Séries télé: make nostalgia great again!

The Wonder Years
Nicolas Bogaerts Journaliste

À coups d’esthétiques rétro, les séries titillent la corde de la nostalgie. Derrière le désir de vécu qu’elles instillent, se loge l’envie douloureuse ou réconfortante de retrouver un passé regretté, imaginé, fantasmé.

Si la nostalgie est un sentiment universellement partagé, notre société contemporaine l’a érigée en modes de vie et de production. Dans son tonitruant essai Rétromania, le journaliste anglais Simon Reynolds écrivait: « Il n’y a jamais eu de société si obsédée par les artéfacts culturels de son propre passé immédiat« . Les séries n’y échappent pas, qui s’efforcent ainsi de recréer une époque passée pour en faire transparaître l’atmosphère, en ramener les souvenirs. Mad Men et son carrousel d’images en Kodachrome; Stranger Things en perpétuel récolement de tous les produits (culturels, mercantiles) des années 80; Glow qui organise la résistance choucroutée contre le sexisme et le consumérisme reaganiens; Physical et son pas de deux vers l’émancipation par l’aérobic; Ovni(s) et son rétrofuturisme qui se languit des chasses aux hommes verts d’antan; Deutschland 83 et 86 testant les limites de l’Ostalgie, cette fascination pour l’époque du rideau de fer.

Mad Men
Mad Men

L’antiquarisme semi-parodique de Stranger Things, le blockbuster sériel de Netflix, est symptomatique d’une représentation d’un passé plus joyeux dans nos souvenirs qu’il ne le fut en réalité. « Le désir nostalgique à l’oeuvre dans Stranger Things nous parle sans doute davantage de notre époque, de ses crises individuelles, collectives et de son contexte sociétal décliniste, note l’anthropologue de l’ULB David Berliner. Le fameux « c’était mieux avant ». En réponse à des valeurs présumées disparues, des périodes sont idéalisées et leur représentation esthétique en gomme les atrocités. Dans Mad Men, Don Draper est un salaud dans une époque sexiste et ségrégationniste, mais son lifestyle lui donne un surplus d’âme. » À côté de ses penchants révisionnistes, la nostalgie peut également révéler un besoin d’authenticité. « Le désir nostalgique s’inscrit aussi dans le désir d’une vérité historique. Peu importe sa vraisemblance si on a l’impression d’une vérité affective. Ce désir de vécu est un trait de nos sociétés d’aujourd’hui. » Les séries à la nostalgie esthétisante façonnent ainsi des cocons spatiotemporels et émotionnels dans lesquels les spectateurs aiment à se lover et éprouver leur relation au présent.

Stranger Things
Stranger Things

En cours de ré-création

Entre 1988 et 1993, la série télé The Wonder Years (Les Années coup de coeur) a été dans ses thèmes, son esthétique et son traitement à coups de voix off et d’extraits en Super 8, l’exemple parfait de série nostalgique. Cette chronique d’un garçon blanc de 12 ans qui tente de trouver sa place et du sens dans son écosystème (puberté, amitié, amour) et celui des adultes dans l’Amérique périurbaine de la fin des années 60, avait le goût de la première gorgée de bière. Bientôt disponible sur Disney+, le reboot siglé 2021 transpose ces codes narratifs au sein d’une famille afro-américaine en 1968, une époque caractérisée, pour la communauté noire, par « la peur de la police, une élection présidentielle qui divise le pays, une épidémie mondiale de grippe. » Authentiques similarités avec l’ère post-Trump qui soulignent combien un âge d’or est une représentation du présent. Mais c’est la nostalgie de la nostalgie qu’implique ce reboot qui intrigue. Pour David Berliner, cette « nostalgie en gigogne » confirme que « quelque chose s’est transformé au niveau paradigmatique« . « On est passé d’un « vive le futur » dans les années 50 à un discours culturel qui fait du retour au passé un programme. Le tournant postmoderne de nos sociétés est celui de la perte de confiance. Dans ce contexte, les gens se repaissent d’un passé esthétisé. C’est aussi une force motrice de consommation qui séduit le capitalisme. » La nostalgie préfabriquée, loin de réenchanter le monde, empêcherait d’agir ou de penser. « C’est au spectateur de décider s’il veut utiliser cette proximité au passé comme outil de réflexion sur son présent ou se laisser abandonner, ne serait-ce que temporairement, à cette illusion de pouvoir remonter le temps. »

Re-fresh the 1990’s

Le Prince de Bel Air
Le Prince de Bel Air

La télévision, par son héritage, son capital culturel, son potentiel de recyclage industriel, est une machine à voyager dans le temps. Les plateformes, elles, s’affairent à nous donner le goût de rester dans le passé. Là, la nostalgie passe forcément par le plaisir coupable de revisiter les séries fondatrices de nos existences, celles qui ont accompagné nos transformations et nos expériences d’enfant, d’ado, de jeune adulte. Mais aussi de relancer des franchises emblématiques.

Friends
Friends

Ce qui est vrai pour Wonder Years l’est aussi pour sa contemporaine, Le Prince de Bel-Air, la série qui a révélé Will Smith en superstar. En plus d’avoir son rond de serviette sur Netflix, elle a bénéficié d’une émission spéciale réunion des 30 ans sur HBO Max en 2020 et prépare son reboot, qui devrait être lancé l’année prochaine. Avec un casting forcément remanié de fond en comble, il se centrerait davantage sur le périple du jeune trublion depuis sa banlieue de Philadelphie jusque celle, prestigieuse et hors-sol, de Bel Air. Netflix s’est fait un des porte-voix singulièrement actif de la réhabilitation des années 90, en se réservant les droits de diffusion des intégrales de Friends, de Seinfeld ou de La Fête à la maison, ou encore en lançant sa triplette de séries documentaires übernostalgiques The Movies that Made Us, The Toys that Made Us, et High Score.

Seinfeld
Seinfeld

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