Playa Philo (5/8): Draguer le touriste avec Schopenhauer

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Laurent de Sutter
Laurent de Sutter Professeur à la VUB

Chaque semaine, petits problèmes et grandes solutions: comment les vieux barbons de la philosophie viennent au secours du vacancier perdu.

Le trait le plus sympathique d’Arthur Schopenhauer était qu’il n’aimait rien ni personne. Ronchon, misogyne, hautain, si jaloux du succès de son rival Hegel qu’il avait choisi de donner son propre cours (devant quatre pelés et deux tondus) à la même heure que lui (qui devait refuser du monde), si plein de mépris pour les étudiants qu’un jour de manifestation il offrit aux policiers de venir tirer sur les participants depuis les vitres de son salon, il n’avait d’égards que pour sa flûte et son caniche. Autant dire qu’il était d’un comique irrésistible.

Mais le plus drôle, sans doute, se trouvait dans ses livres. Schopenhauer était persuadé que les êtres humains, ces ignorants dont les maigres efforts de pensée n’aboutissaient jamais à des résultats autres que dérisoires, non seulement étaient limités par leurs capacités, mais aussi par toute une série de forces qui les transformaient en marionnettes. Dans son chef-d’oeuvre Le Monde comme volonté et comme représentation (que personne ne lut pendant des décennies), il donna à la plus importante de ces forces le nom de « Vouloir-Vivre ». Par là, il désignait l’impulsion inexplicable qui nous pousse à quêter la compagnie de nos semblables, surtout s’ils sont du sexe opposé, afin de pratiquer avec eux divers actes humides et grotesques conduisant à un bref spasme de joie -un peu du même type que celui que doit ressentir un chien quand on le gratte derrière les oreilles. Schopenhauer voyait le Vouloir-Vivre partout. S’il lui était arrivé de sortir de chez lui pour se rendre sur une plage moderne, nul doute qu’il aurait interprété le spectacle des corps alanguis sur le sable, et des passants dardant des regards en coin sur les plus appétissants d’entre eux, comme la forme esthétique dégénérée de cette triste réalité. Qui sait? Cela ferait peut-être une bonne pick-up line.

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