A Good Man: « Ce qui m’intéresse avant tout, c’est qu’on avance sur ces questions de genre »

Délit de grossesse? Dans A Good Man, l'actrice Noémie Merlant interprète un homme trans que son désir de parentalité va conduire à porter un enfant. © DR
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Disponible en VOD, le sixième long métrage de Marie-Castille Mention-Schaar fait le portrait d’un homme trans qui décide de porter un enfant. Emmené par Noémie Merlant, le film soulève, un peu malgré lui, la question délicate de l’appropriation cisgenre dela transidentité à l’écran. Rencontre, à Deauville.

Scénariste et réalisatrice française autodidacte passée par le journalisme d’investigation, Marie-Castille Mention-Schaar semble s’être fait une spécialité des sujets de société polémiques ou tabous, et en tout cas, c’est certain, éminemment casse-gueule: le traitement pédagogique contemporain du système concentrationnaire nazi dans Les Héritiers (2014), la radicalisation et l’embrigadement djihadiste des jeunes dans Le ciel attendra (2016), l’injonction sociétale à la maternité dans La Fête des mères (2018)… Dans A Good Man, elle s’intéresse aujourd’hui à un couple aimant miné par le fait de ne pas connaître la parentalité: comme Aude (Soko) ne peut pas tomber enceinte, Benjamin (Noémie Merlant), son compagnon en transition, décide que c’est lui qui portera l’enfant, s’exposant ainsi comme jamais au regard et aux préjugés de son entourage.

Souvent très démonstratif et scolaire, le film a au moins pour lui le mérite de visibiliser une réalité peu présente sur les écrans et d’ouvrir la porte à la réflexion et au débat chez les personnes les moins éveillées aux questions inclusives. Mais il s’est aussi heurté à de nombreuses critiques en provenance de la communauté trans. Tentative de décryptage en compagnie de sa réalisatrice.

Comment est né votre désir de faire ce film?

En 2017, j’ai participé à la production de Coby, le documentaire de Christian Sonderegger, qui a été assistant réalisateur sur deux de mes films. Dans ce docu, Christian faisait le portrait de son frère, Jacob, et retraçait son parcours de transition. Une scène m’avait particulièrement marquée, dans laquelle Jacob se confiait sur le dilemme assez incroyable face auquel il se trouvait. À savoir qu’il désirait fortement devenir père mais que sa compagne ne voulait pas tomber enceinte, elle avait très peur de la grossesse en fait. Et donc Jacob, qui était sur le point de faire son hystérectomie, en était arrivé à se dire que s’il voulait avoir un enfant de la manière la plus naturelle possible, eh bien c’était peut-être à lui de porter cet enfant. Pour lui, c’était loin d’être simple, évidemment, comme situation. Et son questionnement m’a profondément interpelée. J’ai pu le rencontrer et discuter de ça avec lui à ce moment-là. Et de là est née mon envie de faire A Good Man.

Noémie Merlant, Marie-Castille Mention-Schaar et Soko sur le tournage de A Good Man.
Noémie Merlant, Marie-Castille Mention-Schaar et Soko sur le tournage de A Good Man.

Dans votre film, on perçoit bien à quel point la grossesse, très communément admise comme un symbole presque absolu de la féminité, peut être vécue comme un douloureux retour en arrière dans un parcours de transition…

Oui, ça peut en effet être perçu et vécu comme ça. Il faut en tout cas avoir beaucoup de courage pour le faire. Parce que, déjà, le parcours de transition est un énorme combat. Et que cette situation, qu’elle soit vécue comme un pas en arrière ou non, va forcément vous faire vivre des choses que vous n’avez plus du tout envie de vivre. C’est ce courage et cette détermination que je salue à travers le film. Ce désir et cet amour plus forts que les épreuves. Il y a effectivement, dans la société, une conception très répandue de la grossesse qui tend à l’envisager comme une sorte de climax de la féminité. C’est une pure construction, bien sûr. Et si le film peut contribuer ne fût-ce qu’un tout petit peu à déconstruire ça, alors tant mieux.

