Les Nuits du Beau Tas, le off alternatif et rigolard des Nuits Bota

"J'avais contacté Paul-Henri Wauters mais il m'a dit que le off devait rester en off", sourit Pierre-Jean Vranken, créateur des Nuits du Beau Tas. © Philippe Cornet
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Pierre-Jean Vranken, ancien programmateur au Botanique, organise les Nuits du Beau Tas, festival alternativo-iconoclaste d’un quinqua tenté par les dissidences, du catch aux musiques contemporaines.

Dans Rude Boy, le rockumentaire de 1980 consacré à Clash en pleine tourmente politico-punk, l’un des musiciens du groupe demande au roadie Baker s’il veut bien « arrêter de sourire en permanence, juste pour un moment« . On en viendrait presque à cet ordre de marche face à Pierre-Jean Vranken et sa greffe de zygomatiques en façade. Celle-ci étant également garnie d’une tignasse anar et de ce que leur propriétaire définit comme « de petits yeux fermés« . Les mêmes features d’alterbouddha caractérisent déjà la démarche décontractée de PJV lorsqu’on le croise sans cesse dans les allées du Botanique courant nineties. On est en 1991 et Vranken entame l’organisation d’une décennie de concerts dans l’institution de la rue Royale en plein développement: « Il y avait du théâtre, de la danse, c’était plus multidisciplinaire et plus éclectique que maintenant. Il n’y avait pas la même frénésie et la prog était davantage qualitative que quantitative. C’était également une période où l’Ancienne Belgique est passée par des travaux et le Botanique en a sans doute bénéficié. »

Avec celui qui est alors son ami, Paul-Henri Wauters -aujourd’hui directeur-adjoint du Botanique-, Pierre-Jean crée en 1993 Les Nuits Botanique qui percolent dans les nocturnes bruxelloises. En 2001, pourtant, la grand-messe rock se termine par un licenciement avec indemnités. Vranken: « J’étais délégué CGSP et le conseil d’administration du Botanique a décidé de me virer. Cela ne se passait plus très bien avec la direction, c’était pesant, il y avait beaucoup de tension… » Sans boulot, PJV attrape alors un poste de prof à l’Institut Saint-Joseph, « école d’une violence incroyable« . Une carrière dans l’enseignement toujours active, ces temps-ci dans une école ixelloise où Pierre-Jean dispense 20 heures de morale par semaine « rayon philo et citoyenneté » à des juniors de 13-20 ans.

Triple branche

Né en 1962 dans le namurois, PJV vient d’une famille « plutôt bourgeoise« et grandit à Jemeppe-sur-Sambre, « gros village industriel, moins moche que Charleroi, mais avec des usines comme celles de Solvay et de Securit, dont mon grand-père avait été directeur« . La campagne n’est pas loin, tout comme la new wave & consorts que Pierre-Jean visite régulièrement au Plan K molenbeekois, s’y gavant de Birthday Party, du Pop Group ou des Slits mais aussi de Gavin Bryars ou This Heat. Triple branche musicale -rock, contemporaine et expérimentale- sur laquelle Pierre-Jean semble toujours assis aujourd’hui, portant la leçon métissée de ces années-là jusqu’aux Nuits du Beau Tas 2017. Quinze soirées dans presque autant de lieux bruxellois, coutumiers de musique ou pas, nourris de noms familiers ou beaucoup moins. On rencontre PJV aux Halles St Géry, ancien marché couvert de la fin XIXe dignement restauré et lieu de clôture des Nuits le 13 mai. « Au sous-sol se tiendra une soirée d’électronique avec aussi un peu de dance, incluant Mathias Delplanque, et au rez, une soirée consacrée à John Cage, toujours une référence contemporaine majeure, au-delà de ses fameuses 4 minutes et 33 secondes de silence (1). Référence à la fois pointue et « grand public », vu la réaction des gens sur Facebook à l’annonce du programme. » Ce soir de fermeture des festivités, la cerise sur le gâteau sera la participation in vitro de Pierre-Jean -musicien tout-terrain, notamment dans Anal+…- accompagnant sa fiancée, la chanteuse lyrique Christina Van Peteghem.

Si l’on coche quelques noms repérés à ces Nuits du Beau Tas comme Mauro Pawlowski le 29 avril au Barlok ou les shoegazers de Seefeel en ouverture du festival, la veille au Brass, on s’y perd un peu dans le reste. Soit des propositions éclatées entre underground, sons alter, noisy et cette musique contemporaine éternellement soupçonnée d’hermétisme -pour rester poli- par la psyché rock. Pour expliquer ses choix artistiques, Vranken rappelle que son festival est comme un « rhizome, mot qui, dans la nature, désigne les racines, mais qui chez Gilles Deleuze, mort en 1995 (dont le visage est repris sur l’affiche, NDLR), se réfère à une organisation non-hiérarchique, contraire à l’arborescence classique. Une idée un peu anar, et une ouverture qui intègre dans cette édition 2017 le rock, l’électro, la performance comme celle de Lich Lelapin ou encore le contemporain d’Ensembles fractales et de mon vieux copain, le compositeur Jean-Luc Fafchamps. » Et sur ce, Pierre-Jean refait son fameux sourire chinois, celui qui incarne autant la zen-attitude qu’une inlassable curiosité pour les sons comme pour les lieux choisis. De la géniale église des Brigittines au Café Central en passant par le Magasin 4, le tout fonctionnant comme une fédération de salles qui, pour le festival, mettent sur pied leur propre menu en indépendance, y compris financièrement. Après des rêves de journalisme, PJV a un moment travaillé comme musicothérapeute à La Ramée, clinique psychiatrique uccloise. Il en a gardé des souvenirs forts, par exemple ceux de réfléchir aux frontières de la normalité: « L’expérimentation fait avancer la musique dans un contexte où la musique commerciale est de plus en plus pauvre. J’espère ouvrir les gens à des choses intéressantes, également via un esprit festif et décalé, d’où notre soirée du 6 mai rue de la Grande Île, avec une dizaine de catcheurs qui se produisent en alternance avec de jeunes groupes bruxellois… »

On en oublierait même la question à cinq euros: que pense le Botanique officiel de son quasi-homonyme? Vranken: « J’avais contacté Paul-Henri Wauters mais il m’a dit que le off devait rester en off. » Même si a priori, le Beau Tas ne nuit pas à la santé. En tout cas pas celle des zygomatiques.

(1) CONÇUE À LA FIN DES ANNÉES 40 PAR CAGE, LA PIÈCE CONSISTE D’ABORD À ÉCOUTER L’ENVIRONNEMENT SONORE EN L’ABSENCE DE MUSIQUE JOUÉE.

LES NUITS DU BEAU TAS, DU 28 AVRIL AU 13 MAI EN DIVERS LIEUX À BRUXELLES.

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