Après deux ans de disette, le Listen Festival sonne le retour sur le dancefloor

Dès le 30 mars, le Listen Festival lance le printemps électro. © getty images
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Comment documenter l’expérience de la fête et de la nuit? Que faire des archives de la culture club? Alors qu’il effectue son grand retour, avec cinq jours de réjouissances électroniques en tous genres, le Listen Festival ouvre le débat…

Enfin! On a assez répété combien les clubs ont payé un lourd tribut au virus. L’éclaircie semble heureusement aujourd’hui se confirmer. Et avec elle, le grand retour du Listen Festival. Au programme, des live et des DJ sets (lire encadré en fin d’article) durant cinq jours et cinq nuits, aux quatre coins de Bruxelles. En outre, comme il en a pris l’habitude, l’événement ne se contentera pas d’agiter la piste de danse. Listen profite en effet de l’occasion pour lancer une série de discussions. « Ces dernières années, le secteur a énormément souffert. Mais, comme d’autres, il en a aussi profité pour réfléchir sur ses pratiques« , explique ainsi Alex Sourbis. Clubber averti, sociologue de formation, il est en charge de Night Signals, le programme de talks du festival, qui se déroulera à l’iMAL, le centre artistique des arts numériques. Comment les clubs ont-ils encaissé la pandémie? Qu’ont-ils mis en place pour gérer les problèmes de harcèlement après #Balancetonbar? Quelles procédures imaginer pour s’attaquer aux discriminations? Ou encore, comment documenter la vie nocturne?

Après deux ans de disette, le Listen Festival sonne le retour sur le dancefloor

Cette dernière thématique est l’une des grandes questions du moment. Les musiques électroniques jettent en effet de plus en plus régulièrement un regard dans le rétro. Non seulement en explorant les racines du disco, de la house, la techno, etc. Mais aussi en se penchant sur l’Histoire même des clubs, à l’instar de l’expo Night Fever, organisée en 2018 par le musée du design bruxellois (ex-ADAM). L’an dernier, le Fuse, le temple techno bruxellois, « profitait » également de la pandémie pour proposer Echoing Through Eternity: sous la boule à facettes, quelque 25 années de clubbing… « Pour être honnête, je n’y suis pas allé, reconnaît Alex Sourbis. J’avais l’impression que l’expérience de retourner dans un Fuse, transformé en « musée », allait être trop frustrante. Mais en soi, l’initiative était super intéressante, importante même, pour sensibiliser à l’importance de ce patrimoine unique. » Une activité, rappelle le programmateur, dans laquelle vient souvent piocher la mode, et qui est aussi devenue un véritable atout touristique pour les villes. « Berlin l’a bien compris. »

Il y a en effet une culture et une Histoire à célébrer. Comment? Après tout, si la vie nocturne est précieuse, c’est aussi par son côté éphémère, une bulle passagère volée au quotidien. Autrement dit, ce qui se passe à Vegas, ou sur la piste euphorique d’un club après 2 h du matin, ne doit-il pas y rester? Alex Sourbis: « Depuis une dizaine d’années, une série d’endroits interdisent par exemple les smartphones. Un jour, j’ai discuté avec un responsable d’un de ces clubs pour tenter de comprendre. Il m’a expliqué qu’en décourageant les photos, les gens allaient devoir raconter leur soirée, et mettre des mots sur ce qu’ils ont vécu. Ce qui est très différent que de simplement scroller les photos accumulées dans son téléphone… »

Après deux ans de disette, le Listen Festival sonne le retour sur le dancefloor

L’écume des nuits

Au-delà des récits personnels, il n’en reste pas moins un patrimoine. Une mémoire collective, qui commence tout doucement à être davantage considérée. Sans doute la pandémie a-t-elle contribué à faire évoluer les mentalités. En obligeant les clubs à fermer, le virus a, paradoxalement, rappelé leur importance. Et aiguisé la nécessité de documenter une activité qui, pendant de longs mois, ne tenait plus qu’à une série de souvenirs fugaces.

