ET SI, PLUS QUE LE DERNIER ÉCART VESTIMENTAIRE DE LADY GAGA, LE VÉRITABLE ENJEU ACTUEL DE LA POP ÉTAIT LA VOIX? TRAFIQUÉE À L’AUTO-TUNE POUR SONNER PLUS QUE PARFAIT, À LA MANIÈRE DES DIVAS R’N’B? OU AU CONTRAIRE TORDUE ET FRACTURÉE DANS TOUS LES SENS, FAÇON DUBSTEP? DE CHER À JAMIE WOON, TENTATIVE DE DÉCRYPTAGE…

Juillet dernier. Mini scandale dans le monde rose bonbon de la téléréalité: un porte-parole du vaisseau-amiral X-Factor admettait publiquement que l’émission avait utilisé le logiciel auto-tune pour corriger les performances vocales de certains candidats. « Mais uniquement pour les séquences d’audition, pas pendant les épreuves en direct. » L’épisode n’en reste pas moins cocasse.  » Soyez vrais, soyez authentiques« , qu’ils disaient. Mais si possible en chantant juste… Le jeu télé a beau vanter les vertus de l’originalité, il a surtout donné naissance à une série de chanteuses à l’organe vocal conséquent. Avec succès. L’industrie du disque n’a d’ailleurs cessé de creuser le filon. Même les labels indépendants s’y sont mis. A cet égard, le triomphe actuel d’une chanteuse comme Adele n’est évidemment pas anodin.

La pop ne s’est pourtant pas toujours montrée aussi regardante quant à la justesse vocale de ses interprètes. Tout au long de son histoire, elle a accouché de chanteurs atypiques, au timbre mal fagoté, affichant plus de dégaine que de puissance, de Bob Dylan à Lou Reed en passant par Liam Gallagher ou Madonna. Aujourd’hui encore, on connaît plus d’une star pop qui refuse d’avouer avoir pris des cours de chant professionnel… Pourquoi dès lors les charts semblent s’être faits une telle obsession des voix parfaites?

L’effet Cher

Même Lady Gaga se fait fort d’exposer (notamment) son registre vocal lors de ses concerts, avec un moment piano solo-vérité. Paradoxe: cela ne l’a pas empêchée de concéder sans trop de malaise qu’elle utilisait elle aussi régulièrement l’auto-tune en studio. A un journaliste du Telegraph, elle expliquait notamment: « Ce n’est pas pour ma voix. Le fait est que la radio est habituée à une certaine perfection et compresse la voix d’une certaine manière (…). C’est important de jouer sur la psychologie de l’auditeur qui est habitué à cette « qualité » vocale. S’il ne l’entend pas, cela ne marche pas. « 

La digitalisation de la musique serait donc passée par là. Auparavant, les studios pouvaient être de vraies marmites bouillonnantes. Aujourd’hui ils seraient devenus des laboratoires, des salles d’opérations stérile. Un outil comme le protools permet par exemple de découper à l’envi les pistes, de les multiplier, les déformer… L’auto-tune est devenu un autre instrument incontournable. Il est l’£uvre d’Andy Hildebrand, qui a longtemps travaillé pour l’industrie pétrolière. L’ingénieur y a développé une technique pour dresser des cartes du sol, utilisant des ondes sonores pour sonder les gisements pétrolifères avec un maximum de précision. De quoi faire épargner pas mal de temps et d’argent aux compagnies. De quoi permettre à Hildebrand lui-même de s’assurer, à 40 ans, une retraite tranquille… Il s’amusera néanmoins encore à inventer un logiciel qui, sur la même base, permet à quiconque de chanter juste, corrigeant les fausses notes: l’auto-tune était né. C’était en 96, et depuis lors, il a essaimé partout.

