Critique

[Le film de la semaine] Paterson, de Jim Jarmusch

Adam Driver dans Paterson de Jim Jarmusch. © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

CHRONIQUE | Jim Jarmusch signe une merveille de film, exaltant un quotidien dont il explore les infimes variations. Un haïku cinématographique où il ferait bon vivre…

[Le film de la semaine] Paterson, de Jim Jarmusch

Entamé il y a un peu plus de 35 ans, le parcours de Jim Jarmusch l’a vu emprunter une voie toute personnelle, filmant un ailleurs pourtant très familier dans une oeuvre semblant devoir se soustraire au temps. Ce temps qui est justement au coeur de Paterson, un nouveau film apparaissant, à bien des égards, comme la quintessence de l’art du cinéaste new-yorkais.

Paterson est le nom d’une petite ville du New Jersey ayant donné son titre à un recueil du poète William Carlos Williams. C’est aussi le patronyme du personnage central de l’histoire, Paterson (Adam Driver) donc, vivant dans la bourgade éponyme avec sa copine Laura (Golshifteh Farahani) et leur dogue anglais, Marvin. Un individu tranquille, consignant chaque jour dans un carnet secret des poèmes dont il puise l’inspiration dans l’observation des petites choses de la vie et un quotidien réglé comme du papier à musique. Lequel commence, invariablement par le baiser amoureux qu’il porte, aux environs de 6 heures 15, à sa compagne encore assoupie, chacun s’affairant ensuite à ses activités: pendant qu’il ira prendre son service au dépôt, sillonnant les rues de la ville dans le bus 23, elle habillera leur maison de noir et blanc jusqu’à l’obsession, non sans préparer force cupcakes à l’inévitable bichromie eux aussi. A moins qu’elle ne s’imagine chanteuse country, une guitare -Harlequin comme il se doit- comme instrument de ses aspirations. Et le couple de se retrouver, le soir venu, devant l’une de ses fantaisies culinaires avant que Paterson ne s’en aille promener Marvin (ou peut-être est-ce l’inverse), ponctuant la sortie d’une bière dans son rade habituel, le Shades Bar (qui fut autrefois le Trees Lounge de Steve Buscemi).

Cinéma en lévitation

« Le film se veut un antidote à la noirceur et à la lourdeur des films dramatiques et du cinéma d’action« , écrit Jarmusch dans sa note d’intention. Modeste en apparence, Paterson exalte, tout en décalage délicat nourri d’humour sensible, un quotidien dont il explore les infimes mais infinies variations sept jours durant, comme autant de strophes d’un film-poème opérant la synthèse d’un cinéma en apesanteur. Et c’est peu dire que l’on s’y laisse flotter avec bonheur, porté par les mots du poète Ron Padgett, ce sens du détail et de la rime n’appartenant qu’au réalisateur, le mouvement céleste de la mise en scène, la nonchalance bienveillante d’Adam Driver, acteur jarmuschien idéal, la présence rayonnante de Golshifteh Farahani, et l’harmonie tranquille de ce couple. Soit, évoquant l’héritage d’un Ozu, un film comme seul l’auteur de Dead Man peut les rêver, haïku cinématographique ne s’arrêtant pas à faire discrètement sens mais où l’on se plairait également à vivre -quelque chose comme du cinéma en lévitation. Ahah.

DE JIM JARMUSCH. AVEC ADAM DRIVER, GOLSHIFTEH FARAHANI, MASATOSHI NAGASE. 1H55. SORTIE: 07/12. *****

>> Lire également notre interview de Jim Jarmusch.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content