Dans Apples, Christos Nikou se plaît à inventer un monde où l’amnésie se répand à la manière d’un virus

Dans Apples, Christos Nikou se plaît à inventer un monde où l'amnésie se répand à la manière d'un virus.
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Le Grec Christos Nikou questionne la culture de l’oubli qui est la nôtre en imaginant un contexte de pandémie où les hommes et les femmes seraient soudainement frappés d’amnésie.

La vie fait parfois bien les choses. À peine arrivé à la Mostra de Venise, en septembre 2020, Christos Nikou, jeune réalisateur grec venu présenter là son tout premier long métrage, Apples, en ouverture de la section Orizzonti, reçoit un message: Cate Blanchett cherche à le rencontrer. « C’était un peu inattendu, je dois dire, se marre-t-il en nous racontant l’anecdote lors du dernier festival de Gand. Elle avait vu le film le tout premier jour de la Mostra et voulait déjeuner avec moi. J’y suis allé évidemment, je n’allais pas non plus me faire prier (sourire). Et il se trouve qu’on a passé un super moment à discuter de cinéma avec passion. On s’est tout de suite rendu compte que c’était la naissance de quelque chose, d’une amitié et d’une collaboration. Elle avait tellement aimé Apples qu’elle voulait me demander si elle pouvait devenir productrice exécutive pour en assurer la promotion via sa société Dirty Films… »

Dans Apples, Christos Nikou se plaît à inventer un monde où l'amnésie se répand à la manière d'un virus

Fort de ce soutien inespéré, Apples commence alors la tournée des festivals: Toronto, Chicago, Glasgow, Dublin, Séville, Zurich, Hong Kong, Adélaïde… Divers prix à la clé. Un véritable marathon international qui débouche aujourd’hui sur une sortie officielle belge à ce point tardive qu’elle pourrait faire oublier que le film a été imaginé et conçu bien avant une certaine pandémie de coronavirus avec laquelle son scénario entretient pourtant de troublantes correspondances. Dans Apples, en effet, Christos Nikou imagine un monde frappé d’une étrange épidémie: des hommes et des femmes y deviennent soudainement amnésiques. C’est le cas, par exemple, d’Aris, un homme qui, ayant donc perdu la mémoire, se retrouve embrigadé dans un programme spécial proposant un traitement d’un genre inédit destiné à lui construire une nouvelle identité. Chaque jour, il doit effectuer des tâches prescrites par ses médecins sur cassette, et capturer les nouveaux souvenirs qui en découlent à l’aide d’un appareil photo instantané de type Polaroid. « Je cherchais à utiliser tout ce contexte pandémique et cette idée d’amnésie généralisée comme un outil allégorique pour parler de la manière dont nous vivons aujourd’hui: notre dépendance à toutes sortes d’appareils qui supplantent notre mémoire, notre aptitude à oublier facilement les choses… »

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Mangez des pommes

Jeune mec débrouillard et inventif, Christos Nikou n’a jamais fait d’école de cinéma. Dès l’enfance, il baigne dans un univers de films, qu’il visionne compulsivement, allant parfois jusqu’à en louer trois par jour au vidéoclub athénien où il a alors ses habitudes. Il a 14 ans seulement quand il découvre The Truman Show de Peter Weir, énorme coup de coeur à la fin duquel il prend une décision déterminante: il sera un jour réalisateur. Dès l’âge de 16 ans, il commence à écrire des scénarios pour se faire la main puis parvient, quelques années plus tard, à s’improviser au bluff assistant réalisateur sur le fameux Canine de son compatriote Yórgos Lánthimos (2009), poste pour lequel il n’a absolument aucune expérience. « Au début du tournage, je voyais bien que tout le monde me regardait avec circonspection sur le plateau, sourit-il avec le recul. J’avais eu vent de ce projet qui m’attirait beaucoup et j’y suis vraiment allé au culot. J’ai beaucoup appris sur ce film. »

Dans la foulée, il enchaîne les boulots d’assistant réalisateur sur plusieurs tournages importants, dont celui de Before Midnight de Richard Linklater (2013), tout en signant en parallèle un premier court métrage en solo, KM (2012). L’idée d’Apples lui vient suite au décès de son père: « Je n’arrivais pas à oublier sa mort, elle occupait toutes mes pensées. J’ai alors essayé de comprendre comment fonctionnent nos souvenirs. Notre mémoire est-elle sélective? Peut-on effacer quelque chose qui nous blesse? Comment aller de l’avant suite à un deuil? De toutes ces questions est née l’idée d’imaginer un monde où l’amnésie se répandrait à la manière d’un virus. J’ai toujours beaucoup aimé les histoires conceptuelles et dystopiques qui inventent des mondes légèrement différents du nôtre pour mieux nous apprendre à le regarder et le comprendre. Je pense à un film comme Eternal Sunshine of the Spotless Mind, par exemple. Mais aussi à Holy Motors ou bien Children of Men »

Dans Apples, Christos Nikou se plaît à inventer un monde où l'amnésie se répand à la manière d'un virus

Dans Apples, on recommande à Aris, le protagoniste, de manger des pommes afin d’améliorer sa mémoire. « Il se trouve que mon père avait une mémoire incroyable et qu’il pouvait manger jusqu’à sept ou huit pommes par jour. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai choisi de donner ce titre au film. Mais il y en a d’autres. Aujourd’hui, nous avons pris pour habitude de stocker nos données sur des appareils de marque Apple: iPhone, MacBook… Notre mémoire des choses dépend donc désormais énormément de ces machines. Or, je crois beaucoup à l’idée que nous sommes la somme de nos souvenirs. Ils nous construisent et nous façonnent. Parfois, bien sûr, ils peuvent avoir sur nous un effet dévastateur mais même les mauvais souvenirs sont importants, je trouve. C’est toujours une bonne chose de se souvenir. Pour moi, il est en tout cas assez effrayant de vivre dans un monde qui oublie aussi facilement les choses. Et il est certainement très questionnant de confier notre mémoire à des machines… »

Objet singulier adepte du décalage absurde et d’un rapport au corps hérité du burlesque, Apples marque la naissance d’un cinéaste qui promet beaucoup. Son prochain film, Fingernails, produit par sa nouvelle amie Cate Blanchett, parlera d’amour et mettra en scène une certaine Carey Mulligan. « C’est vraiment l’idée d’explorer l’expérience contemporaine du sentiment amoureux dans un monde où l’amour n’est plus une priorité… »

Apples. De Christos Nikou. Avec Aris Servetalis, Sofia Georgovassili, Anna Kalaitzidou. 1h30. Sortie: 13/04. ***(*)

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