De Papicha à Haute Couture: retour sur le parcours de Lyna Khoudri

Lyna Khoudri (à droite, avec Nathalie Baye): "Je ne pensais pas qu'il y avait tant de mains et d'heures passées sur une robe, tant de précision, de travail, de recherche."
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Révélée il y a deux ans par Papicha, Lyna Khoudri brille dans Haute Couture, un film où elle retrouve l’univers de la mode sous les traits d’une jeune apprentie dans un atelier. L’occasion de prendre la mesure de son parcours.

Lyna Khoudri, on l’a découverte, fougueuse et lumineuse, à la faveur de Papicha, le premier long métrage de Mounia Meddour. L’actrice franco-algérienne y campait Nedjma, une étudiante de la cité universitaire d’Alger qui, face à la montée des intégrismes, décidait de créer une ligne de haïks et d’organiser un défilé, un César du meilleur espoir féminin à la clé. Deux ans plus tard, et après l’avoir appréciée entre-temps dans Gagarine de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh, puis, tout récemment, dans The French Dispatch de Wes Anderson, on la retrouve aujourd’hui au générique de Haute couture de Sylvie Ohayon, abordant la mode par un autre versant, puisqu’elle y incarne une apprentie dans un atelier de couture de la maison Dior. « C’est une coïncidence, sourit-elle, alors qu’on la rencontre dans un palace du 8e arrondissement parisien. La mode m’intéresse, j’aime être bien habillée, mais je n’en fais pas une passion particulière. Peut-être que Sylvie Ohayon, en voyant Papicha , s’est dit qu’elle avait envie de travailler avec moi pour Haute couture , parce qu’il s’agissait d’une fille se prenant de passion pour la couture. Mais moi, je n’avais pas envisagé de tourner deux films si proches, qui parlaient de la mode à deux endroits complètement différents, effectivement. C’est vraiment le hasard… »

L’émancipation par la mode

Outre cet arrière-plan, ce qui rapproche la Nedjma de Papicha de la Jade de Haute couture, c’est que, tout en venant d’horizons a priori fort éloignés -la première, « papicha » algéroise dans le contexte trouble du début des années 90; la seconde, jeune femme se cherchant dans une cité de Saint-Denis-, l’une et l’autre trouveront dans le milieu de la mode le moyen de leur émancipation. « C’est vrai, opine la comédienne , mais le travail que j’avais fait pour Papicha était très différent de celui accompli pour Haute couture . Le rôle de Nedjma, c’était vraiment une vocation: j’avais besoin de la comprendre et de trouver sa psychologie. J’ai appris à coudre, j’avais un mannequin à la maison, et je faisais des trucs -d’ailleurs, j’ai participé à la création des costumes du défilé final, il y en a un que j’ai entièrement fait, mais il s’agissait de techniques de plis très faciles. Mais ce qui m’avait beaucoup aidée à trouver le personnage et son caractère, c’était ses inspirations. J’ai un peu galéré, parce qu’à l’époque où le film se passe, dans les années 90, il n’y avait pas beaucoup de femmes créatrices de mode -la seule que j’avais trouvée, c’était Coco Chanel, qui a été une grande inspiration. C’est là que je me suis rendu compte de l’impact et de l’importance que ça avait-, ce n’est que récemment qu’il y en a eu de plus nombreuses, et ça fait partie de l’émancipation de la femme. C’est marrant que les hommes aient eu la mainmise sur le corps de la femme jusqu’à Chanel. »

Papicha
Papicha

Le contexte du film de Sylvie Ohayon est sensiblement différent, puisqu’il se déploie dans les coulisses d’une grande maison, se voulant hommage aux petites mains qui évoluent dans l’ombre des grands couturiers, parmi d’autres thématiques. « Ici, ce sont vraiment des techniques très précises de haute couture, c’était donc très différent« , observe Lyna Khoudri. Dior a, du reste, ouvert les portes de ses ateliers aux comédiennes afin qu’elles puissent se familiariser avec le travail des couturières. Une expérience qui l’a manifestement marquée: « Je ne pensais pas qu’il y avait tant de mains et d’heures passées sur une robe, tant de précision, de travail, de recherche. C’est un métier très dur, qui demande beaucoup de rigueur, de concentration et d’endurance. Et nous, on a essayé de les observer, de leur piquer des postures, des attitudes, des manières de regarder, de parler, de toucher le tissu: tout ça, on a essayé de le voler. » Et si, comme elle le souligne, le métier d’acteur « ce n’est que de l’apparence » , la méthode ne lui a de toute évidence pas trop mal réussi, résultant en une composition d’une rare justesse.

La banlieue, sans les clichés

L’actrice ajoute d’ailleurs s’être sentie fort proche de son personnage, Jade: « Je me suis identifiée à cette jeune fille parce qu’elle vit à Saint-Denis, dans le 93, et moi, j’ai grandi à Aubervilliers, ce sont des villes mitoyennes. ça m’a beaucoup touchée, parce que c’était la première fois que l’on me proposait un rôle qui parlait de mes autres origines, pas qu’algériennes mais banlieusardes. J’ai vu trop de films clichés qui ne me ressemblaient pas, des films sur la banlieue qui n’étaient pas ma réalité. Ou alors, ne correspondaient qu’à une petite partie de celle-ci, qu’ils amplifiaient: tous ces films où j’avais l’impression qu’en banlieue, on ne vendait que de la drogue, on n’allait qu’en prison ou on se tirait dessus. Moi, j’ai vu tout autre chose. Là, comme dans Gagarine , le film que j’avais tourné juste avant, on parle de banlieue mais sans parler de banlieue, c’est juste l’endroit où ça se passe, mais ce n’est pas le sujet de l’histoire. » À rebours des clichés, même si, confesse-t-elle, le début du scénario, qui voit son personnage dérober un sac à main dans le métro, lui a fait froncer les sourcils, avant qu’elle ne soit rassurée: « Plus je lisais, plus la complexité commençait à prendre forme, et c’est ce qui m’a donné envie de faire ce rôle. Quand j’ai rencontré Sylvie Ohayon, qui m’a raconté sa vie et m’a dit avoir grandi dans le 93 elle aussi, à La Courneuve, dans la Cité des 4000, une des plus grosses cités de France qui a été détruite récemment, je me suis dit qu’elle ne pourrait jamais être cliché. Elle a un regard hyper bienveillant, très juste, sur ce qu’est une jeune fille de banlieue d’aujourd’hui. »

