Boston Strangler: l’affaire de l’étrangleur de Boston vue du côté féminin

Carrie Coon et Keira Knightley incarnent deux journalistes avant-gardistes sur la piste du tueur. © 2023 20th century fox studios

Avec Boston Strangler, Matt Ruskin fait entrer dans l’Histoire les deux journalistes qui ont permis de mettre en lumière les exactions d’un tueur en série qui a terrorisé la ville à la fin des années 60. On a rencontré le réalisateur américain.

Aux États-Unis, The Boston Strangler est un mythe de l’Histoire criminelle, nourrie de ces serial killers iconiques, figures par excellence du mal. L’affaire de l’étrangleur de Boston désigne une série de treize meurtres de femmes (que l’on n’appelle donc pas encore féminicides) par strangulation, entre 1962 et 1964, qui a passionné les médias. L’assassin pénètre sans effraction dans le domicile des victimes, dont les profils s’élargissent au fil du temps, et la terreur plane sur la ville. L’enquête piétine longtemps, les différents services de police peinant à recouper leurs informations, avant qu’un homme ne passe aux aveux: Albert DeSalvo. Seulement voilà, sa culpabilité est remise en doute. On s’interroge sur un possible coup monté, d’autant que DeSalvo est condamné pour de tout autres faits, et interné en psychiatrie.

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Très vite, la littérature et le cinéma s’emparent de ce récit. Dès 1964, William Goldman (qui écrira plus tard le scénario de All the President’s Men notamment) publie No Way to Treat a Lady, inspiré de l’affaire. Une adaptation cinématographique signée Jack Smight sort en 1968, parallèlement à L’Étrangleur de Boston, film culte notamment pour ses split screens assez psychédéliques de Richard Fleischer (le réalisateur entre autres de Vingt mille lieues sous les mers et Soleil vert), avec Tony Curtis et Henry Fonda. Même les Rolling Stones y font allusion en 1969 dans leur chanson Midnight Rambler.

Au fil des ans, le souvenir du Boston Strangler laisse place à d’autres assassins de son calibre, bien qu’on le ressuscite de temps à autre, comme en 2008 sous la plume de la méga star du polar US Patricia Cornwell, qui imagine dans The Front un cold case que l’on pourrait bien attribuer à l’étrangleur de Boston -et qui fait l’objet d’une adaptation télévisée avec Andie MacDowell. L’assassin a même son double parodique dans The Office, où l’on tremble sous les assauts du Scranton Strangler.

© Claire Folger

En 2016, alors qu’explose la mode des podcasts consacrés aux affaires criminelles, il a droit à sa propre série en douze épisodes, intitulée Stranglers. Ce n’est donc pas vraiment une surprise qu’en 2023, un auteur s’empare à nouveau de ce cas pour en livrer sa propre vision, celle de Matt Ruskin, disponible dès le 17 mars sur Disney+.

On peut bien sûr s’interroger sur cette fascination morbide, cette petite fabrique médiatique des monstres, qui permet bien tranquillement de faire comme si le mal c’était l’autre, alors que l’on sait plus que jamais aujourd’hui que les femmes ont bien plus de risques d’être tuées par un homme de leur entourage que par un parfait inconnu. C’est en partie le sujet de La Nuit du 12 de Dominik Moll, récemment célébré aux César et aux Magritte. Et c’est un peu aussi ce que semble nous dire ici Loretta McLaughlin et Jean Cole. Car c’est bien là la nouveauté de cette dernière itération cinématographique: on se penche cette fois sur la quête de vérité menée par deux journalistes, deux femmes, qui tentent d’identifier le responsable des crimes qui terrorisent la ville, et qui croisent un véritable défilé d’hommes violents dès qu’elles se penchent sur le passé des victimes.

