A Ciambra : la vie, en marges

L'épatant Pio Amato, dans son propre rôle, au coeur d'un film à l'approche quasi documentaire. © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Le réalisateur italien Jonas Carpignano ancre son deuxième long métrage dans une communauté rom de Calabre, âme d’un récit d’apprentissage enlevé.

Tourné dans une petite communauté rom de Calabre, A Ciambra, le deuxième long métrage du cinéaste italien Jonas Carpignano (Mediterranea), est une expérience viscérale comme le cinéma n’en propose que rarement. Adoptant une approche quasi documentaire, le réalisateur ancre dans une réalité haute en couleur un récit d’apprentissage stimulant, l’histoire de Pio (Pio Amato, formidable dans son propre rôle), un adolescent flirtant avec les embrouilles et pressé de trouver sa place dans ce monde… Soit la chair d’un film porté par une énergie peu banale et qui, après avoir enthousiasmé la Quinzaine des Réalisateurs, compte parmi les favoris des prochains Donatello du cinéma italien, avec ses sept nominations.

A Ciambra : la vie, en marges
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Si le film constitue une telle réussite, c’est notamment parce qu’il ne donne jamais l’impression de tricher. Installé à Gioia Tauro, une ville du sud de l’Italie où il s’était rendu en 2010 pour tourner un film sur les émeutes raciales, Carpignano y a bientôt fait connaissance de Pio, de sa famille, les Amato, ainsi que de la communauté rom dans laquelle ils vivent. « J’ai rencontré Pio pour la première fois lorsque je tournais un court métrage intitulé A Chajna, et que des gens de sa famille, on va dire, ont volé ma voiture avec tout mon matériel à l’intérieur, commence-t-il rigolard, alors qu’on le rencontre en marge de la Berlinale, où il siège dans le jury des premières oeuvres. Je me suis rendu à la Ciambra pour la récupérer (l’épisode figure dans le film, et est interprété par son père, NDLR) et j’ai découvert ce monde dont je ne soupçonnais même pas l’existence. Mon intérêt pour cette communauté n’a ensuite cessé de croître, et j’ai commencé à y passer beaucoup de temps, surtout dans la famille Amato, afin de comprendre à quoi ressemblait leur vie. Jusqu’au jour où l’idée de faire un film autour de Pio a pris forme. »

A Ciambra : la vie, en marges

Nous contre le monde

Un processus de longue haleine, le cinéaste gagnant la confiance de la famille – « ils ont vu que j’étais sincère et que je n’avais pas d’agenda, et ont baissé la garde »– avant celle de la communauté, le tournage de Mediterranea, son premier long où il s’attachait à des migrants africains débarquant en Calabre, et dans lequel Pio jouait un petit rôle, achevant de resserrer les liens. A Ciambra fait pour sa part converger deux réalités, celle de ces migrants et celle de la communauté rom où grandit Pio. « J’aime quand le cinéma nous rapproche d’univers que nous ne saurions sinon apprécier. Je me suis senti privilégié d’avoir pu me joindre aux habitants de la Ciambra, mais j’ai aussi éprouvé la responsabilité de montrer à quoi ressemblait leur style de vie à ceux qui ont des préjugés à leur égard. Et comme le premier film que j’avais tourné là-bas portait sur des communautés de migrants, j’ai voulu voir comment leur relation allait évoluer, si ces communautés marginalisées s’assemblent ou non, et dans quelle mesure ça pourrait modifier la structure sociale de cet endroit. » Histoire, qui sait, de rompre un jour avec le « c’est nous contre le monde » martelé par le patriarche de la tribu – « la plus grande force, mais aussi la plus grande limite de cette communauté réside dans ce sens de la solidarité qui, s’il leur a permis de survivre depuis presque un siècle maintenant, engendre une grande méfiance à l’égard de l’extérieur. »

A Ciambra : la vie, en marges
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Jonas Carpignano inscrit aussi son propos dans une perspective débordant le seul cadre de la Ciambra: « Ma mère est afro-américaine, et j’ai toujours été conscient de l’absence de protagonistes noirs dans le cinéma transalpin. L’image que le monde a de l’Italie s’est construite pour bonne part avec les films sortis après la guerre. Mais c’est une image tronquée, parce qu’on dirait une nation exclusivement blanche, alors qu’il y a des Italiens noirs et qu’il y en aura une nouvelle génération avec les tonnes de migrants qui arrivent. Et il y a des Roms, tout autant Italiens que d’autres. Je trouve important de contribuer à l’image de ce pays en montrant des personnages qui ne sont pas nécessairement l’immense Marcello Mastroianni ou le génial Alberto Sordi, et les Blancs que l’on croise dans ce genre de films. » Et de citer Païsa, « l’épisode napolitain en particulier, avec la rencontre entre le gamin des rues et le soldat noir américain, et le parallèle qu’il y a entre leurs existences. Rossellini est allé au coeur de ces questions, ce fut ma plus grande inspiration. »

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