Chilly Gonzales sort un disque de Noël: « Les albums cyniques des gros entertainers m’irritent »

Cette année, le Père Noël porte un peignoir. © ANKA
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

La saison des chansons de Noël bat son plein! L’occasion pour Gonzales de livrer son interprétation des classiques du genre, de Mon beau sapin à Mariah Carey. En version intimiste, majoritairement instrumentale. Idéal pour un réveillon 2020 en petit comité…

Noël tombe tôt cette année. C’est un peu comme s’il fallait oublier 2020 au plus vite, en se lovant dans les tubes feel good de saison. Au Royaume-Uni, baromètre par excellence de la popularité des hits de Noël, les « suspects habituels » ont d’ailleurs réintégré les classements bien plus rapidement que d’habitude. C’est bien simple, la semaine dernière, la moitié du top 20 anglais était occupée par des chansons de Noël. Avec une polémique à la clé, depuis que la BBC a décidé de censurer le Fairytale of New York des Pogues, en bippant le mot slut (« pute ») et en remplaçant le terme faggot (« pédé ») par haggard (« exténué »). Même Nick Cave s’en est mêlé: « La BBC, cette garante de nos frêles sensibilités, agissant toujours dans notre meilleur intérêt, continue de mutiler un artefact d’une valeur culturelle immense, et, en faisant cela, nous retire quelque chose de Noël, impossible à mesurer ou à remplacer. »

C’est que les chansons de Noël sont une chose sérieuse. Ce n’est pas Chilly Gonzales qui dira le contraire. Après avoir longtemps tourné autour de l’idée, le Canadien aux multiples casquettes -pianiste aux aspirations classiques (Solo Piano I, II & III), rappeur goofy, soft rockeur, collaborant aussi bien avec Daft Punk que Jane Birkin- a fini par se plier à l’exercice. « Je joue ces morceaux depuis longtemps. Mais au printemps dernier, j’ai vite compris que Noël allait être différent cette année. Je me suis dit que c’était peut-être le moment de faire quelque chose de plus réaliste, plus intimiste, qui retrouve une certaine naïveté. »

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Vous avez toujours aimé développer deux facettes dans votre parcours musical: d’un côté, le maestro fidèle aux canons classiques, de l’autre l’entertainer provocateur. Lequel des deux est à l’oeuvre sur A Very Chilly Christmas?

Je crois qu’ils coexistent. En fait, j’ai essayé d’aborder ce disque de manière très enfantine. Or les enfants mélangent toujours un peu ces deux dimensions. Ils sont punk-rock dans le sens où il se foutent des conventions et questionnent l’autorité. Mais ils peuvent être très sages aussi. Si j’ai bien conservé la connexion avec ma propre enfance, les deux vont cohabiter sans effort. Le fait que je joue à la fois des cantiques de Noël et des morceaux de mon adolescence -Wham!, Mariah Carey-, c’est aussi une façon d’explorer ça.

Quels souvenirs musicaux gardez-vous de Noël?

Je viens d’une famille de Juifs laïcs, qui le fêtait quand même. Non pas pour être assimilés à une communauté chrétienne, mais pour s’intégrer à un truc capitaliste dans la société canadienne. Car c’est ça qui nourrit surtout Noël. Je suis souvent frustré d’entendre tous ces morceaux avec lesquels j’ai grandi, et que plus tard j’ai continué à chanter avec mes proches autour du piano, repris en boucle dans des pubs, dans des shopping malls, etc. Ça m’irrite d’entendre des gros entertainers enregistrer des albums cyniques de Noël pour faire de l’argent. À un moment, je me suis dit que je pouvais peut-être offrir une autre façon de voir ce moment particulier de l’année.

Chilly Gonzales sort un disque de Noël:

C’est possible avec de telles scies?

Tout à fait. Dans le cas des morceaux pop, par exemple, l’idée était de les « détacher » de leurs références. Un titre comme All I Want for Christmas Is You est assez joli quand on enlève la voix agressive, bouleversante et virtuose de Mariah Carey. Last Christmas, pareil. Ça sonne autrement quand on retire les boîtes à rythmes, les synthétiseurs, les pulls après-skis, et la bataille de boules de neige. Ça fait du bien de se réapproprier ces morceaux. En ce qui concerne les titres plus classiques, je voulais les transformer en les jouant en mode mineur. C’est un petit tour de magie musical, assez ludique. Et en même temps, on peut y voir un petit geste politique. Comme quand on rejoue La Marseillaise en mode reggae, ça veut dire quelque chose. Au final, chacun y prendra ce qu’il veut. Certains trouveront ça drôle. D’autres y verront une façon de critiquer la présence du capitalisme dans Noël.