Actualiser le mythe

Évidemment, on ne traite plus en 2023 une histoire de serial killer fétichiste comme on le faisait en 1968. Mais en découvrant la complexité du cas, et surtout, ces deux héroïnes qui étaient jusqu’ici restées sous le radar, Matt Ruskin, scénariste et réalisateur (il a signé Booster en 2012 et Crown Heights, sélectionné à Sundance, en 2017), se sentait appelé par le sujet: “J’ai grandi à Boston, et j’ai toujours entendu parler du Boston Strangler, tout en ne sachant pas grand-chose de l’affaire. Il y a quelques années, je cherchais un nouveau sujet de film, et j’ai commencé à lire beaucoup de choses sur le sujet. J’ai découvert que c’était une affaire criminelle bien plus complexe qu’elle n’en avait l’air, où de nombreuses strates se superposaient. Je suis tombé sur une interview de Loretta McLaughlin, la journaliste qui avait sorti l’histoire, la première à relier les meurtres entre eux, et à utiliser l’expression Boston Strangler. J’adore les films de journalisme, et je me suis mis à rechercher tout ce que je pouvais trouver sur elle. Au même moment et un peu par hasard, je me suis aperçu que je connaissais la petite-fille de l’autre journaliste avec laquelle elle avait travaillé, Jean Cole. J’ai pu rencontrer leurs familles, qui m’ont donné accès à de précieuses archives, journaux, articles et photos d’époque. Ces femmes ont accompli un travail admirable, déterminant, et je me suis dit que cette histoire, leur histoire ferait un très bon film.

Le film tisse deux trames narratives. D’un côté, l’enquête, plutôt classique, sur les meurtres. Les investigations des deux journalistes se développent en parallèle à celles de la police, qui étaient au cœur du film de Richard Fleischer -jusqu’à en illustrer l’absurdité quand les enquêteurs ont recours à un célèbre médium. De l’autre, le parcours personnel de Loretta, au sein de la rédaction, où l’on tente de la cantonner à des sujets considérés comme “féminins” (bien-être, électroménager), sur le terrain, où elle est souvent la seule femme, et à la maison, où malgré les encouragements initiaux de son mari, les tensions viennent vite assombrir son petit cocon parental et conjugal.

Un duo féminin efficace face à une police (Alessandro Nivola) quelque peu démunie face aux crimes de l'étrangleur.
La police (Alessandro Nivola) est quelque peu démunie face aux crimes de l’étrangleur. © 2023 20th century fox studios

Comme dans She Said, autre film d’investigation journalistique sorti récemment sur l’affaire Weinstein et l’avènement du mouvement #MeToo, la vie personnelle des protagonistes fait écho à leur parcours professionnel et à leurs découvertes. Ces scènes ménagères, peu nombreuses mais marquantes (le cinéaste cite d’ailleurs Jeanne Dielman de Chantal Akerman dans ses inspirations), contribuent aussi à ancrer le récit dans une époque. “On ne peut pas raconter l’histoire de ces deux journalistes sans parler de l’époque, et du sexisme auquel elles ont dû faire face, souligne Matt Ruskin. Au début des années 60, les salles de rédaction étaient largement dominées par les hommes. Loretta a grandi avec un père qui, bien qu’il n’ait pas suivi de cursus universitaire, lisait la presse tous les jours et qui était bien informé de la politique. C’était aussi une fan de cinéma, en particulier de Katharine Hepburn. Quand elle la voyait dans des films où elle incarnait des personnages de femmes fortes -avocate, aviatrice, militante ou autre-, elle se disait: pourquoi pas moi? Loretta a tout mis en œuvre pour accomplir sa vocation de reporter. Elle a étudié le journalisme à l’université de Boston, elle était compétente, avait commencé à acquérir de l’expérience et voulait faire de l’investigation. Mais à l’époque, de nombreux obstacles se dressaient sur le chemin des femmes journalistes dès qu’elles voulaient sortir des cases qui leur étaient attribuées. Je suis admiratif de la détermination dont elle a fait preuve et de la façon dont elle savait clairement ce qu’elle voulait faire de sa vie. Son parcours me semble extrêmement inspirant et a encore une résonance très forte aujourd’hui.

