Un homme en son île

© getty images

Le réalisateur de Aguirre s’empare de l’histoire de Hirô Onoda, dont il tire un roman méditatif où la réalité semble se dérober.

On n’en a jamais tout à fait fini de Hirô Onoda, ce soldat japonais ayant continué à mener jusqu’en 1974 dans la jungle de l’île de Lubang, aux Philippines, une Seconde Guerre mondiale dont il ignorait qu’elle s’était terminée 30 ans plus tôt. Un récit hallucinant dont il avait tiré des mémoires (parus en français sous le titre Au nom du Japon), avant que le cinéaste Arthur Harari ne s’en inspire pour Onoda: 10 000 nuits dans la jungle, film hypnotique présenté l’an dernier en ouverture de Un Certain Regard à Cannes. Le destin de cet homme, animé par un sens du devoir confinant à la folie et engagé dans un survival quotidien au coeur d’une nature hostile, ne pouvait que fasciner Werner Herzog, dont l’oeuvre visionnaire n’a cessé, de Aguirre, la colère de Dieu à Fitzcarraldo, de tutoyer l’abîme. Le film sur Onoda ayant déjà été (remarquablement) fait, c’est un roman, judicieusement intitulé Le Crépuscule du monde, que lui consacre le réalisateur et écrivain allemand.

Un homme en son île

Le soldat japonais, disparu en 2014 à l’âge de 91 ans, Herzog l’a bien connu, et le livre s’ouvre d’ailleurs sur l’épisode, assez ahurissant, ayant conduit à leur rencontre en 1997, avant d’adopter la forme d’un journal parcellaire courant de 1944 à 1974. C’est moins toutefois la stricte relation des faits et de la guerre solitaire conduite pendant 30 ans par Onoda en son île, qu’un état mental, et le glissement vers la folie qui intéressent l’auteur. Inscrivant son propos au confluent du rêve et de la réalité, Herzog imagine les scènes d’un combat insensé, fruit d’une obsession absurde, dont les contours comme les motivations semblent se dissiper dans la brume.  » Chaque individu de cette île est mon ennemi« , déclare Onoda à Suzuki, le jeune aventurier japonais qui finira par l’arracher à son mirage paranoïaque, lui qui n’avait voulu voir dans les messages lui étant parvenus au fil des ans qu’autant de stratagèmes pour le débusquer. Mais s’il y a là encore diverses escarmouches -il a survécu, dit-il encore, à pas moins de 111 embuscades- et que le roman est aussi le récit laconique du vide qui se fait autour de lui à mesure que disparaissent ses compagnons d’infortune, l’auteur trouve surtout, dans ce contexte où le réel se dérobe, matière à une puissante méditation. Sur le temps – » la forêt vierge ne reconnaît pas le Temps, comme si ces deux éléments n’avaient presque aucun rapport entre eux« , écrit Herzog, et partant, c’est le présent qui semble s’estomper, laissant Onoda dans le brouillard de ses pensées. Sur l’être et le néant également, questionnant le sens donné à l’existence, réflexion culminant dans un ultime chapitre vertigineux, aspirant le lecteur en quelque rêverie somnambulesque suspendue sur l’inconnu…

Le Crépuscule du monde

De Werner Herzog, éditions Séguier, traduit de l’allemand par Josie Mély, 144 pages.

8

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content