Belle, de Mamoru Hosoda: une vie moins ordinaire

Provinciale timide et complexée, la jeune Suzu se transforme en chanteuse superstar dans le monde virtuel de U.
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Grand maître nippon du cinéma d’animation, Mamoru Hosoda revisite le mythe de la Belle et la Bête entre réel et virtuel, lyrisme adolescent et kitscherie pop. Rencontre, à Cannes.

C’est l’une des obsessions incontestables du cinéma de Mamoru Hosoda depuis sa percée au niveau international avec ces véritables petits chefs-d’oeuvre animés que sont La Traversée du temps (2006) et Summer Wars (2009): explorer les multiples possibles de l’existence. Dans Belle aujourd’hui, le réalisateur célébré des Enfants loups (2012), du Garçon et la Bête (2015) et autre Miraï (2019) revisite le mythe immémorial de la Belle et la Bête à l’ère d’Internet pour mieux en dédoubler les enjeux et les potentialités. Dans le monde réel, Suzu y est une adolescente timide et complexée, menant une vie très ordinaire en compagnie de son père dans une petite ville de montagne. Mais dans le monde virtuel de U, Suzu se transforme en Belle, une icône musicale au succès retentissant. De quoi assurément pimenter le quotidien de la jeune fille, dont le trouble ne fera que croître quand la route de son avatar va croiser celle d’une créature aussi fascinante qu’effrayante. S’engage alors un intrigant chassé-croisé où le faux est appelé à se faire l’ami du vrai, le flou identitaire qui caractérise Suzu ayant tendance à se dissiper à mesure qu’elle expérimente sa destinée cachée.

« Dans la réalité, on ne peut pas changer de vie. Dans U, tout est possible. » Tel est le leitmotiv sur lequel se construit ce nouveau long métrage. Rencontré l’été dernier à Cannes, où Belle était présenté en séance spéciale, Hosoda raconte avoir avant tout voulu faire ce film pour en exploiter les multiples dualités constitutives: « J’ai toujours été beaucoup attiré par le conte d’origine. J’aime la relecture poétique que Jean Cocteau en a tirée bien sûr, mais aussi la version de Disney du début des années 90. Mon idée a toujours été d’en proposer une variation liée au Web. Dès qu’on parle d’Internet aujourd’hui, il y a cette idée de dualité entre le vrai vous et sa version virtuelle, souvent idéalisée. Dans le conte d’origine, la Bête est un personnage déjà très empreint de cette dualité. Elle dégage à la fois beaucoup de violence et de sensibilité. Ma première motivation pour le film tenait à cela: explorer pour mieux reconnecter ces deux facettes polarisées. Nous possédons tous une nature profondément duelle, que nous essayons de dépasser quand nous souhaitons donner le meilleur de nous face à quelqu’un à qui l’on tient tout particulièrement. C’est quelque chose de vraiment très universel, et c’est pourquoi, je pense, cette histoire reste à ce point attractive. »

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Un autre monde

Elle-même marquée par cette idée de dualité, l’identité visuelle du film oscille entre la ruralité de l’environnement de Suzu, jeune héroïne évoluant à la marge du monde au coeur d’une nature paisible et luxuriante qui est celle de la préfecture de Kôchi, au sud de l’archipel nippon, et la dimension numérique, grouillante et hyper colorée, de l’univers de U. « Quand on pense à Internet, la première chose qui nous vient à l’esprit est l’interface de notre navigateur, argumente Hosoda. Mais ce n’est pas vraiment ça, le Web. Si vous pouviez vraiment plonger dans cette réalité virtuelle, à quel monde accéderiez-vous? C’est la question décisive que je me suis posée. Et c’est comme ça que le monde de U a commencé à se dessiner. En tant que réalisateur de films d’animation, je me dois de toujours privilégier le visuel au verbal dans mon cinéma. Il s’agissait ainsi par exemple de rendre perceptible de manière quasiment sensorielle la connexion émotionnelle si particulière qui se crée entre les deux protagonistes dans ce monde parallèle. Toute l’identité visuelle du film s’est définie à partir de ces questions. »

Bourré de petites fulgurances graphiques, mais aussi de réelles maladresses narratives, Belle séduit, mais ne convainc jamais totalement, noyant notamment quelques grands moments de fragilité adolescente dans un tourbillon de kitscheries pop. Particulièrement gourmand dans le foisonnement de thématiques qu’il choisit d’aborder (peurs et traumatismes liés à l’enfance, manque de confiance en soi et mirage de la célébrité, valeurs d’entraide et maltraitances familiales…), le film ploie quelque peu sous le poids de ses ambitions, mais se démarque par le rapport majoritairement positif qu’il développe à l’égard de la technologie. « On a communément tendance à dire que plus nous sommes connectés à travers la technologie, et plus nous sommes seuls en réalité. Et je pense en effet qu’il y a une forme de vérité dans ce constat. Mais je voulais aller au-delà de ça. L’héroïne de Belle a perdu sa mère à un très jeune âge. Cette dernière est morte en tentant de secourir une inconnue, une petite fille dont elle ne connaît même pas le nom. Et Suzu n’est jamais parvenue à surmonter ce traumatisme. Or, son avatar virtuel va venir, à un moment donné, lui redonner confiance en elle. Son succès en tant que chanteuse dans le monde de U lui donne en quelque sorte la force nécessaire afin de venir à son tour en aide à un étranger qui a besoin d’elle. De cette manière, elle parvient enfin à évoluer et à se rapprocher de sa mère. Elle comprend son geste et le prolonge. J’aime cette idée que le virtuel puisse aussi parfois venir débloquer salutairement des choses dans le réel. »

Belle. De Mamoru Hosoda. 2h07. Sortie: 16/02. ***

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