L’an dernier, Koen Galle, journaliste et DJ sous le nom de Kong, a sorti Missing the Club, recueil rassemblant une série d’articles autour de la vie nocturne belge. « Cela fait pas mal de temps maintenant que j’écris sur le sujet pour différents médias. J’ai fini par remarquer qu’il était parfois compliqué de remettre la main sur certains articles, même sur le Web. Je me suis dit que cela valait peut-être la peine d’en rassembler quelques-uns dans un bouquin, à côté d’autres textes inédits. » Koen Galle a notamment collaboré au projet The Vinyl Frontier, qui traçait le portrait de collectionneurs belges, ainsi qu’à Elektropedia, le média que Red Bull avait lancé pour suivre la scène électronique belge. Or, fin 2021, la marque de boisson mettait un terme à ces activités éditoriales. Avec pour conséquence de voir les sites web purement et simplement débranchés. « Je peux comprendre. Leur but reste de vendre des canettes. Elektropedia faisait partie d’une stratégie de marketing. La leçon à en tirer est peut-être que c’est à nous, les acteurs de terrain, de documenter cette culture-là. »

C’est le prochain grand chantier de Koen Galle. Baptisé Rave Little Belgium, le projet a pour ambition de raconter l’Histoire des musiques électroniques et de la club culture en Belgique. Ce boulot, titanesque, prendra la forme d’un projet collectif, publié dans les deux langues nationales principales. « On a prévu par exemple d’organiser une soirée dans chaque grande ville du pays, Bruxelles, Gand, Namur, Anvers, Liège, etc., et d’installer une sorte de speaker’s corner où chacun pourra venir raconter son expérience de la nuit. » À cette multiplication des points de vue, correspondra également une diversité des formats: articles, photos, vidéos, podcast, etc. Une manière de tenter de cerner une expérience éminemment volatile. Et d’illustrer sa diversité? « Aujourd’hui, une série d’histoires sont déjà bien connues: celle de la new beat, des 2ManyDJ’s, d’un label comme R&S… Mais il y en a encore un tas d’autres qui attendent d’être racontées. Récemment, Canvas a diffusé par exemple un documentaire sur les DJ. C’était fou de voir à quel point peu de place avait été consacré aux femmes. »

Des archives du Mirano à une exposition sur l'histoire du Fuse, la nightlife bruxelloise se raconte
Des archives du Mirano à une exposition sur l’histoire du Fuse, la nightlife bruxelloise se raconte

Si l’on veut raconter la nuit, il faudra donc aussi penser à balayer toutes ses composantes. Et ne pas négliger certains acteurs qui, même dans un milieu qui a fait de l’ouverture d’esprit l’un de ses motto, sont encore souvent ostracisés ou négligés. En France, le mensuel Trax, consacré à « la nuit, la fête et les cultures en mouvement« , a pris l’habitude de publier de longs articles sur la vie des clubs. Pas forcément les grandes enseignes prestigieuses parisiennes, mais bien les discothèques de province, comme le Macumba, le Privé, le Starman ou, récemment, l’Échappatoire à Clichy. Simon Clair, rédacteur en chef: « On en connaît tous, des endroits comme ça. Des discothèques pas forcément super, qui ne passent pas toujours de la musique géniale, où le boss n’est pas spécialement sympa, et la clientèle pas vraiment variée. Mais qui ont compté à un moment, parce qu’ils ont constitué une première expérience du club. C’est à la fois quelque chose de très personnel et de très commun. Une sorte d’intimité partagée qu’il serait dommage de ne pas raconter. » Entre un article sur le dernier collectif berlinois à la mode et un dossier sur les mutations du reggaeton, Trax peut donc également publier un historique des soirées mousse ou revenir par exemple sur la Maronaise, club marseillais « qui réunissait cagoles, mafieux, petits bourgeois et joueurs de l’OM« . « Ce sont souvent des sujets agréables à traiter, parce que vous allez à la rencontre d’ » anonymes » , ceux qui font la nuit au quotidien. Et puis, c’est aussi un format agréable à lire. On constate en tout cas que cela réveille à chaque fois pas mal de choses chez les lecteurs. Ça titille une forme de nostalgie pour des lieux qui, pour de multiples facteurs, ont tendance à disparaître. »

