainsi dire aucun souvenir du pourtant génial Messiah of Evil. En revanche, pour le boulot, j’ai dû me farcir Adults in the Room, l’europudding de Costa-Gavras sur la crise grecque de 2015 et suivre ce film bavard et politique ne m’a posé aucun souci. J’ai pris des notes, j’ai pointé les erreurs, des questions, des idées de commentaires, de possibles vannes à balancer. Tout cela m’est venu spontanément, sans difficulté. Aucun souci de concentration devant un film touffu alors que j’étais pour ainsi dire complètement largué devant des séries B d’horreur seventies…

Vous n’avez en principe plus que ça à foutre, mais vous n’y arrivez pas. Votre pile de bouquins reste la même, vous ne rattrapez pas les classiques du cinéma que vous vous étiez promis d’un jour regarder.

Ce 25 juin, j’ai tenté mon grand retour à la cinéphagie. Sur Netflix, je me suis choisi Overlord de Julius Avery, au motif principal que ça avait l’air « con et gore, donc facile ». Une production JJ Abrams avec des expériences secrètes nazies, autant dire l’équivalent d’une petite bière en écoutant du reggae… L’ennui, c’est que ce film m’a surtout fait ressentir une immense nostalgie pour Medal of Honor, carton de la Playstation 1 dont cette idiotie semble pas mal avoir pompé les derniers niveaux, les plus fous, ceux où il s’agissait de dégommer des chevaliers teutoniques, des clébards enragés, des robots SS et des panzerknackers. Difficile donc d’entrer dans un film quand vous avez le souvenir d’avoir été, dans un univers très similaire, beaucoup plus habile et malin que le personnage principal. Combien de fois, devant Overlord, n’ai-je pas hurlé au héros malgré lui « mais éteins cette putain de lampe et passe en stealth mode, ducon! » Je me suis même surpris à chercher dans le décor des ustensiles pouvant être utilisés comme armes, histoire d’économiser les munitions. Et, oui, j’ai poussé un grand « Mediiiic! » au premier comparse descendu par les Krauts.

Pilou Asbaek dans Overlord.
Pilou Asbaek dans Overlord.© ISOPIX

Mon cerveau n’est donc pas complètement éteint. En principe, devant un film, il devrait fonctionner en mode passif, se contenter de downloader des données à traiter plus tard. Or, là, il surchauffe à fabriquer des hyperliens. Pour tout dire, devant Overlord, je n’ai pas ressenti que de la nostalgie pour le jeu Medal of Honor et, par extension, Wolfenstein (auquel j’ai beaucoup moins joué). Il m’est aussi venu en tête des questions que je ne me serais jamais posées il y a seulement quelques semaines. De vraies ruminations de snowflakes: est-ce bien éthique de transformer une réalité aussi traumatisante que le débarquement de Normandie de 1944 en pop-corn révisionniste? N’est-ce pas honteux de se baser sur les horribles expériences du Docteur Mengele et de ses séides pour tartiner du scénario de comic book avec des nazis immortels, du moins tant qu’on ne leur balance pas un bâton de dynamite entre les roubignoles? Et pourquoi avoir attendu 2018 pour donner les rôles principaux d’un film de guerre à un jeune afro-américain et à une femme? Les 10 Salopards & les 2 Connasses, ça aurait pu être pas mal pourtant, non? Ou Les Canons de Navarone avec Raquel Welsh à la place de Gregory Peck… Et Overlord 2, on le fait dans les catacombes de Paris en 45 ou en 46 en Forêt-Noire avec les divisions Werwolfs qui seraient de vrais loups-garous?

Mon cerveau n’accepte tout simplement plus la détente à l’ancienne.

Bref, outre une capacité drôlement boostée à produire beaucoup d’air chaud entre mes deux oreilles, il semble en fait que depuis le confinement, mon cerveau n’accepte tout simplement plus la détente à l’ancienne. Le visionnage largement passif d’un film, peu importe qu’il soit bon ou mauvais. Ce n’est pas que mon attention soit caviardée parce que constamment mobilisée par les notifications de mon téléphone ou une angoisse en roue libre pour la santé de mes proches et l’état général du monde. Je ne checke pas Twitter et Facebook constamment. Je ne lis les actualités que le matin et le soir et j’ai déprogrammé sur le smartphone la plupart des notifications, de toute façon silencieuses, longtemps avant cette crise sanitaire. Pourtant, je n’arrive plus à entrer complètement dans un film. Sans doute parce que je suis désormais habitué à traiter sur la journée différentes informations en même temps, qu’une histoire trop simple m’ennuie parce que la situation sanitaire et sociale a considérablement augmenté le taux de cortisol et d’adrénaline dans un système déjà pas mal trempé dans la caféine et l’alcool. Il faut donc que ça piffe, paffe et pouffe, et grave encore bien, sinon je n’ai pas ma dose. En fait, c’est comme si mon cerveau reprochait à un film de ne pas être aussi stimulant et réactif qu’une chaîne d’info en continu, un jeu vidéo ou un clash sur Twitter. Que les histoires trop simples m’ennuient, que j’ai désormais besoin de les habiller de vannes, de réflexions plus ou moins débiles et de digressions pour qu’elles m’apparaissent consommables. Autant dire qu’à ce train-là, dans un an ou deux, je ne trouverais plus rien à redire aux Avengers, adaptations DC Comics, Star Wars, James Bond et autres Mission Impossible. Je consommerai des films sans réel scénario, dont l’enchaînement de scènes spectaculaires ne laisse pas le temps au recul, encore moins à la réflexion. Je verrai ces trucs par nécessité plus que par plaisir, surtout pour abrutir cette voix en moi qui jacte comme un morveux hyperactif après sa sixième Vodka-Red Bull. Oh, mais hé! Est-ce que je ne viendrais pas en fait tout simplement d’enfin comprendre le cinéma du XXIe siècle? Merci le confinement!

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