OVNI(s): retour vers le futur antérieur avec cette série joyeusement loufoque

Melvil Poupaud incarne un ingénieur spatial au coeur de la fièvre ovniesque des seventies.
Nicolas Bogaerts Journaliste

Dernière-née de la galaxie Canal+, la série OVNI(s) interroge sur le mode farfelu et sensible notre rapport à la science et au merveilleux. Avec, pour décor, des années 70 revisitées sans nostalgie. Entretien.

Dans les années 70, en France, une série de témoignages rapportant la présence d’ovnis ont mené, en 1977, à la formation du GEPAN, le Groupe d’études des phénomènes aérospatiaux non identifiés. De ce point de départ, Clémence Dargent et Martin Douaire ont imaginé une comédie burlesque qui bouge les lignes entre rationalité et poésie, scientisme et rêverie. Rencontre avec la jeune scénariste, accompagnée de son réalisateur, Antony Cordier, et de Melvil Poupaud, qui prête ses traits au personnage principal de Didier Mathure, ingénieur spatial en pleine déconfiture.

Qu’est-ce qui, dans ce que représentait le GEPAN à l’époque, vous a inspirés pour écrire une série aux élans comiques?

Clémence Dargent: L’envie de cette série est née chez Martin et moi à la découverte de ce groupe d’étude et de son Histoire. Il a été créé dans le giron du Centre national d’études spatiales (CNES) pour analyser les témoignages sur des phénomènes inexpliqués, appelés ovnis. À l’époque, c’était un vrai sujet d’engouement à la télé, dans les reportages, mais aussi dans les réunions de famille, entre amis. Dans cet enthousiasme pour le possible au-delà des frontières de la connaissance, ce moment charnière, lié à cette autre transition, temporelle et sociétale, de la fin des années 70, donnait matière à comédie.

Antony Cordier: Au moment où se situe l’action, on fait nos adieux à une décennie de prestige dans les domaines de la science et de la technologie. La France a lancé le minitel, le TGV, le Concorde, elle s’aventure dans l’espace, se rêve aux avant-postes. Mais on a déjà le regard tourné vers les années 80. Les temps sont au changement. Les femmes s’assument d’avantage, y compris professionnellement. Didier Mathure, qui prend la direction du GEPAN, sort d’un double échec professionnel -l’explosion en plein vol de son projet de fusée- et personnel -un divorce. En bon cartésien, il va avoir d’autant plus de mal avec sa nouvelle mission.

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Melvil, il y a dans ce personnage de Didier Mathure un mélange de certitude coriace, de gaucherie touchante, de mélancolie aussi. était-ce une matière comique évidente, pour vous?

Melvil Poupaud: Ce qui m’a frappé à la première lecture du scénario, c’est que ce personnage pouvait évoluer au regard des spectateurs sur le temps long de la série. D’ailleurs, Mathure lui-même se sent changer après quelques épisodes. Et puis, il a tout ce que j’aime dans un personnage: un grain de folie, une rigidité fracturée par des sautes d’humeur. Au départ, il est cartésien, sûr de lui et de la science, et il montre volontiers du dédain envers son équipe et les témoins d’ovnis. À mesure qu’il est confronté à des phénomènes et des personnages de plus en plus étranges, il se fissure et se remet en question, devient plus humain. La comédie vient du fait qu’il passe très vite d’un état à un autre. Plus volubile que figé, il a une double facette qui le plonge de l’arrogance au doute. J’y ai vu aussi un hommage à la comédie burlesque qui n’a pas peur du ridicule, où le rire et le mystère ne se neutralisent pas, à certaines comédies américaines des années 50 mais aussi aux comédies italiennes, celles de Dino Risi, aux rôles de Marcello Mastroianni. Dans le tempo rapide, cette manière de gérer le ridicule et la perte de moyens. Il y a quelque chose aussi de Pierre Richard dans la mélancolie de Mathure, son décalage qui s’amplifie, sa difficulté à trouver sa place. J’aime beaucoup cette rupture entre le sérieux de l’histoire et ses déclenchements comiques, ce rythme qui nous permettait de jouer comme des enfants.

A. C.: Mathure est l’homme giscardien typique qui se retrouve, par la grâce des évolutions de la société, face à son ex-femme qui s’émancipe professionnellement, sa fille qui est une écolo décroissante avant l’heure, et puis Véra, sa secrétaire du GEPAN, une fille sensible à l’invisible, tentée par l’ésotérisme. Elle a beaucoup d’intuition, dans un univers cadré par la rigueur scientifique et bureaucratique.

Comment avez-vous abordé la reconstitution de cette époque, qui a marqué visuellement et culturellement?

