Le peintre Georges Meurant est parti rejoindre l’Eternité (hommage)

Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Figure solitaire de la peinture belge, Georges Meurant s’est éteint ce 29 août. Ses toiles marquées par une expérience dynamique de la couleur n’ont pas fini de nous éclairer.

L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable ». La page Facebook de Georges Meurant (1948-2023) est formelle. Le poème de Verlaine est bien la dernière publication, il y a quatre jours, de ce peintre érudit à l’œuvre chromatique inépuisable. Hélas, celui qui fut également essayiste et grand connaisseur de la broderie d’Afrique Centrale ne verra pas refleurir « les roses de septembre », dont il est question dans le dernier vers du célèbre sonnet. On imagine sans peine l’intensité de son désir d’en sentir le parfum.

Cet aspect de prophétie ne surprend chez un artiste qu’on n’avait pas hésité à comparer à une pythie, tant il était visionnaire en matière de peinture, d’art. A plusieurs reprises dans sa demeure ixelloise obscurcie, on l’avait écouté, le souffle court, parler de peinture sans fléchir. Pour cet observateur attentif, qu’une longue maladie pulmonaire vient d’emporter, la situation était claire. « Il ne restera rien de la société de consommation, surtout pas l’art contemporain qu’elle a engendré. Les supports sont fragiles et les œuvres ne reposent que sur la légitimation par le discours. Une imposture avec des mots, de la communication, rien d’autre », avait-il coutume de répéter.

Avec sa longue barbe et sa silhouette filiforme d’adolescent trop vite projeté dans les couloirs du temps, cet homme à l’allure d’anachorète fomentait depuis longtemps une contre-proposition artistique. Après une longue période figurative à laquelle il a renoncé vers 1985, l’intéressé a ensuite effectué ses premiers pas à l’intérieur d’un nouveau territoire esthétique duquel courbes et obliques furent exclus dès 1990.

Rusé et mutique, il laissait le soin à d’autres de dérouler l’appareil critique. Ainsi de l’esthéticien Jean Guiraud qui a apposé une étiquette sur la production de Meurant : « champ figural » nommé également « induction figurale ». La définition officielle ? « L’induction figurale réalise la transmutation discontinue mais inépuisable de l’espace perceptif par les enchaînements imprévisibles d’agrégations et de désagrégations d’ensembles de formes selon une dynamique de réattribution des contours de figures rectangulaires hautement colorées en aplats. »

En clair, des huiles sur bois se découvrant comme des all over de quadrilatères contigus offrant au regardeur une expérience particulière de la couleur, l’ambition ultime du peintre. Le tout pour une sorte de dynamique vertigineuse, à circulation ininterrompue redistribuant en permanence la forme et le fond. L’œil y est comme aspiré, désireux qu’il est d’en épuiser la combinatoire.

Loin des justifications savantes, Georges Meurant livrait une clé inattendue de son odyssée à travers le foisonnement chromatique. Il avait partagé avec nous cette période de sa vie pendant laquelle il assurait le light show de groupes belges de musique, notamment à la salle de La Madeleine. On n’avait pas manqué de mesurer tout l’impact que le maniement des lumières colorées avait pu avoir sur un œil aussi avisé que le sien.

Derrière chacune nouvelle composition signée de son nom, plus de mille depuis une trentaine d’années, se cachait un travail de forcené. Rien n’était laissé au hasard, depuis l’élaboration du châssis en peuplier, qu’il confiait à un ébéniste, jusqu’au long processus d’application de la peinture à l’huile, du polissage et du séchage. Dès 2010, le fils de l’ethnographe René Meurant (1905-1977) et de l’illustratrice Élisabeth Ivanovsky a été sollicité à maintes reprises pour intégrer sa peinture dans l’architecture ou l’espace public à travers des décors monumentaux. A résulté de cette expérience une exposition considérable : des millions de personnes ont été confronté à son œuvre – le décor du bâtiment EUROPA, siège principal du Conseil européen et du Conseil de l’Union européenne, est aujourd’hui encore sans doute sa plus grande vitrine.

Toutefois, c’est son travail en atelier qui constituait sa plus grande satisfaction. « Je n’ai pas beaucoup d’illusion quant à la durée des œuvres qui s’appuient sur l’architecture ou celles qui prennent place dans l’environnement urbain. Les bâches que j’ai faite pour le chantier de rénovation de The Mint Brussels ? Deux ans. La trame du bus électrique de 24 m de long qui circulera dans l’agglomération nantaise ? C’est un contrat de 20 ans. Le siège d’AGC Glass Europe à Louvain-la-Neuve, un bâtiment qui présente 400 m2 de fresques polychromes ? J’imagine que dans 30 ans tout cela sera désossé comme l’Atomium. Mes tableaux en revanche sont fait pour durer plusieurs siècles », analysait-il avec beaucoup de lucidité. Comme chez Rimbaud, le « Quoi ? » de Meurant n’appelle qu’une seule réponse : « L’Éternité ». Il la mérite. Il l’a.

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