Giovanni Aloi (La Troisième Guerre): « C’est une fiction, mais la volonté était d’être réaliste »

Giovanni Aloi: "C'est une fiction, mais la volonté était d'être réaliste. Et de raconter la France des années 2020." © getty images
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Avec La Troisième Guerre, son premier long métrage de fiction, où il suit une patrouille affectée à l’opération Sentinelle à Paris, le réalisateur italien capte l’air anxiogène de l’époque. Portrait et critique.

Dix-huit mois se sont écoulés entre la présentation de La Troisième Guerre, le premier long métrage de fiction de Giovanni Aloi, en section Orizzonti de la Mostra de Venise, et la parution du film en DVD (lire sa critique ci-dessous). Si, effet collatéral de la crise sanitaire, la présence de militaires dans les rues occupe un peu moins les esprits aujourd’hui qu’alors, le propos n’a rien perdu de son acuité. Le réalisateur italien réussit en effet à capter dans ce drame resserré autour d’une patrouille affectée à l’opération Sentinelle dans les rues de Paris quelque chose de l’air anxiogène du temps, avec son corollaire sécuritaire et ses dérives paranoïaques -bienvenue dans une époque ingrate.

Avant de se tourner vers le cinéma, Aloi avait étudié l’Histoire de l’art à Bologne, puis les arts plastiques à Paris 8. C’est d’ailleurs en français que cet admirateur de Magritte revient sur son parcours. « Je suis venu au cinéma par l’entremise d’un collectif que l’on a créé en 2010 avec des amis. On a continué à collaborer ensemble et à s’entraider. » Ses premiers pas de cinéaste, il les fait dans le documentaire, signant notamment Pan Play Decadence, consacré à des personnes unies par leur passion pour la transgression. Un an plus tard, en 2014, il tourne à Gênes (sa famille réside en Ligurie) le court métrage A Passo d’uomo (« Au pas »), une fiction inscrite dans un réel âpre. Sélectionné en compétition à Cannes, le film en est exclu suite à un point de règlement, ayant déjà été montré en dehors d’Italie. Un contretemps qui ne l’empêche pas d’être remarqué un peu partout ensuite, ses évidentes qualités tenant lieu de sésame pour le jeune réalisateur, qui enchaîne avec un autre court, E.T.E.R.N.I.T, présenté à Venise en septembre 2015. Quelques semaines plus tard, l’Histoire le rattrape: « J’étais à Paris le soir des attentats de 2015, au Bataclan et ailleurs. En 48 heures, j’ai vu la ville changer, devenir silencieuse, avec très peu de monde dans les rues et des gens au regard méfiant. Ce n’était plus la Ville Lumière, c’était devenu une ville en guerre, comme l’a annoncé Manuel Valls quand il a dit que la France était en guerre contre le terrorisme. Quand j’ai vu ces jeunes militaires se promener dans les rues avec des armes à feu, je me suis dit qu’il y avait là un film intéressant, et j’ai commencé à faire des recherches. »

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Souci du détail

Le résultat, c’est donc La Troisième Guerre, un film sur l’attente et sous haute tension, une fiction documentée en phase avec une réalité dont on voudrait croire, par moments, qu’il s’agit de science-fiction. « C’est une fiction, mais la volonté était d’être réaliste. Et de raconter la France des années 2020, en ne sortant pas tout à fait de la réalité et en ne faisant pas que de la fiction« , relève Giovanni Aloi, qui évoque les nombreuses recherches menées en compagnie du coscénariste Dominique Baumard (Le Bureau des légendes, Braqueurs) pour arriver au niveau de vérité requis. Le souci constant du détail aussi, qui veut, par exemple, que les chants des manifestants à la fin du film aient été enregistrés lors de vraies manifs. Ou que le réalisateur ait donné à chacun des figurants de chaque séquence des consignes bien précises -« Je suis un peu fou pour certaines choses« , sourit-il.

