En la personne de Melchior, Emile Sornin s’est à la fois inventé un robot et un alter ego. Quand Forever Pavot prend un virage électro bricolo…
Forever PavotMelchior Vol. 1
Distribué par Born Bad. Le 21 janvier à la Cave aux Poètes, à Roubaix, et le 22 janvier au Botanique, à Bruxelles.
La cote de Focus: 4,5/5
Après son génial EP avec le rappeur américain Xp The Marxman et sa bande originale pour le film Simple comme Sylvain de Monia Chokri, Forever Pavot est de retour avec un robot rudimentaire et un irrésistible disque de pop électronique rétrofuturiste. Il y a du Grandaddy, du Flaming Lips, du Beak>, du Kraftwerk, de la French Touch (Air en tête) dans cette odyssée bricolée. Mais aussi tout ce qui a toujours fait Forever Pavot, de Francis Lai à Jean-Claude Vannier. Melchior Vol. 1 est un disque de pop spatiale et de science-fiction vintage. Un album vocodé dans lequel un robot semble remonter le temps jusqu’à aller se glisser dans un épisode des Brigades du Tigre. Un petit bijou en anglais, avec un peu de français et même de japonais dans le texte, pour une remarquable réinvention.
Il n’est pas très loquace en ce jour d’armistice. Il sert même davantage de déco qu’autre chose à son patron. Melchior, survêtement rouge à fermeture Eclair blanche, est en compagnie d’Emile Sornin dans leur petit studio du 10e arrondissement de Paris, à côté de la gare de l’Est pour assurer la promo du nouveau Forever Pavot. «Avec mon album L’Idiophone, j’avais l’impression d’être arrivé au bout de quelque chose. Au bout de ce côté chanson et musique de film dramatique. J’étais en perte d’inspiration et j’ai fabriqué un robot pour m’aider, raconte le petit moustachu. Melchior a composé le disque avec moi. Il a écrit les paroles et chante sur les trois quarts des morceaux. Evidemment, il sera aussi avec nous sur scène. C’est ma nouvelle muse.»
L’androïde est né il y a un an, un an et demi. Ça faisait un moment qu’Emile Sornin réfléchissait à une espèce de personnage, une sorte d’alter ego avec lequel il pourrait s’amuser. «Au départ, l’idée tournait davantage autour de la vidéo que de la musique, précise-t-il. Je voulais reculer un peu des projecteurs et braquer la lumière sur quelqu’un d’autre. Aujourd’hui, on demande beaucoup aux artistes d’être présents sur les réseaux sociaux, de se filmer, de parler comme des influenceurs. Un domaine dans lequel je ne suis pas très à l’aise. Me filmer face caméra en disant « Salut les loulous, venez au concert », moi, je n’y arrive pas. Je ne critique guère ceux qui le font. Je devais juste trouver des subterfuges.»
Super-héros artisanal
En cours de route, Melchior a pris plus de place que prévu. «Quand j’ai présenté le projet à JB, le boss de mon label Born Bad, il m’a dit: « Génial. Faut qu’il fasse de la musique avec vous. » Je lui ai répondu: « Ok JB, t’es bien sympa, mais moi je ne suis pas un grand bricoleur… ».» Sornin s’est donc fait aider par son pote Jonas Euvremer.
Melchior est fait de bidouille et fabriqué avec des objets de récup. Sa tête, achetée d’occasion sur Leboncoin («Ou alors c’était Vinted?»), est de celles qu’utilisent les étudiants en coiffure pour s’entraîner. «J’ai coupé l’intérieur pour pouvoir y glisser ses yeux et l’animer, s’amuse son paternel. J’ai aussi acheté un mannequin de couture et j’ai trouvé en friperie des vêtements qui me plaisaient. J’y ai même fait broder son petit prénom.» Jonas Euvremer l’a aidé à le rendre plus vivant, à l’automatiser… «Melchior est capable de parler, de chanter, de te regarder, d’avoir une discussion avec toi. Il joue aussi un peu de clavier. Mais je ne suis pas un ingénieur. Pour qu’il puisse devenir vraiment autonome, il faudrait que je passe par des spécialistes.»