Curieusement, le logiciel s’est d’abord fait connaître pour les… déformations vocales qu’il permettait. En 96, le single Believe, truffé de gimmicks « auto-tunés », remet une nouvelle fois Cher à l’avant-plan. La signature vocale sera marquante au point de voir parfois l’auto-tune rebaptisé « Cher effect ». Plus tard, le rappeur T-Pain en fera sa marque de fabrique quasi officielle, devenant le symbole d’une mode qui allait contaminer toute la scène hip hop. Pour le meilleur et surtout pour le pire. Pour le meilleur quand Kanye West enregistre l’album 808’s & Heartbreak, album de rupture et de deuil, dans lequel la voix artificiellement tordue fait parfaitement écho aux tourments intérieurs du rappeur mégalo. Le plus souvent, l’auto-tune se contentera cependant de servir de simple gadget gratuit, au point que le patron Jay Z prononcera sa mort en 2009 avec le morceau D.O.A (Death of Auto-Tune).

La technique est évidemment loin d’avoir disparu. Aux dires de certains producteurs, elle semble même être devenue la règle. On comprend quand il s’agit d’enregistrer l’album de Paris Hilton (…), mais pourquoi la refourguer systématiquement, y compris à des chanteurs confirmés? Une question d’économie, sans doute. Plus besoin de multiplier les prises, quelques essais suffisent pour capturer les voix, corrigées par le logiciel. C’est autant de temps gagné en studio. Au risque de faire tout sonner de manière uniforme…

L’art de ne pas être parfait

Mais la « résistance » s’organise. Par l’absurde. Puisque les voix soi-disant pures ne le sont plus tout à fait, autant les trafiquer au maximum. Les exemples se multiplient. Désormais, pour être honnête et sincère, il faut mentir, déformer. Le chant est découpé en morceaux, remonté, ralenti,… Même un chanteur connoté folk comme Bon Iver a commencé à manipuler sa voix (son morceau Woods repris/samplé par… Kanye West). Cela n’est pas neuf -la voix de Lennon dans Lucy In The Sky With Diamonds. Mais la démarche change de connotation.

C’est particulièrement vrai dans le dubstep. Depuis qu’il est sorti de l’underground, le genre anglais se pose de plus en plus comme une version moderne du r’n’b ou de la soul. Quelqu’un comme James Blake triture en permanence son chant, Jamie Woon ( lire ci-contre) passe des heures à trouver la bonne texture. Le mystérieux Burial est passé maître dans cet art qui consiste à donner une nouvelle profondeur aux voix en sculptant leur son comme n’importe quel instrument. Dans l’une de ses rares interviews, il expliquait au Wire:  » Plus jeune, j’adorais quand un morceau garage ou jungle proposait des voix -pas un chant habituel mais un truc découpé et répété, exécuté froidement. C’était comme une sirène interdite.  » Et d’expliquer comment il a pondu ses premiers morceaux:  » J’écoutais A Guy Called Gerald. Je voulais le même genre de voix mais je ne pouvais pas en trouver de pareilles. Alors j’ai découpé des a capella et construit différentes phrases. Même si elles n’avaient pas de sens, elles résumaient bien mes sentiments.  »

Significatif: la plupart de ces artistes anglais citent des influences soul comme Sam Cooke, Otis Redding… Preuve que, derrière les manipulations, c’est bien une recherche d’âme supplémentaire qui est effectuée? Rencontré récemment, le prodige James Blake expliquait:  » J’aime bien les productions r’n’b de Timbaland des années 90, les Destiny’s Child, Aaliyah… Les vocaux sont très malléables parce que super bien enregistrés, très précis. Ils sont très faciles à manipuler pour un producteur. Vous pouvez presque les imaginer en studio. Avec Timbaland derrière la vitre les poussant à avoir la prise parfaite. Ce que je ne fais jamais. Je ne pense pas que c’est « honnête ». L’honnêteté, vous pouvez la trouver dans les a capella de Stevie Wonder. Uptight par exemple: c’est assez brut, pas nickel. Certaines lignes ne sont pas tout à fait justes, mais toute la performance a une énergie qui est parfaite. En réalité, le morceau a sa propre perfection. Mais ce n’est pas forcément une perfection dans la justesse.  »

TEXTE LAURENT HOEBRECHTS

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