Sobre, passionnante et haletante, The Deal infiltre les coulisses des négociations sur le nucléaire iranien. Quand la sphère politique squatte le monde des séries télévisées.
The Dealde Jean-Stéphane Bron et Alice Winocour
ARTE.TV
Thriller politique avec Veerle Baetens, Juliet Stevenson, Arash Marandi. 6 épisodes de 45 minutes. A partir du 16 octobre sur Arte.tv et du 23 octobre sur Arte.
La cote de Focus: 3,5/5
En avril 2015, dans un luxueux hôtel genevois, s’ouvre une nouvelle série de négociations sur le nucléaire entre les Etats-Unis et l’Iran, alors soupçonné de vouloir se doter de l’arme atomique. Chargée du protocole et rapidement promue cheffe de la mission diplomatique suisse, Alexandra Weiss, incarnée par la convaincante Veerle Baetens, orchestre les discussions et ménage les susceptibilités. Tandis que des espions sont prêts à tout pour les faire échouer, son amant iranien y sera mêlé. Mention spéciale pour le scénario dans la compétition internationale du dernier festival Séries Mania, The Deal invite dans les coulisses d’une partie d’échecs aux résonances mondiales où le compromis tangue au rythme de la géopolitique, de l’espionnage, des pressions extérieures et des histoires personnelles. Une minisérie passionnante et haletante.
Curieux hasard de calendrier. Alors qu’à l’initiative de la France, du Royaume-Uni et de l’Allemagne, l’Organisation des nations unies (ONU) vient de rétablir, le 28 septembre, des sanctions contre l’Iran, The Deal plonge dans les négociations menées il y a une dizaine d’années autour de son programme nucléaire. Elles ont été bien plus longues que dans la série, puisqu’elles se sont étendues de 2013 à 2015, dans des phases publiques dont les médias avaient connaissance et lors de discussions secrètes dans des hôtels et des aéroports.
A la fois romancé (la vie intime des personnages et l’histoire d’amour qui la rythment ont été imaginées par les créateurs de la série) et extrêmement documentée, The Deal a pour décor Genève où des pourparlers ont eu lieu trois mois avant la signature de l’accord final. «Nous avons mené un travail intense de recherche sur le sujet pendant deux ans, souligne son réalisateur et coscénariste Jean-Stéphane Bron. L’accord sur le nucléaire iranien a fait l’objet d’une vaste documentation, surtout journalistique, incluant notamment un documentaire de la BBC et les mémoires d’une diplomate américaine. Nous avons également rencontré des chercheurs et des diplomates qui nous ont décrit les dynamiques à l’œuvre dans ce type de discussions. Faut-il sanctionner ou négocier? Le débat était vif au sein de la délégation américaine et ces tensions ont nourri l’écriture du scénario.» L’accord de 2015 ayant donné lieu à une résolution écrite dont des points précis ont été rendus publics, les créateurs ont tenté de remonter le fil de l’histoire à partir de son dénouement. «Le sort du réacteur nucléaire iranien d’Arak, démantelé à la suite de l’accord, ou le nombre de centrifugeuses d’uranium dont l’Iran pouvait disposer ont été décidés à l’issue des négociations. A ces éléments s’en sont ajoutés d’autres, authentiques également, comme la présence du Mossad à Genève au moment des discussions.»
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A ses yeux, la série franco-luxo-belgo-suisse est un hommage aux diplomates. «A des gens qui, face à un lourd enjeu, croient aux mots et au consensus, poursuit Jean-Stéphane Bron. Et ceci «dans une ère de pression maximale, de menace, de pur rapport de force. Tout le principe de The Deal est de donner à voir comment des personnages se jaugent, se guettent, s’affrontent ou acceptent de faire confiance.» Le tout avec pour fil rouge un personnage, plusieurs même, qui ne sont pas sur la photo…
Et vint Spin City…
Veep, The Diplomat, Hostage, Baron noir, Borgen, Pandore, The Crown, Parlement (parce que mieux vaut en rire que de s’en moquer) ou encore Dans l’ombre, avec Melvil Poupaud, adapté d’un livre écrit par l’ancien Premier ministre français Edouard Philippe et le député européen Gilles Boyer… C’est ne pas un hasard si l’une des premières productions originales de Netflix, House of Cards, explorait les coulisses de Washington. Le monde politique est devenu une vraie mine d’or pour l’industrie des séries.
Avec ses six épisodes de deux heures diffusés en 1977 aux Etats-Unis et en 1980 sur Antenne 2 en France, Intrigues à la Maison-Blanche est l’une des rares exceptions. Avant les années 1980, les séries politiques n’existaient pour ainsi dire pas et les pionnières (les britanniques Yes Minister, Yes Prime Minister, The New Stateman) ont été oubliées du grand public. C’est Spin City (1996), avec Michael J. Fox en bras droit du maire de New York, qui lancera véritablement la tendance. Et A la Maison-Blanche se chargera d’enfoncer le clou. Inspirant notamment Mister Sterling (2003), Commander in Chief (2005) ou encore L’Etat de grâce dans lequel une femme devient présidente de la République.
«Les scénaristes sont devenus des leaders d’opinion de l’ombre.»
Petit à petit, les séries sont passées à des niveaux de pouvoir moins connus et à des postes moins ronflants (député dans The Honourable Woman, ministre dans Madam Secretary). Elles se sont intéressées à des professions connexes (les spécialistes en communication dans Les Hommes de l’ombre ou Borgen) et à des personnages moins héroïques (Tom Kane dans Boss).
Des révélateurs
Comment expliquer cet intérêt pour la chose politique? Les chercheurs Jean-Pierre Esquenazi et Marlène Coulomb-Gully avancent l’hypothèse que les récits comblent les vides d’une information insipide. Les téléspectateurs semblent aussi parfois être attirés par les séries politiques pour les mêmes raisons qui les détournent des urnes. Le pouvoir fascine et rend défiant. Ces séries ne sont pas le reflet d’un milieu mais elles en sont des révélateurs. Ce qui pose un tas de questions et s’accompagne de divers risques. Celui de confondre les faits et la fiction. Mais aussi de voter pour un candidat plutôt qu’un autre à cause de son feuilleton préféré… La présidente froide et accro au pouvoir dans Prison Break a-t-elle nui à Hillary Clinton lors de ses primaires face à Barack Obama? 24h Chrono a-t-elle permis de préparer le terrain à l’élection d’un président noir aux Etats-Unis? En Ukraine, Serviteur du peuple a, pour le moins, propulsé son acteur principal, Volodymyr Zelensky, au pouvoir.
Dans une tribune publiée par Le Nouvel Obs, Dorian Dreuil et Samuel Jequier affirmaient l’année dernière que les scénaristes étaient devenus des leaders d’opinion de l’ombre. Que si les séries captent l’air du temps, elles sont aussi des forces prescriptives qui participent à la fabrique de nos représentations. Les séries sont devenues un champ de bataille culturel où se fabriquent nos imaginaires démocratiques. Et les comédiens participent au combat. Sur les écrans, ou même en dehors.
En 2020, le casting d’A la Maison-Blanche s’est réuni pour rejouer un épisode vieux de 20 ans et ainsi appeler les jeunes Américains à aller voter. Au générique figurait un sous-titre When We All Vote, du nom de la fondation présidée par Michelle Obama pour faciliter l’inscription sur les listes électorales. Là où Kerry Washington et Tony Goldwyn, qui interprètent la communicante Olivia Pope et le président Fitzgerald Grant dans la série Scandal, étaient les guest stars de la Convention nationale démocrate pour soutenir l’investiture de Kamala Harris à la présidentielle…
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