Au coeur du film, il y a la transmission, Jade, la banlieusarde adepte du vol à la tire, étant prise sous son aile par Esther, la première d’atelier à qui elle avait dérobé son sac avant de se raviser. Et Lyna Khoudri de saluer la générosité de Nathalie Baye, « protectrice, mais sans trop en faire« . Des mentors, l’actrice en a connu quelques-uns au gré de son parcours – « ça s’est vraiment fait progressivement, mais je dirais les premières personnes qui m’ont fait confiance. C’est hyper important parce qu’au début, tout nous paraît impossible en fait. » Et d’énumérer celles et ceux qui, du théâtre au cinéma, ont accompagné ses premiers pas, elle qui avait un peu tâtonné une fois son bac en poche, avant que sa vocation ne la rattrape: « Pendant quatre ans, j’ai tourné en rond. J’étais animatrice dans des centres de loisirs, surveillante dans des collèges, serveuse dans des restaurants, et je ne voyais pas de perspectives d’avenir. Jusqu’au jour où je me suis dit que je ne pouvais pas faire ça toute ma vie, et que j’ai réalisé qu’il y avait quelque chose qui me manquait depuis que j’avais arrêté l’école: le théâtre. C’était tout simple: j’ai toujours su que je voulais faire quelque chose dans l’art. Mon père était journaliste de télévision, et j’avais un rapport à l’image très clair. Je voulais faire un métier d’image, sans savoir lequel. Quand j’ai compris que faire du théâtre, c’était aussi être actrice -et pas seulement m’amuser avec mes copains- et qu’être actrice, c’était faire des films, et donc un métier d’image, j’ai réalisé que ça réunissait à peu près tout ce dont j’avais envie. Mais ça a mis un peu de temps, ce n’était pas évident parce qu’on ne nous dit pas qu’on peut être actrice: j’ai grandi en banlieue, on m’a exposé plein de métiers très classiques, médecin, avocate, mais on ne m’a jamais dit que je pouvais faire du cinéma. On ne me l’avait jamais proposé, donc je ne m’étais pas permis d’y croire. Il fallait un peu de courage… »

The French Dispatch
The French Dispatch

Dans la peau d’une chercheuse

Si sa carrière a mis un certain temps à se dessiner, Lyna Khoudri s’est largement rattrapée ensuite, n’ayant pas arrêté de tourner depuis Papicha. Dans les registres les plus divers qui plus est, passant avec un égal bonheur de la cité Gagarine à l’univers ultra-corseté de Wes Anderson – « c’est très particulier: même quand tu es libre, tu ne l’es qu’à l’intérieur de son monde…« , observe celle qui confie aimer par-dessus tout le travail de documentation.  » C’est la partie que je préfère avec le tournage, quand je suis seule dans ma chambre avec mes livres et mon ordinateur, à essayer de trouver des reportages, des images, des archives quand c’est possible, ou une inspiration. J’ai vraiment l’impression d’être une scientifique plongée dans un travail de recherche« , s’enthousiasme-t-elle. Une méthode à géométrie variable, suivant la nature des projets, mais à laquelle elle veille à ne point déroger. Ainsi, pour son rôle de pasionaria de Mai 68 dans The French Dispatch:  » Wes Anderson ne voulait pas qu’on bosse avant, trouvant que ça ne servait à rien, mais j’ai résisté. Il était très évasif sur son inspiration, je crois qu’il n’aime pas trop qu’on ait des choses précises auxquelles se raccrocher, mais j’ai quand même fait mes recherches. » Et de se plonger dans le manifeste Dada comme dans les écrits d’étudiants de l’époque, en plus des DVD laissés par le réalisateur à disposition des acteurs, comme Le Pont du Nord de Rivette et La Vérité de Clouzot notamment.

De Papicha à Haute Couture: retour sur le parcours de Lyna Khoudri

Houria, film pour lequel elle vient de retrouver Mounia Meddour, la réalisatrice de Papicha, lui a imposé une préparation plus physique, puisqu’elle y joue une danseuse. Mais si elle s’est soumise sans sourciller à l’intensité des sessions avec une coach, elle a aussi été chercher son inspiration ailleurs: « J’adore regarder le jeu des autres. J’aime bien faire la filmographie d’un seul acteur. Par exemple, je me fais Al Pacino en entier, et je vois son évolution, je vois ce qu’il a tenté, ça m’inspire. Il m’arrive de juste capturer des scènes qui me font penser à celles du film que je suis en train de tourner. Là, par exemple, pour le film de Mounia, je regardais souvent Marion Cotillard dans De rouille et d’os juste avant de faire une scène. Elle m’emmenait dans quelque chose: j’étais sur mon téléphone, j’avais enregistré, je disais « OK Marion, merci! », et j’y allais… » Et celle que l’on verra bientôt sous les traits de Constance Bonacieux dans Les Trois Mousquetaires de partir d’un grand rire: à 29 ans, le passé, le présent et l’avenir lui appartiennent.

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