La force du film n’en est que plus grande, environnement comme en suspension précaire où il parachute une jeune recrue -Anthony Bajon, en train de perdre pied derrière ses traits poupins. « La plupart des militaires que je croisais dans la rue ou dans les aéroports étaient vraiment très jeunes et semblaient perdus, observe encore le cinéaste. Je voulais raconter cette génération venue de la province et regardant Paris avec des yeux qui n’arrivent pas à trouver la splendeur de la ville, mais qui commencent à devenir méfiants, et à y chercher un ennemi invisible. Ça m’a semblé intéressant, parce que je suis moi-même passé par des moments où je me demandais ce que je devais faire, et si j’étais à la bonne place ou non. C’est un thème qui peut concerner beaucoup de monde. Quand tu n’arrives pas à voir la beauté avec tes yeux, c’est qu’il y a un problème… » Soit le portrait d’un personnage prêt à dériver, Giovanni Aloi citant Serpico de Sidney Lumet et Taxi Driver de Martin Scorsese parmi ses inspirations, au même titre que le cinéma d’Elio Petri -« J’aime les films qui parlent de personnages qui délirent un peu« . Non sans poser un constat glaçant, lui qui rappelle encore à raison: « Voir des militaires dans la rue, ce n’est pas normal, je ne veux pas m’habituer à ça, honnêtement. On a cette image toujours dure de la guerre, l’image d’un danger, et je n’ai pas envie de ce type d’images qui, inconsciemment, nous conditionnent. Nous vivons une époque un peu étrange. » C’est peu de le dire.

Giovanni Aloi pour sa part ne compte pas en rester là, lui dont Le Domaine, son deuxième long métrage, est annoncé chez Wild West, la structure mise en place par Wild Bunch International et Capricci pour développer des projets de genre. Un polar contemporain cette fois, autour de la descente aux enfers de trois jeunes gens sans histoire massacrant les occupants d’un relais de chasse. Et un film qu’on annonce dans la lignée de Shotgun Stories, le drame familial qui révélait Jeff Nichols en 2007. De quoi le poser en réalisateur à suivre, comme on dit…

La Troisième Guerre

De Giovanni Aloi. Avec Anthony Bajon, Karim Leklou, Leïla Bekhti. 1h27. Dist: Capricci. ***(*)

Giovanni Aloi (La Troisième Guerre):

Au coeur de La Troisième Guerre, le premier long métrage du cinéaste italien Giovanni Aloi, on trouve Léo Corvard (Anthony Bajon), militaire fraîchement engagé, débarqué à Paris en provenance de La Roche-sur-Yon pour y être affecté à une mission Sentinelle. Et patrouillant inlassablement dans les rues de la capitale française en compagnie de Yasmine (Leïla Bekhti), la sergente en charge des opérations, et Bentoumi (Karim Leklou), un compagnon d’armes, à l’affût d’une éventuelle menace. Un quotidien fait d’attente et de regards inquisiteurs; de frustrations aussi qui, peu à peu, déconnectent le jeune soldat de la réalité. Accompagnant ces militaires en proie à un ennemi invisible dans leur morne routine, Giovanni Aloi signe un film d’une trouble étrangeté, réussissant, alors que la paranoïa gagne insensiblement, à capter l’air anxiogène et sécuritaire du temps. Une envoûtante réussite, consacrant la naissance d’un réalisateur et confirmant, aux côtés des impeccables Leïla Bekhti et Karim Leklou, l’étendue du talent d’Anthony Bajon, également à l’affiche d’Un autre monde. L’édition DVD est riche en suppléments intéressants, le cinéaste et le scénariste, Dominique Baumard, s’étendant sur les ressorts d’une oeuvre envisagée comme « un film de folie » à la manière de Taxi Driver, tandis que le compositeur Frédéric Alvarez et le mixeur Aymeric Dupas décortiquent l’environnement sonore de la dernière séquence sous haute tension, dans la réserve d’un supermarché. S’y ajoute, last but not least, Au pas, un court métrage tourné en 2014 où Giovanni Aloi mettait en scène, dans une appréciable sécheresse, une autre dérive, celle d’un homme en décrochage social et familial. À découvrir.

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