Emile Sornin a toujours ressenti une attirance, une sensibilité particulière pour les pantins et les automates. «J’adore aussi les ventriloques, confirme-t-il. C’est vraiment un truc qui me passionne. Comme j’avais déjà expérimenté avec le vocodeur et la voix robotique, je me suis dit que ce serait sympa de s’enfoncer un peu plus dans l’électronique en faisant un clin d’œil à Kraftwerk et à d’autres artistes qui jouaient avec des personnages du genre.»
Le Français ne voulait pas rester dans ses pantoufles, cantonné dans la même direction artistique. «J’avais envie de changer un peu et Melchior m’a vraiment guidé dans une voie plus électronique. Ma musique a toujours été très dense, avec énormément de couches. Melchior m’a aidé à en retirer, à l’alléger. A supprimer certains instruments que j’avais l’habitude d’utiliser, même s’il y en a encore beaucoup. Disons qu’il m’a emmené dans une direction plus électro. Ça reste pop. Mais il m’a empêché de mettre du clavecin partout.»
«J’espère que les gens viendront voir Melchior et qu’il pourra signer quelques autographes…»
Clins d’œil
Les textes de Melchior Vol. 1 partent un peu tous azimuts mais l’album a une trame. Il raconte l’histoire d’un robot dans le monde d’aujourd’hui. Un robot qui sent et vit des choses comme peuvent en expérimenter les humains. Point de départ du disque, Waiting for the Sign, écrit par Lispector, l’imagine aider des Terriens à faire de la musique et à composer… Sinon, Melchior fait un peu sa life, évoque ses doutes, sa sensibilité à ce qui l’entoure.
Emile Sornin éprouve de longue date un attrait prononcé pour les balbutiements des musiques électroniques. «Celles de la fin des années 1960 et du début des années 1970. Ça fait écho à la musique concrète. A plein de disques que j’ai adorés et auxquels j’adresse des clins d’œil par-ci par-là. Raymond Scott, Delia Derbyshire, Wendy Carlos… Tous ces trucs qui m’ont nourri jusqu’à aujourd’hui.» Il a essayé de pousser le curseur plus loin pour en faire un disque pop. «Enregistrer un disque encore plus électro, voire techno, m’aurait amusé. Mais je suis davantage dans le krautrock et le hip-hop. Puis je ne cherche pas à gommer mon amour pour les B.O. seventies. J’essaie de pousser davantage vers le tournant 1970-1980 en matière de couleur, mais il y a toujours une petite citation à Morricone, à François de Roubaix, à ces grands maîtres des musiques de film squi m’ont inspiré. Puis de la pop parce que j’aime les mélodies.» Il a utilisé davantage de synthétiseurs qu’avant. «Il y a moins ce côté élégant. J’ai essayé de créer un truc plus digeste. Avec cette voix entre le vocodeur et l’Auto-Tune. Un truc à la fois intelligible et robotique. Il y a des invités, aussi, qui ont amené une touche plus contemporaine.» En l’occurrence Lispector, Kumisolo et Domotic alias Stéphane Laporte.

Emile Sornin et sa bande ont créé des micrométrages de 30 secondes pour les réseaux sociaux. «On a fait de Melchior un super-héros qui sauve les gens avec des instruments de musique. Mais on va aussi publier des trucs comme les dix albums préférés de Melchior. Ses sorties favorites. Il faut trouver des petites accroches, des moyens de séduire et d’éveiller la curiosité. J’essaie de le faire en m’amusant. J’ai trouvé ce moyen qui est bien pratique d’exister. Ça m’anime et m’excite.»
Intéressant au moment où les machines, l’IA et le progrès sont en train de faire flipper le monde de la création artistique. «Melchior est vraiment artisanal et bricolé. J’adore voir les ficelles quand je regarde quelque chose. Elles permettent de ressentir le côté humain. A l’heure de l’intelligence artificielle, c’est un clin d’œil. Regardez ce qu’on peut encore faire avec nos mains. C’est aussi évidemment une référence à mon approche artisanale de la musique. J’espère que les gens viendront voir Melchior et qu’il pourra signer quelques autographes…»
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