Ce qui frappe aussi dans le film, c’est la façon dont est mise en lumière l’empathie que déploient ces journalistes confrontées à ces disparitions de femmes. Loretta dresse rapidement le constat que ces femmes, qui semblent ne pas avoir de signes distinctifs, sont des anonymes au même titre que les lectrices du journal. Elles ne se connaissent pas dans la vie, mais deviennent sœurs dans la mort.Dans ce cas très particulier du Boston Strangler, le fait que Loretta et Jean posent un point de vue de femmes sur l’affaire leur permet aussi d’adopter le point de vue des victimes, d’essayer de comprendre qui elles étaient, et donc qui pouvait être le meurtrier. Et avant tout, d’essayer de comprendre pourquoi tout cela arrivait.

Ces femmes à première vue sans histoire se révèlent toutes ou presque avoir un passé marqué par des traumas divers, de mauvaises rencontres et des hommes violents. C’est peut-être ça, finalement, leur condition commune. Et c’est ce que peinent à voir les hommes qui mènent l’enquête, notamment les policiers. “Ces femmes ont travaillé nuit et jour pour faire en sorte que les gens, et surtout les femmes, soient informés, à un moment où la police était en retard sur l’enquête, ne parvenait pas à mettre fin à cette série sanglante. Il faut bien se rendre compte que quand Loretta distingue un motif récurrent dans les meurtres et souligne qu’il s’agit sûrement de l’œuvre d’un seul et même homme, on est dix ans avant que le terme serial killer ne soit utilisé communément. On n’avait jamais rien vu de semblable. Le domaine de la criminologie était tout juste naissant, le fait d’essayer de déterminer le profil psychologique des meurtriers n’était pas aussi répandu. Le Boston Police Department n’était pas une institution très efficace, et Loretta et Jean ont aussi œuvré pour protéger les gens. Elles voulaient aussi interpeller la police, la mettre face à ses responsabilités pour qu’elle travaille mieux et plus vite alors que la vie des femmes était en danger.” C’est aussi cette question de la force d’apporter un point de vue situé (ici celui de deux femmes) sur une situation pour la comprendre différemment qui offre aujourd’hui au film une résonance toute particulière, interrogeant en passant le mythe de la neutralité journalistique, qui serait celle du masculin neutre.

Boston Strangler

1962. Loretta McLaughlin ronge son frein au service Lifestyle du journal Record-American. Elle qui rêvait de grands reportages, on la charge de couvrir la sortie des nouveaux grille-pain. Quand un jour elle constate des similitudes entre d’inquiétants meurtres classés dans la rubrique faits divers, elle supplie son rédacteur en chef de lui en attribuer la couverture. D’abord réticent, il finit par lui confier cette mission, mais lui impose Jean Cole, une collègue avec laquelle elle va former un duo percutant. Alors que Loretta et Jean luttent pour asseoir leur légitimité professionnelle tout en préservant leur vie personnelle, elles s’obstinent dans leur quête de vérité. Au-delà de la résolution de l’énigme, à travers le combat de Loretta et Jean, c’est aussi celui des femmes des années 60 confrontées à un milieu professionnel profondément sexiste qui est ici représenté et qui permet de mesurer les victoires obtenues, mais aussi la persistance des préjugés et les avancées encore à parcourir. Matt Ruskin signe un filme bien interprété, bien produit (la reconstitution historique est précise et réaliste), dont l’écho avec l’époque actuelle est interpellant, mais d’une facture néanmoins assez classique, qui ne révolutionne ni le film noir, ni le film de journalisme.

De Matt Ruskin. Avec Keira Knightley, Carrie Coon, Chris Cooper. 1 h 52. Disponible dès le 17/03 sur Disney+. ***

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