Comment expliquer le succès des chants de Noël?

C’est de la musique traditionnelle. De la folk music -« musique folklorique » en français, même si je sais que la traduction n’est pas parfaite. Ils font partie de l’inconscient collectif. La plupart des cantiques datent de l’époque précédant la prétention artistique, la culture de l’individu, l’industrie de la musique, etc. Dans les cantiques, l’artiste n’est pas « présent », pour paraphraser Marina Abramovic. Le « je » est absent. Ce n’est pas « I jingle the bells« , c’est juste « Jingle bells« . On jingle tous! En cela, ces chansons ont une fonction sociale. Elles sont faciles à chanter, tout le monde peut les reprendre: les enfants, ceux qui ne sont pas musiciens, ou ceux qui ont trop bu et qui chantent en prenant leur bouteille de bière comme micro. Ce que je trouve également intéressant, c’est que si je vous demande de penser à Douce nuit ou Mon beau sapin, normalement, vous n’allez pas avoir un enregistrement particulier en tête. Vous vous raccrocherez à une version « abstraite » qui existe déjà dans un coin de votre cerveau. Ce qui fait que les morceaux sont très « mûrs » pour être transformés. En les interprétant, j’ai l’impression de participer à une tradition. Pour les titres pop, c’est exactement l’inverse. Quand on pense à All I Want for Christmas Is You, on entend forcément la version de Mariah Carey. Donc la stratégie était différente. Je l’ai joué de manière très sobre, de façon à enlever l’ego du compositeur original, comme si c’était quasi de la musique folklorique.

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Sur le disque, essentiellement instrumental, on trouve deux invités, Feist et Jarvis Cocker. Pourquoi avoir fait appel à eux?

Noël est une affaire de famille. Et ils font tous les deux partie de ma famille musicale. La première a voulu proposer un morceau original, en parlant de la tradition de chez elle, où l’on ne « tue » pas des arbres, mais on préfère utiliser des branches pour décorer les rampes des maisons (The Banister Bough, en anglais, NDLR). Jarvis, lui, est arrivé avec l’idée de reprendre Snow Is Falling in Manhattan du groupe Purple Mountains. Ce n’est pas spécifiquement un morceau de saison, mais on l’a « noëllisé » avec de nouveaux arrangements. Avec la voix de Jarvis, on dirait presque que c’est le Père Noël lui-même qui chante. Ça rajoute quelque chose de moderne. Et puis ça me fait une connexion supplémentaire avec un juif laïc chantant une chanson de Noël (David Berman, également leader de Silver Jews, qui s’est suicidé quelques mois après la sortie de l’unique album de Purple Mountains, NDLR).

George et Andrew au nez rouge.
George et Andrew au nez rouge.

À côté des Jingle Bells et autres Silent Night, on trouve également Last Christmas de Wham! Un mot?

Que dire à part que ce morceau dégage une authenticité, une passion et une sincérité tellement touchantes. Le fait que George Michael soit mort quelques jours avant Noël, en 2016, rajoute à la légende poétique de la chanson. C’est un morceau qui ne tourne qu’autour des quatre mêmes accords. Mais les couplets sont pratiquement improvisés, il n’y a pas beaucoup de répétitions. Et puis sa toute première note n’appartient pas à l’accord majeur. C’est très rare, ça. En ce sens, ce n’est pas du tout un morceau pop écrit d’une manière conventionnelle.

Pour accompagner la sortie du disque, vous avez prévu un show télé de Noël, diffusé le 23 décembre sur Arte.

Oui, on vient de finir l’enregistrement! J’ai grandi avec les TV show à l’américaine, avec des sketches, plein de guests. Comme toute la tournée a dû être annulée, j’ai insisté pour qu’on puisse au moins proposer ça. Il y aura Feist, Jarvis, Teki Latex, etc. On a tourné dans un très joli théâtre à Paris. Je voulais aussi aller un peu à contre-courant des livestreams tournés à l’iPhone dans le salon. Ce que j’ai fait. C’est mieux que rien, mais c’est un peu comme baiser avec trois capotes.

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Vous sortez également un livre, intitulé Plaisirs (non) coupables. Avec son lot de kitsch et de magie un peu forcée, la période de Noël n’est-elle pas précisément un plaisir un peu coupable?

