Laurent Raphaël

L’édito: La mort aux trousses

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

C’était l’un des thèmes majeurs de la production culturelle en 2021, sans doute inspiré par l’air vicié de l’époque. La mort n’a en effet jamais été autant décortiquée, disséquée, cartographiée, souvent avec pudeur, plus rarement avec humour.

Paradoxalement, si le Covid et son refrain mortifère quotidien ont créé un climat propice à regarder notre destin mortel les yeux dans les yeux, ce n’est pas la pandémie en tant que telle qui a eu les faveurs des artistes, sinon à la marge ou comme élément circonstanciel du décor. Aussi bien chez Amélie Nothomb (dans Premier sang, où elle se glisse dans la peau de son père disparu pour lui rendre hommage), chez Chimamanda Ngozi Adichie (dans Notes sur le chagrin, où elle crie son désespoir après la perte de son père là aussi) ou chez Jane Campion (dans The Power of the Dog, où le personnage maléfique incarné par Benedict Cumberbatch ne s’est jamais remis de la disparition de son mentor-amant), l’approche du trépas est plus intimiste, donc plus universelle, et permet à ces artistes d’arpenter le labyrinthe des émotions creusé par l’absence, la perte, le vide sidéral. Pour d’autres, se plaçant dans une perspective plus globale résonnant avec la menace climatique actuelle, l’odeur de la mort a pris une dimension encore plus vertigineuse en explorant le scénario plus si farfelu d’une extinction de l’espèce.

C’u0026#xE9;tait l’un des thu0026#xE8;mes majeurs de la production culturelle en 2021. La mort n’a jamais u0026#xE9;tu0026#xE9; autant du0026#xE9;cortiquu0026#xE9;e, dissu0026#xE9;quu0026#xE9;e, cartographiu0026#xE9;e, souvent avec pudeur, plus rarement avec humour.

La dernière scène de la satire déjantée Don’t Look Up signée Adam McKay, disponible sur Netflix, résume assez bien l’humeur funeste du moment. (Attention, spoiler). Après avoir tenté d’alerter en vain le monde de l’imminence d’une collusion de la Terre avec une comète, théorie scientifiquement solide remise en cause par les complotistes de tous bords et instrumentalisée -avec pour même résultat- par une politicienne ambitieuse et par un riche homme d’affaires, deux astrophysiciens, entourés de leurs proches, se retrouvent pour un dernier repas au moment fatidique. Une scène émouvante et nullement déprimante, mais au contraire débordante d’une belle humanité, qui rappelle l’énergie positive et l’effusion retenue qui habitaient les derniers plans de Melancholia, la pépite de Lars von Trier, où Charlotte Gainsbourg, son fils à l’écran et Kirsten Dunst se réfugiaient dans un tipi improvisé pour attendre l’arrivée de l’astre qui allait percuter la planète.

En regardant DiCaprio, Jennifer Lawrence et consorts se tenir la main et se réconforter mutuellement, on ne peut s’empêcher de se demander ce qu’on se dirait dans un moment pareil. Suivant le caractère, certains opteraient probablement pour le silence, d’autres pour une logorrhée trahissant leur nervosité, d’autres encore pour des propos banals, voire une plaisanterie, dans une tentative désespérée d’alléger l’atmosphère. Il n’est pas exclu, comme dans le film, que quelqu’un propose même une prière. Car il n’est jamais trop tard pour se convertir et, qui sait, sauver son âme. Comme le rappelle un des acteurs dans cette dernière Cène sans Judas: « Dans un avion qui se crashe il n’y a pas un seul non-croyant. » Ce face-à-face avec la mort, qu’il soit serein ou agité, nous a en tout cas aidé à cheminer dans notre propre perception du deuil, et plus largement à inscrire l’idée anxiogène de finitude dans une perspective plus apaisée, au confluent du tragique (à l’échelle humaine) et de l’anecdotique (à l’échelle du cosmos).

2022 ne devrait pas plus transpirer la joie si l’on en croit les premiers échos. Le roman événement du mage Michel Houellebecq par exemple, Anéantir, qui sort le 7 janvier, est hanté d’un bout à l’autre par l’ombre de la mort. Mort physique avec le père qui tombe dans le coma après un AVC, mais aussi mort du désir à travers Paul, haut fonctionnaire traversant l’existence comme un zombie en costume gris, mort globale enfin avec ces attentats non revendiqués faisant peser une menace sourde sur une civilisation éreintée. Le désespoir ne balaie pourtant pas tout sur son passage pour une fois chez cet indécrottable cynique. La mort sème la désolation, certes, mais elle donne aussi du relief et de la valeur à la vie, dont le nectar demeure à portée de main tant que le clap de fin n’a pas retenti.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content