Après deux ans de disette, le Listen Festival sonne le retour sur le dancefloor

Mémoire vive

À Bruxelles, le Mirano, lui, est toujours bien vivant. L’été dernier, ce club mythique de la capitale a même eu droit à une expo, aux Halles Saint-Géry. Dans la foulée, il a également fait l’objet d’un documentaire, Mirano 80, l’espace d’un rêve, toujours visible en accès libre sur Auvio, la plateforme vidéo de la RTBF. Figure incontournable de la nightlife bruxelloise, Paul Sterck a ouvert le Mirano en 1981: il y restera jusqu’en 2011 . « Il se fait que j’ai tout gardé. Soit les invitations et les affiches de quelque 2 600 soirées! » Durant les années 80, le Mirano a créé sa légende en réussissant à créer un club branché, à l’instar du Palace parisien ou du Studio 54 à New York. « Le but était de faire rêver les gens, y compris en les faisant participer, en leur demandant de se déguiser. À chaque fois, on a voulu raconter une histoire. » Ces « histoires » constituent un héritage collectif à ne pas négliger. « En préparant l’expo, et en voulant reconstituer le contexte de la vie nocturne de l’époque, j’ai réalisé que la plupart des autres endroits n’ont rien gardé, à part le Fuse et peut-être le Vaudeville. » Alors, en attendant de raconter cette fois l’épopée du Mirano dans un livre, Paul Sterck a réussi à dégoter une place pour sa collection.  » J’ai obtenu une dizaine de mètres de linéaire aux Archives de Bruxelles… »

Ce qui pose la question du soutien institutionnel. « Quand j’ai commencé, ouvrir un club n’était pas considéré comme une entreprise à part entière. À part pour les vendeurs d’alcool, vous passiez généralement au mieux pour un farfelu, au pire pour un escroc. Quand je vois comment quelqu’un comme Lorenzo (Serra, l’un des fondateurs du Listen Festival, et de la Brussels Night Federation, NDLR) doit se démener pour recevoir un peu d’appui des autorités, je ne suis pas certain que cela a beaucoup changé… » De fait, si en théorie plus grand-monde ne conteste l’importance de la nuit, dans les faits, il reste encore de nombreuses incompréhensions. Alex Sourbis: « C’est un peu le paradoxe du moment. S’il y a bien une prise de conscience et une reconnaissance du monde de la nuit, à travers des livres, des expos, etc., on ne trouve plus vraiment de soutien quand il s’agit de le rouvrir après des mois de pandémie… »

Listen, festival résilient

En lançant son festival au printemps 2016, quelques semaines à peine après les attentats de Bruxelles, Listen avait sans doute imaginé avoir fait le plus dur. Que pouvait-il lui arriver de pire? Une pandémie, peut-être? De fait, en mars 2020, le festival électronique était l’un des premiers à devoir débrancher la prise. Deux ans plus tard, et après avoir notamment maintenu la flamme l’été dernier avec des soirées en plein air, il est l’un des premiers à redémarrer avec un programme XXL ambitieux, toujours sous la bannière « United in music & diversity ».

Organisé du 30 mars au 3 avril, l’événement fait de la capitale son terrain de jeu, s’appuyant plus que jamais sur les forces vives de la vie nocturne bruxelloise pour constituer sa programmation -de Basic Moves à Crevette records, de Crammed aux soirées Gay Haze, etc. Entre live (Altin Gün, Giulia Vismara, Terrence Dixon, etc.), DJ sets (Acid Arab, Le Motel, Lefto, Sherelle, Jane Fitz, Coco Maria, etc.), et débats (organisé à l’iMal, à Molenbeek), Listen se dispersera dans toute la ville, n’hésitant pas à sortir du club (Fuse, C12, la Cabane) ou de la salle de concert et de spectacle (le VK, LaVallée, Flagey, les Brigittines), pour se balader dans des lieux plus inhabituels (le Planétarium, la gare du Nord, la gare Bruxelles-Congrès ou le hangar de Buda Bxl).

Du 30/03 au 03/04 prochains, www.listenfestival.be

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