Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Four Tet de série – Laissant les expérimentations derrière lui, Kieran Hebden sort un 4e album amoureux. Une superbe échappée électronique, limpide et chaleureuse.

« There Is Love In You »

Distribué par Domino.

Hypothèse: tout a déjà été fait. Plus moyen d’inventer quoi que ce soit qui n’ait déjà été éprouvé. C’est le cas du rock depuis un temps déjà. C’est au tour des musiques électroniques aujourd’hui de tourner en rond – ce qui, entre parenthèses, pour une musique qui adore la répétition, n’est peut-être finalement pas si grave que ça… Les dimensions du terrain de jeu sont donc connues. Reste à développer le beau geste, l’action décisive, le mouvement qui va décadenasser la défense adverse. Car on aura beau peindre les goals en jaune canari ou les poser à l’envers, le but restera toujours d’en marquer un…

Kieran Hebden (Londres, 1977), l’homme qui se cache derrière le projet Four Tet, est-il fan de foot? Rien de moins sûr. Par contre, avec There Is Love In You, son 4e album, il tire à nouveau en pleine lucarne. Sans épate, mais avec une lecture du jeu impressionnante. L’Anglais est aujourd’hui une des personnalités les plus influentes de la scène électronique. Il le doit à ses propres productions évidemment. Mais aussi à ses collaborations, qui ont donné une autre envergure à son parcours. Des escapades qui passent par des remix (de Radiohead à Aphex Twin en passant par Bloc Party), mais aussi des projets plus prenants. A l’image de sa rencontre avec Burial, héros dub-step, ou du duo formé avec Steve Reid, le fameux batteur jazz.

Mots bleus

Autant avertir: ceux qui attendent de voir ces expériences prolongées sur There Is Love In You seront déçus. Il n’y a rien ici qui puisse réellement déstabiliser l’amateur de musique électronique. Sing, par exemple, est ce qui ressemble le plus à une sucrerie house, idéale pour le dancefloor, classe et jouissive. Kieran Hebden y mêle à la fois une certaine électro anglaise des années 90 (Orbital) et Aphex Twin (les voix de Window Licker). Four Tet ne réinvente pas la roue? Il sait par contre parfaitement comment la faire tourner. En fait, ce qui pourrait être une lacune du disque devient l’une de ses principales qualités: une absence d’effet de manche, d’esbroufe, Four Tet cherchant toujours la simplicité. Mais pas forcément le simplisme. Il suffit de se pencher sur chacun des titres: de la beauté répétitive d’ Angel Echoes en ouverture au minimalisme aquatique de Reversing, il y a un monde complexe à disséquer. A l’exemple encore de Love Cry, 9 minutes sans remplissage ni fumisterie psychédélique, commençant dans le souffle d’un vinyle avant de se voir embarqué sur un beat latin multicouches et entêtant.

Surtout, si le disque est à ce point réussi, c’est d’abord grâce à sa justesse de ton. Tout dans ce There Is Love In You est à sa place. Aussi bien l’écho du rythme cardiaque du petit Pablo ( Pablo’s Heart) que la claudication cubique de Plastic People. En ce sens, le disque ne s’appréciera jamais autant qu’écouté d’une seule traite, lors d’une virée nocturne, à avaler les kilomètres en bagnole. Album chaleureux et sincère, There Is Love In You parvient ainsi à placer les bons mots (bleus) aux bons endroits. Car ce qui compte aujourd’hui est peut-être moins de faire du neuf que du pertinent.

Laurent Hoebrechts

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