Rencontre avec Arlo Parks, l’une des nouvelles voix les plus écoutées de la pop indé britannique

Sous la pop feutrée d’Arlo Parks, les angoisses de la Gen Z. © vince aung/clare gillen
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

À 23 ans, Arlo Parks est devenue, en à peine deux albums, l’une des nouvelles voix les plus écoutées de la pop indé britannique. Rencontre avant son concert (sold out) à l’Ancienne Belgique.

Avant l’interview, le management d’Arlo Parks a envoyé ses “recommandations”. “Le journaliste devra éviter toute question personnelle sur la santé mentale d’Arlo, sa sexualité, les questions raciales.” Cela fait beaucoup. Surtout pour quelqu’un qui s’est précisément profilé sur certains de ces thèmes (la santé mentale) et n’a jamais vraiment évité les autres (elle n’a, par exemple, jamais fait mystère de sa bisexualité). Sur la défensive, Arlo Parks?

Ce n’est en tout cas pas l’impression que donne la jeune Anglaise quand on la rencontre. Attablée au restaurant d’un grand hôtel bruxellois, elle est même plutôt détendue et bavarde. Pourquoi tant de précautions? “Disons que j’ai pu connaître certaines mauvaises expériences… J’ai toujours été prête à discuter de tout, tant que cela se faisait de manière respectueuse. Or, ça n’a pas toujours été le cas. À un moment, quand tout a commencé à s’accélérer, je me suis retrouvée à enchaîner parfois une dizaine d’interviews sur la journée, à parler d’un disque très personnel. J’ai dû mettre des garde-fous pour me protéger.

De fait, la trajectoire d’Arlo Parks a été fulgurante. Elle n’a que 18 ans quand elle poste son premier morceau, Cola, en 2018. Il sera repris quelques mois plus tard sur l’EP baptisé Super Sad Generation. When did we get so skinny?/Start doin’ ketamine on weekends, chante notamment la jeune femme. Le titre en question devient vite une sorte d’hymne de la fameuse Gen Z. Le buzz est lancé. Que même la pandémie n’arrivera pas à freiner…

© National

En 2021, quand Arlo Parks publie son premier album Collapsed in Sunbeams, elle peut compter sur les soutiens de Billie Eilish (qui l’invitera à faire sa première partie à Londres) ou… Michelle Obama. Le disque va même se retrouver nommé aux Grammys américains et il remportera le prestigieux Mercury Prize anglais. Ce succès foudroyant aura toutefois un coût. épuisée par le rythme intensif, Arlo Parks va finir par lâcher prise, annulant toute une série de concerts. Le temps de reprendre des forces et de finaliser l’écriture d’un deuxième album…

Safe place

My Soft Machine est sorti au printemps dernier. Sous ses rondeurs bedroom pop, il pratique toujours un mélange des genres, qui empêche de l’ancrer dans un style particulier. Cet éclectisme tient sans doute au parcours de la chanteuse.

Née Anaïs Oluwatoyin Estelle Marinho, Arlo Parks a grandi à Londres, d’un père nigérian amateur de jazz, et d’une mère franco-tchadienne qui lui a mis pas mal de variétés dans les oreilles. “Hier encore, j’étais avec elle, on écoutait Mon fils, ma bataille de Balavoine. Je me suis rendu compte que je connaissais encore toutes les paroles par cœur!” Mais dans son itinéraire musical, c’est surtout le grand melting pot du Net qui l’a nourrie.

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Pour My Soft Machine, Arlo Parks évoque ainsi autant l’influence d’un groupe rock comme Fontaines D.C. que le rap d’A Tribe Called Quest, en passant par la soul voluptueuse de Sade, le rock bruitiste de My Bloody Valentine ou l’ambient de Brian Eno. “Je reste une étudiante de la musique et je n’ai pas envie de me restreindre à un genre. Mon objectif est de trouver le son auquel je peux me connecter et qui correspond le mieux à ce que je veux dire. Parce qu’au final, pour moi, ce sont les mots et les histoires qui comptent avant tout.” Elle le prouve en publiant un premier livre de poésies, rédigées pendant la confection de My Soft Machine (lire ci-dessous). Mais surtout en proposant des chansons dont les textes évitent les banalités pop pour creuser une écriture personnelle, au sens de l’observation acéré et à la vulnérabilité assumée.

Raccord avec pas mal de collègues de sa génération, Arlo Parks y cherche moins la confrontation que la consolation: même ses morceaux les plus sombres prennent garde de laisser passer un rayon de lumière. Ce qui donne au final une musique-cocooning qui fonctionne comme une sorte de “safe place” pour âmes tourmentées. “Même si j’ai conscience que l’art n’est pas forcément le meilleur endroit pour ça. Parce qu’il ne vient pas de nulle part, qu’il remue des choses parfois très personnelles, qui peuvent aussi blesser d’autres personnes. Mais j’essaie toujours de le pratiquer avec compassion.

Veine poétique

Après Kate Tempest, Lana Del Rey ou plus récemment… Drake, c’est au tour d’Arlo Parks de publier son premier recueil de poésies. Intitulé The Magic Border, il rassemble, outre les paroles des chansons de My Soft Machine, une série de poèmes écrits durant la même période. Comment un format que l’on pensait dépassé, peu susceptible en tout cas de parler encore aux jeunes générations, est-il redevenu presque aussi tendance qu’une vidéo TikTok virale? “Comme tout le monde, j’ai étudié la poésie “classique” à l’école. Mais ça m’a toujours barbée. Jusqu’à ce qu’une prof nous fasse lire Allen Ginsberg, William S. Burroughs, Sylvia Plath, etc. Je découvrais des textes libres et rebelles qui osaient parler de choses parfois extrêmement sombres, mais qui sonnaient toujours très “vrais”.

À partir de là, Arlo Parks va se lancer à l’eau et écrire ses premiers poèmes. “Pour moi ou pour les autres. J’en offre par exemple souvent à mes amis. C’est une manière de creuser mes sentiments ou de simplement montrer mon amour pour eux.” Parfois, ces textes l’amènent vers un morceau. “Mais la plupart du temps, ça reste deux exercices séparés. Une chanson demande que le texte puisse se glisser dans une certaine structure, couplet-prérefrain-refrain-pont, etc. Là où mes poèmes imposent leur propre rythme, leur propre forme, qui sont difficiles à bouger.

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