Critique | Cinéma

Annie Colère: piqûre de rappel

3,5 / 5
Annie (Laure Calamy, à gauche) va trouver dans le Mlac et la sororité l’instrument de son émancipation. © National
3,5 / 5

Titre - Annie Colère

Genre - Drame

Réalisateur-trice - Blandine Lenoir

Casting - Laure Calamy, Zita Henrot, India Hair

Sortie - En salles

Durée - 2h00

Critique - Jean-François Pluijgers

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Dans Annie Colère, Blandine Lenoir revient sur l’action du Mlac qui, en pratiquant des avortements illégaux à la vue de tous en France au mitan des années 70, allait donner aux femmes l’instrument de leur émancipation.

C’est le genre de film dont l’on dit qu’il est nécessaire. Dans Annie Colère, son troisième long métrage, Blandine Lenoir revient sur un épisode quelque peu oublié de la lutte pour le droit à l’avortement en France, lorsque, il y a tout juste 50 ans, en 1973, des médecins et des féministes, hommes et femmes, devaient créer le Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception (Mlac). À une époque où des centaines de femmes continuaient à mourir des suites d’avortements clandestins, les bénévoles du Mlac allaient pratiquer des avortements illégaux aux yeux de tous en recourant à la méthode Karman, accompagnant les patientes sur la voie de l’émancipation et de l’éveil à la conscience politique. Un acte de désobéissance civile qui allait durer 18 mois et paver le terrain pour la future loi Veil. Et une action que la cinéaste évoque par le biais d’une fiction documentée, suivant le parcours d’Annie (l’incontournable Laure Calamy), une mère tombée enceinte accidentellement, qui va trouver dans le mouvement une structure d’accueil, d’écoute et d’entraide.

Un mouvement mixte

L’idée de ce film a germé quand j’ai découvert l’existence du Mlac lors d’un colloque féministe, explique Blandine Lenoir, venue présenter le film à Bruxelles. J’ai trouvé ce mouvement passionnant, mais j’ai aussi été sidérée de voir comment cette histoire avait été oubliée. Peu de gens la connaissent, ce qui m’a fait réaliser à quel point le récit historique était un rapport de force: si on ne veut pas raconter quelque chose, c’est oublié très rapidement. En France, il y a vraiment le roman national, qui a été écrit avec une ministre, seule, dans une assemblée faite d’hommes. Et effectivement, Simone Veil a fait preuve d’un courage admirable, et a porté cette loi (légalisant l’IVG, NDLR) avec beaucoup de force. Mais si Giscard d’Estaing lui a demandé de la porter, c’est parce qu’il y a eu une mobilisation civile très forte. Je trouvais important de raconter ça.

Pour nourrir le film, Blandine Lenoir et sa coscénariste Axelle Ropert se sont appuyées sur des sources diverses, le documentaire Regarde, elle a les yeux grand ouverts, ouvrage collectif du Mlac d’Aix-en-Provence notamment, mais aussi la thèse de 800 pages, résultat de cinq ans de travail, qu’avait consacrée une chercheuse, Lucile Ruault, au mouvement. Une mine d’or, à partir de laquelle il fallait construire une fiction: “J’aurais pu faire 200 films différents, relève la cinéaste. Je suis partie de ce qui m’a le plus intéressée, l’entrée en politique de gens ordinaires, pas forcément politisés, ni très éduqués. Et aussi le fait qu’une espèce de classe de femmes se soit constituée, annulant toute hiérarchie sociale, et qu’elles étaient toutes ensemble dans un but commun, avec des hommes auprès d’elles. C’est un mouvement mixte: hommes et femmes, médecins et non-médecins, ouvrières et bourgeoises, etc. Du coup, je suis partie d’une ouvrière qui rejoignait le Mlac et découvrait la force du collectif, et une capacité qu’elle ne se connaissait pas, parce que de même qu’elle est portée par les autres, elle en porte d’autres également.

À sa juste place

Cette ouvrière, c’est donc Annie, mère de deux enfants travaillant dans une fabrique de matelas qui, le jour où elle se retrouve enceinte accidentellement, décide de franchir la porte d’une librairie accueillant une permanence du Mlac. Un rôle taillé sur mesure pour Laure Calamy, avec qui la réalisatrice avait déjà travaillé sur Zouzou, et qui, sous les traits d’une femme anonyme trouvant son épanouissement personnel dans la lutte collective, donne au film un puissant élan de fiction. Non sans que Blandine Lenoir ne veille à documenter l’action du Mlac, les longs échanges unissant ses membres (incarnés notamment par Zita Henrot et India Hair), mais aussi la pratique des avortements, dans six scènes d’une grande douceur. “Ce qui m’a bouleversée, c’est que le Mlac remettait enfin l’avortement à sa juste place, explique-t-elle. C’est-à-dire qu’arrêter une grossesse non-désirée, c’est un soulagement, pour la femme, pour le couple, pour la famille. Dans le film, il y a six avortements, plus que dans toute l’Histoire du cinéma, pour dire le tabou que c’est, si l’on sait que ça concerne une femme sur trois. Aucune image n’est choquante, et c’est normal, parce que dans d’autres films, c’est toujours l’avortement clandestin, avec des méthodes atroces, qui est représenté. Alors que l’avortement du Mlac était un soulagement. C’était une intervention médicale, qui est devenue une intervention sociale, puisqu’on en profitait pour éduquer les femmes sur leur corps, la sexualité, la contraception, on prenait complètement en compte qui elles étaient.

Si la réalisatrice convoque encore le souvenir de Delphine Seyrig, intervenant vertement en 1972 dans un débat télévisé sur la question animé par Jean-Pierre Elkabbach, Annie Colère parle cependant au présent, à l’heure où l’on voit le droit à l’IVG menacé tous azimuts. “Il y a dix ans, j’ai fait un court métrage qui s’appelait Monsieur l’abbé qui traitait déjà de ces questions. Ça fait longtemps que je vois la loi reculer, en Espagne, en Italie, il y a 80% des médecins qui sortent la clause de conscience, en France, il y a 180 centres IVG qui ont fermé en quinze ans. C’est pour ça aussi que je voulais faire ce film: pour défendre une loi, il faut connaître son histoire. J’appartiens à une génération qui est née avec le droit à la sécurité sociale, à la contraception, aux congés payés, des choses que l’on croyait acquises, et c’est pour ça que la lutte a cessé. Tous ces droits ont été arrachés de haute lutte. Quand on arrête de se battre, ils sont en danger. Donc, il faut affirmer haut et fort que l’on défend ce droit…

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