Un avant-goût de 2023 (édito)

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Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

2023 sera-t-il/elle un meilleur millésime que 2022? On aimerait le croire mais la liste des maux à soulager est longue comme un jour sans Insta. On pense au climat et à la guerre bien sûr, mais aussi à un radicalisme idéologique qui musèle le débat.

Cher·ère·x 2023,

Tu remarqueras que j’ai pris soin d’utiliser l’écriture non binaire, des fois que toi aussi, tu serais en transition ou que tu refuserais l’assignation à un genre. Je ne tiens pas à subir le sort de la pédopsychiatre Caroline Eliacheff. Depuis qu’elle a dénoncé avec Céline Masson certaines dérives du “transgenrisme” dans La Fabrique de l’enfant transgenre (L’Observatoire), sa vie est un enfer. À chacune de ses apparitions publiques, des activistes de la cause trans débarquent pour chahuter et déverser des injures (ou de la litière de chats usagée), comme à Bruxelles le 15 décembre dernier.

Que la fille de Françoise Giroud s’inquiète de l’explosion (entre x10 et x40 en dix ans selon les pays) des demandes de changement de sexe uniquement chez les mineurs -et des conséquences sur leur santé mentale et psychique future– n’y change rien. “Ne touchez pas aux enfants”, supplie-t-elle, attribuant en grande partie l’inflation du diagnostic de “dysphorie de genre” (qui désigne l’inadéquation entre le sexe de naissance et le «ressenti») chez les mineurs au poids de la culture LGBTQI+ et à l’influence des réseaux sociaux bien plus qu’à une urgence psychique. “Moi, transphobe? Mais je me fous de ce que font les adultes!”, s’exclamait-elle au Journal du Dimanche il y a quelques jours pour bien faire la différence entre les jeunes dont la personnalité est encore fragile et mouvante et les autres, majeurs et vaccinés (ou pas). Mais apparemment, sur cette épineuse question identitaire comme sur d’autres tout aussi sensibles, on est prié aujourd’hui d’adopter le package idéologique complet, même si certains aspects ou positions ultra radicales posent question. Sinon? Sinon on se voit coller dans le dos l’une des étiquettes infamantes du moment qui font de vous un paria, un pestiféré. Au choix: réac, anti-woke, boomer, etc. Pour la nuance, on repassera.

Bref, cette précaution linguistique devrait nous permettre de démarrer sur de bonnes bases les douze mois qu’on va passer ensemble. Parce que je ne sais pas si tu es au courant mais ton/ta prédécesseur·e·x a laissé derrière lui/elle un sacré foutoir. J’imagine que tu reçois une petite mallette le 31 décembre à minuit avec la liste des bonnes et des mauvaises nouvelles. Si tu n’as pas encore eu le temps d’y jeter un œil, je peux te dire que le passif est lourd. 2022 a été cruel·le·x, sans foi ni loi. Un vrai far west. Entre l’invasion de l’Ukraine, l’été barbecue, le gaz au prix de l’or, la fièvre algorithmique (qui commande déjà nos achats et nos goûts musicaux avant de peut-être remplacer nos cerveaux et nos emplois avec l’arrivée des robots conversationnels omniscients de la trempe de ChatGPT) et, last but not least, la disparition du roi Pelé, on n’a plus eu que nos yeux pour pleurer. Heureusement qu’il y a eu quelques éclaircies culturelles (un film de Park Chan-wook par-ci, un roman de Virginie Despentes par-là) et sportives (en cyclisme surtout) pour nous aider à tenir le coup, à prendre un peu de distance avec cette réalité flasque et visqueuse. Sans ça le moral ressemblerait encore plus à une nappe de pétrole.

Tu vois, on descend du ring de 2022 groggy comme des accros aux opiacés -tiens, encore un fléau à mettre sur le compte du capitalisme sauvage comme l’a très bien démontré la série Dopesick. Tu nous excuseras donc si nos vœux manquent d’enthousiasme, qu’on donne l’impression de les murmurer du bout des lèvres. Rien de personnel. On a juste un peu de mal à croire que la situation va s’améliorer pendant ton règne. Même si je ne demande évidemment pas mieux que de me tromper. Rendez-vous dans 360 jours pour le bilan. On compte sur toi, cher·ère·x 2023, pour remettre la raison, la paix et la poésie au milieu du village!

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