Avez-vous rencontré d’autres individus qui ont eu un parcours similaire à celui de Benjamin dans le film?

J’ai beaucoup échangé avec des hommes trans qui étaient devenus parents mais qui n’avaient pas porté leur enfant. Mais j’ai aussi regardé énormément de témoignages. Aux États-Unis, même si on ne dispose pas vraiment de chiffres officiels, on estime que des centaines d’hommes trans accouchent chaque année. Thomas Beatie, qui a été, un peu à tort d’ailleurs, médiatisé comme le premier homme enceint, a par exemple fait l’objet d’un documentaire extrêmement intéressant qui détaille notamment le parcours de sa première grossesse, son accouchement… Ce sont des émotions et des faits qui ont beaucoup nourri le personnage de Benjamin.

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Justement, comment avez-vous construit ce personnage avec Noémie Merlant?

On a fait déjà plusieurs films ensemble, avec Noémie. Et ce qui nous a toujours par-dessus tout intéressées, c’est la sincérité du personnage. Il n’y a que ça qui compte, au fond. C’est l’humanité du personnage, sa simplicité vraie, qui, à l’arrivée, va permettre aux gens de s’identifier, même si le personnage est très loin d’eux. Noémie a, elle aussi, rencontré beaucoup d’hommes trans, dont certains m’ont aidée sur le scénario et étaient présents sur le tournage pour nous conseiller et nous guider vers la plus grande justesse possible.

Que répondez-vous à ceux qui vous reprochent d’avoir choisi une actrice cisgenre pour interpréter un personnage d’homme trans?

Moi ce qui m’intéresse avant tout, c’est qu’on avance tous ensemble sur ces questions, dans l’écoute et le dialogue. Je savais, bien sûr, que quelqu’un comme Lukas Dhont, par exemple, avait essuyé ce genre de critiques au moment de la sortie de son film Girl. J’ai donc cherché à rencontrer des acteurs trans. Mais il y en a très peu en France, et encore moins qui ont l’âge requis pour le rôle, mais surtout qui possèdent l’expérience et la technique de jeu nécessaires. Et je ne parle même pas des producteurs, qui ont besoin d’un nom un peu établi pour être rassurés et s’engager… Toujours est-il que j’ai tout de même fait passer toute une série d’essais, mais aucun des acteurs auditionnés ne correspondait au rôle. Surtout qu’il s’agissait aussi de pouvoir jouer des scènes de flash-back où l’on voit le personnage de Benjamin avant sa transition, ce qui compliquait encore les choses. C’est par contre de cette façon que j’ai rencontré Jonas Ben Ahmed, acteur trans qui joue un petit rôle dans le film et qui est super. Il jouit d’une petite notoriété grâce à sa participation à la série Plus belle la vie, mais ne se sentait pas les épaules suffisantes pour interpréter Benjamin à tous les stades de son parcours. Moi je pense qu’on n’est pas comédien pour jouer juste ce que l’on est. C’est même tout le contraire. Donc j’ai choisi à l’arrivée de confier à Jonas un personnage non-trans. C’est une manière aussi de visibiliser sans cantonner, sans catégoriser. Et c’est peut-être ça, au fond, qui devrait être la norme, non? Pour autant, j’entends, bien sûr, les critiques et les revendications. Mais mon désir à moi, ce n’est pas du tout d’invisibiliser une minorité, c’est même tout le contraire. Et j’ai bien conscience que ma responsabilité en tant que cinéaste aujourd’hui est aussi à l’avenir de continuer à écrire dans ce sens et à confier des rôles à des comédiens peu ou pas visibilisés.

Dans le film, le personnage du frère de Benjamin, incarné par Vincent Dedienne, synthétise quelques-uns des réflexes-types de rejet et d’intolérance à l’égard de la différence. Pourquoi, selon vous, est-ce qu’une situation telle que celle dépeinte dans le film continue chez certains à faire peur aujourd’hui?

