Critique

[Critique ciné] La Cravate, passionnant documentaire sur un petit soldat du FN

Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Les raisons de la colère. Un jeune militant d’extrême droite tombe le masque dans ce troublant documentaire aux accents romanesques.

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C’est le portrait d’un jeune homme un peu perdu, au passé opaque, qui semble désespérément chercher sa place dans le monde, que fait d’abord mine d’esquisser ce passionnant documentaire. Mais la réalité est, on le comprendra, sans doute un rien plus compliquée que ça… Bastien a 20 ans et milite depuis cinq années déjà au sein du principal parti d’extrême droite français quand la caméra d’Étienne Chaillou et Mathias Théry (La Sociologue et l’Ourson) s’invite dans son quotidien. Petit soldat du Front National aux aspirations parfois difficilement détricotables, le garçon est affable et complice, attachant et sincère même. Quand débute la campagne électorale pour la présidentielle, il est invité par sa hiérarchie à s’engager davantage et se prend à rêver d’endosser un jour le costume de politicien. Mais de vieux démons resurgissent alors, cristallisés dans ce saisissant moment de basculement du récit où le film profite d’une brèche laissée ouverte par son protagoniste pour remonter jusqu’aux raisons de sa colère, jusqu’aux possibles racines du mal…

Haute tension

Raconter les enjeux du destin de Bastien n’est pas tout. Il y a aussi, derrière La Cravate, un singulier dispositif de cinéma. Assis dans un fauteuil face caméra, le jeune homme lit le récit très écrit qui servira de voix off au long métrage une fois finalisé. Et ce dernier de se construire dans un va-et-vient incessant entre un passé déjà filmé et le présent de la lecture, lui-même susceptible d’influer sur la direction prise par le documentaire. On sent bien, en cela, que le film s’est construit en deux temps pour les réalisateurs, voire en trois: s’il s’agissait sans doute d’abord de filmer « l’ennemi » à visage découvert, c’est bientôt à une mise à nu complète, à un pur coming out de l’intime qu’il convient d’assister. Lequel n’est peut-être d’ailleurs pas totalement désintéressé. Car, on le comprend entre les lignes et les images, le désir de cinéma de Bastien est probablement semblable à son désir de politique: il attend de lui qu’il change le cours de son existence. C’est ce geste de dévoilement fragile et les hypothétiques promesses qui en découlent que finit alors par illustrer La Cravate.

Distribué à Bruxelles à l’initiative du cinéma Nova, le documentaire choisit de s’emparer du langage de la fiction, et d’une écriture éminemment littéraire, quasiment balzacienne, pour mieux dire la vie. Omniprésente, la voix off amène ainsi le réel du côté du romanesque et branche le récit sur une ligne à haute tension: La Cravate, en effet, se vit de l’intérieur, presque à la manière d’un thriller -d’autant que le narrateur va jusqu’à prêter des pensées à Bastien. En résulte un film assez gonflé, qui revendique sa transparence, un refus net d’invisibiliser sa mécanique, mais au sein duquel le tandem de réalisateurs s’autorise aussi à l’occasion des interventions au ton étrangement professoral -jusqu’au léger malaise, parfois. La matière est dense, et les raisons de débattre nombreuses, face à cet objet étonnant qui, à l’arrivée, relève surtout un beau pari de cinéma: créer le trouble et questionner en profondeur.

La Cravate

D’Étienne Chaillou et Mathias Théry. 1h37. Sortie: 09/09. ****

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