C’est un livre sur le goût, et sur le chemin que j’ai dû faire avant de réussir à assumer le mien. Quelque part, il rejoint mon album de Noël, parce qu’il tourne de la même manière autour de ce qui m’a fasciné tout au long de cette année 2020. À savoir l’idée que, quand on est enfant, on n’a pas de conscience de goût: un morceau vous file la chair de poule ou pas, point. Ce n’est que plus tard qu’on essaie de convaincre les autres de la qualité de quelque chose avec des arguments intellectuels, parce que l’on croit que c’est important. Mais c’est compliqué. C’est comme tenter de convaincre quelqu’un d’aimer les bananes. Au final, chacun décide. Même « décider », c’est trop. Les décisions sont toujours plus faibles que les sentiments ou les réactions physiques -les frissons, les pleurs, les rires- qu’une chanson peut engendrer.

Chilly Gonzales, A Very Chilly Christmas, distribué par Pias. ***(*)

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Everybody loves Dolly

La folie Dolly
La folie Dolly

La reine de Noël, c’est peut-être bien elle. Aussi incroyable que cela puisse paraître, Dolly Parton vient en effet de sortir son tout premier Christmas album en 60 ans de carrière, A Holly Dolly Christmas. Ce n’est pas tout: elle est également au centre de Dolly Parton’s Christmas on the Square, une comédie musicale inédite signée Netflix, dans laquelle elle joue un ange. À 74 ans, la chanteuse country retrouve une (énième) jeunesse. Elle n’a même peut-être jamais été aussi populaire, réussissant à tirer son épingle du jeu dans une année pourtant pourrie. Comme toujours, elle l’a fait à sa manière: avec des actes et de l’humour plutôt que de grands discours. Des actes, quand elle a fait un don d’un million de dollars pour la recherche d’un vaccin contre le Covid-19, ou encouragé le port du masque dans le clip de When Life Is Good Again. De l’humour, quand, au début de l’année, elle postait sur Internet quatre images d’elle, chacune associée à un réseau social (Facebook, Instagram, Linkedin et Tinder), lançant ce qui deviendra le Dolly Parton Challenge.

La rassembleuse

Pas mal pour une star qui, surtout vue d’Europe, a longtemps fait figure de prototype même de la blonde américaine white trash, une idole country qui n’a jamais eu peur de patauger dans le kitsch. Une image dont elle n’a elle-même pas vraiment cherché à se défaire, en jouant même, bigger than life avec ses perruques platine, son accent sudiste nasillard et sa poitrine théâtrale -« A dumb blonde », chantait-elle sur son premier gros hit au milieu des années 60…

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Née en 1946 au fin fond du Tennessee, quatrième d’une fratrie de douze enfants, Dolly Parton a grandi dans l’extrême pauvreté -la légende veut que le médecin qui l’a fait naître fut payé avec un sac de farine de maïs. Enfant-star, elle a rapidement filé vers Nashville, où elle a lancé sa carrière. C’est surtout dans le courant des années 70 qu’elle enchaînera les succès (dont les classiques Jolene et I Will Always Love You), qui la mèneront à construire un véritable empire commercial -jusqu’à fonder son propre parc d’attraction, Dollywood, qui accueille chaque année 3 millions de visiteurs. L’exemple parfait de la réussite et du rêve américain… Elle y est parvenue en dessinant un personnage de femme à la fois hypersexuée et bonne copine, authentique et artificielle, ne rechignant pas sur les chirurgies -« I’m just a backwoods Barbie in a push-up bra and heels/ I might look artificial but where it counts, I’m real« , chantait-elle encore en 2008 sur Backwoods Barbie. Plus étonnant encore, cette chrétienne avouée est devenue une icône gay -notamment après avoir signé la musique de Transamerica, un film sur une femme transgenre, en 2005, ou en participant à la compilation LGBT Love Rocks-; ainsi qu’une figure féministe avant l’heure -« My mistakes are no worse than yours/ Just because I’m a woman » , chantait-elle dès 1968.

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Pour autant, Dolly Parton n’a jamais paru prendre parti. Même durant une présidence Trump particulièrement polarisante, elle est parvenue à se faufiler entre les camps. Récemment, elle rappelait encore: « Je suis juste une « entertaineuse ». Quand la discussion devient trop politique, je me contente de faire une blague sur mes nichons« . L’une de ses favorites: la fois où son soutien-gorge est tombé dans le feu, les pompiers ont mis trois jours à éteindre le foyer. Riez de Dolly Parton, elle aura toujours un coup d’avance, mettant fans et détracteurs dans sa poche… Au point de passer aujourd’hui pour l’une des rares figures capables de réconcilier une Amérique profondément divisée.

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