C.D.: Nous avons très rapidement accumulé beaucoup de matière, notamment grâce à l’INA (Institut National de l’Audiovisuel, NDLR), une mine de sujets télé, de témoignages de personnes qui disent avoir vu tel ou tel phénomène. Certains remontaient même aux années 50. Et puis il nous a fallu aussi regarder les films et comédies de l’époque, pour pouvoir coller à leur manière de parler et de faire rire. Trouver des expressions, du vocabulaire, de l’argot qu’on n’utilise plus. Les gens qui passaient à la télé avaient aussi moins conscience de l’image, il y avait quelque chose de plus naturel, moins étudié, moins construit qu’aujourd’hui. Tout cela a joué.

A.C.: L’esthétique des années 70 est toujours très présente aujourd’hui et s’accorde plutôt bien avec notre notre regard contemporain. Mais si, à l’écran, on la reproduit telle quelle, si ces choses amusantes et belles comme le papier peint de l’époque se portent trop au devant de l’image, elles créent un rapport parodique à la fiction. Avec Clémence et Martin, nous avons essayé de trouver un équilibre dans la dynamique de comédie: amener des personnages bien dessinés mais éviter la reconstitution historique littérale, qui risquait de nous faire glisser vers une drôlerie involontaire. Il fallait élimer les lignes de faîte de l’époque, en faire redescendre l’image vers quelque chose de plus normal, sans une marée de pastiches, de pattes d’eph, de couleurs criardes. La comédie réside dans l’interprétation des acteurs et des actrices, dans leur capacité à y aller. Pour répartir la charge comique entre les mimiques, le contrôle, le naturel et l’outrance, il faut que l’environnement le permette.

Un cartésien un peu gauche au sein d'une équipe farfelue.
Un cartésien un peu gauche au sein d’une équipe farfelue.

Comment ne pas céder aux perceptions hypertrophiées des années 70, à la nostalgie de l’époque?

A.C.: Durant le tournage, on voyait arriver les voitures d’époque, c’était celles que conduisaient nos pères! Rien que le son des portières qui claquent, l’odeur des intérieurs nous transportaient tous en enfance. Mais il ne fallait pas céder complètement à cette tentation de la nostalgie. Elle est suffisamment présente dans les arcs des personnages. C’est aussi une série qui raconte le débarquement et l’omniprésence d’un tas d’éléments qui sont aujourd’hui des prolongements presque naturels de nos corps: les ordinateurs, l’informatique, le téléphone… On s’est aussi méfiés des références directes, notamment celles de la science-fiction. On savait qu’on n’allait pas être dans ce ton-là, mais dans une comédie. Une comédie SF, bien entendu, mais portée par des thèmes et un scénario qui visent avant tout à être drôles.

M.P.: J’ai grandi dans la même époque que celle d’OVNI(s), mais je constate qu’elle parle énormément de ce qui se passe aujourd’hui. C’est vrai qu’au travers des moeurs, de l’esthétique, de la façon de parler, on peut donner l’impression de vivre dans une autre époque, créer une sensation de légèreté -quoique je défie toute personne ayant porté, enfant, un sous-pull en lycra de l’assimiler à la légèreté. Antony, Clémence et Martin se sont attachés à ne pas en faire une période folklorique, de manière à ce qu’elle n’accapare pas les ressorts comiques. J’ai essayé beaucoup de costumes différents, de couleurs différentes… pour trouver la façon de bouger de mon personnage à travers ses vêtements. Les décors m’ont également beaucoup aidé. Mais finalement, durant le tournage, j’en arrivais à oublier que la moustache ne m’était pas habituelle, j’oubliais le côté insolite aujourd’hui des téléphones à cadran. Les plus jeunes, Daphné Patakia et Quentin Dolmaire, devaient faire plus d’effort pour ne pas en permanence délirer sur ces trucs-là, la taille des ordinateurs, des cravates… Tout cela devait finalement relever d’une certaine normalité, afin de pouvoir raconter l’histoire.

Le thème, très actuel, de la tension entre croyances et sciences, de leur cohabitation, est au coeur du récit?

C.D.: Les ovnis, c’est en fait un sujet très sérieux, un choc qui pose beaucoup de questions, scientifiques, mais aussi philosophiques et politiques. N’oublions pas qu’on est alors en pleine guerre froide et que les ovnis relèvent de la sécurité nationale. On est à la croisée des genres, comme Mathure est à la croisée des chemins. Il avance en funambule, il doit rester rigoureux, rationnel, sans devenir ultra sceptique envers les phénomènes non identifiés, même s’il a tendance à ridiculiser ou dénigrer au départ ceux qui s’en disent témoins. Il navigue entre les croyances et les connaissances scientifiques. C’est un thème de crise personnelle pour Mathure, mais collective pour la société, qui résonne avec celle que nous traversons aujourd’hui.

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