Parce que les constructions et les rôles communément institués dans la société rassurent. C’est plus facile de se conformer à des normes que d’oser faire autrement. La différence déstabilise, elle renvoie à des questions qu’on préfère parfois ne pas se poser ni affronter. Encore une fois, je pense qu’on ne pourra progresser sur tout ça qu’à travers le dialogue. Il faut arrêter d’opposer les personnes cis et les personnes trans. Il faut pouvoir entendre les peurs et les désirs des uns et des autres. Dans A Good Man, le désir de parentalité va bien au-delà de la question du genre. Les divers états émotionnels par lesquels passe Benjamin sont universels, et j’espère avant tout que le public ressortira du film avec le sentiment d’avoir fait la connaissance de quelqu’un qui lui ressemble, aussi singulier soit-il.

Pourquoi ce titre en anglais, A Good Man?

Parce qu’il n’y a pas vraiment d’équivalent de cette expression en français. « A good man », en anglais, c’est quelque chose de très fort. C’est très large, aussi. Quand on dit, en français, « un homme bien » ou « un homme bon », c’est autre chose. Dans le film, un personnage dit à un moment à Benjamin: « T’es un bon gars. » Mais je ne voulais pas appeler le film Un bon gars. Ça ne va pas. Même si c’est ce qui se rapproche le plus du sens véhiculé par « a good man ».

A Good Man. De Marie-Castille Mention-Schaar. Avec Noémie Merlant, Soko, Vincent Dedienne. 1h48. ***

Disponible en Premium VOD sur Sooner, Proximus, VOO et Lumière.

Les regrets de Noémie Merlant

A Good Man:
© getty images

Si la réalisatrice Marie-Castille Mention-Schaar continue de défendre son choix d’avoir casté une comédienne cisgenre pour interpréter le héros trans de A Good Man, Noémie Merlant, son actrice principale, tient quant à elle désormais des propos plus nuancés. Depuis la fin du tournage du film, elle avoue avoir pris conscience de la légitimité de certaines critiques et reconnaît volontiers que le fait que le personnage de Benjamin soit à l’écran interprété par une femme ayant subi des transformations physiques dans un esprit qui s’apparente à celui du déguisement, du simple travestissement, a quelque chose en soi de problématique. Parce qu’il peut véhiculer auprès du public l’idée d’une performance ou d’un spectacle lié à la transidentité.

À Cannes, l’été dernier, alors qu’on la rencontre pour discuter d’un autre film, on en profite pour approfondir avec elle cette question. Elle nous confie alors: « Quand j’ai lu le scénario de A Good Man, il m’a semblé très important d’embarquer dans ce projet. Mais, a posteriori, c’est surtout un film qui m’a permis, heureusement et malheureusement à la fois j’ai un peu envie de dire, de comprendre certaines choses. Et en tout cas de comprendre qu’avant de se précipiter pour faire des films où on s’empare de certaines problématiques, il est d’abord primordial d’être vraiment à l’écoute de ceux qui sont directement concernés par le sujet. Le rôle de Benjamin, c’est un rôle magnifique. Et cette histoire d’amour est magnifique. Mais aujourd’hui, je vois aussi quelles sont les limites du film. Ainsi que celles de ma présence dans ce film, avec une fausse barbe et une voix modifiée en compagnie d’un orthophoniste puis encore retravaillée en post-production. Alors oui, bien sûr, un acteur doit pouvoir tout jouer. Là-dessus, on est d’accord évidemment, c’est la nature même de ce métier. Mais le problème aujourd’hui, c’est que plein de gens différents n’ont pas la possibilité d’exercer ce métier. Quand on recale des acteurs trans sous prétexte qu’ils n’ont pas assez de talent ou d’expérience, eh bien j’ai envie de dire que pour développer son talent ou son expérience il faut avant tout avoir des opportunités. Ça, je l’ai compris un peu tard, et je le regrette aujourd’hui. »

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