Fargo saison 4, généalogie de la violence

Chris Rock en chef de gang à Kansas City.
Nicolas Bogaerts Journaliste

La quatrième saison de Fargo, disponible sur le bouquet Proximus, rouvre une plaie à vif: une Histoire de l’Amérique portée par les soubresauts de violence ethnique aussi persistants que leur mémoire demeure partiale.

« La vie n’est rien d’autre qu’une course pour être le criminel plutôt que la victime. » Cette citation du philosophe britannique Bertrand Russell, ouvrant le neuvième épisode de la quatrième saison de Fargo, encapsule une des grandes thématiques de cette nouvelle variation sur l’oeuvre originale des frères Coen, signée Noah Hawley. Dans le maelström de personnages fantasques, d’arcs narratifs insidieusement entrelacés, ensanglantés et brutalement dénoués, typique de la série depuis ses débuts en 2014, la grande thématique de cette nouvelle mouture a rejoint, en la complétant, une tradition qui a nourri le cinéma (Le Parrain, Gangs of New York, La Porte du paradis…) et la télé (The Sopranos, Boardwalk Empire…): une certaine Histoire de la violence américaine, sa généalogie au croisement des récits collectifs et intimes.

Dissertation d’Histoire

La saison est structurée autour de la narration de la jeune Ethelrida Pearl Smutny (E’myri Crutchfield), sous forme d’une dissertation d’Histoire. Son sujet: les racines de la guerre des gangs qui ensanglante Kansas City en 1951, enracinée dans les strates d’immigrations et de dominations successives des familles juives, irlandaises puis italiennes, avant qu’un nouveau clan afro-américain, dirigé par Loy Cannon, vienne lui aussi se frotter au crime organisé. Ethelrida, métisse, est issue d’une famille mixte de croque-morts liés par une dette envers la famille Cannon. Celle-ci a réussi à imposer sa présence à Kansas City au prix d’un marchandage instauré depuis des générations entre familles qui s’y sont partagé le pouvoir: chefs de clans installés et derniers arrivés devaient échanger leurs plus jeunes fils, en gage de paix. Ce compromis est loin d’avoir empêché les luttes systématiques: les Irlandais ont tué les Juifs, avant de se faire éliminer par la mafia italienne. Alors que la mort de Don Fadda, tué par une mystérieuse serial killer, Oraetta (Jessie Buckley), a laissé son incapable de fils, Josto (Jason Schwartzman) en charge du business, la guerre est relancée avec les rivaux Cannon. Son dénouement laisse de nombreux cadavres au sol, fait apparaître des alliances et des trahisons qui se paieront au prix fort et dessine un récit de la violence et du racisme en prise avec la mémoire et le présent.

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L’Histoire de la violence américaine, c’est, ici, celle des vagues successives d’immigration de familles criminelles, la dernière arrivée venant se clasher sur la précédente, devenue brise-lames. La nécessité absolue de survie, de pouvoir, de contrôle nourrit les luttes. La guerre des gangs ethniques est le brasier dans lequel se serait forgée l’identité américaine. Si l’Amérique est un « salad bowl », une salade composée de multiples apports culturels, on y trouve encore, portés par les bourrasques de l’Histoire, de gros morceaux, coriaces, de clanisme. Et si l’Amérique est un melting-pot, celui-ci est aussi un creuset où s’est concoctée une généalogie de la violence. Or, semble nous dire Noah Hawley dans la bouche d’Ethelrida, le sort des Afro-Américains est dans ce storytelling celui d’une pièce rapportée, un angle mort. L’Histoire étant écrite par les vainqueurs, la mémoire ne sera jamais complète. Les familles italiennes, aussi marginales qu’elles soient à leur arrivée, se sont débarrassées de leurs rivales et peu à peu assimilées dans la société. Les Noirs, eux, ne le seront jamais: le clan de Loy est pratiquement désossé par une mafia surpuissante qui chapeaute les plus grandes villes américaines.

Souvenir

« Tu sais pourquoi les Américains aiment les récits criminels? Parce que l’Amérique est une histoire criminelle », se plaît à dire Josto Fadda. Fargo rejoint alors les récits fondateurs d’une nation construite par une succession de crimes aux relents ethniques, une lutte pour la domination dont les conséquences se font sentir encore aujourd’hui. Sans doute plus qu’aucune autre année, 2020 aura réuni nombre de séries qui embrassent cette thématique. Si en 2019 The Watchmen a frappé les esprits en la matière, Lovecraft Country, The Warrior et The Plot Against America, pour les plus saillantes, ont porté les stigmates de cette Histoire de l’Amérique alors que le pays connaissait une poussée des revendications afro-américaines contre le racisme systémique, et un backlash suprématiste singulièrement virulent.

Le dernier épisode de cette saison 4 de Fargo, explicitement titré Storia americana (« Histoire américaine », en italien), pose ainsi la question: « L’Histoire est une forme de souvenir. Mais que signifie « se souvenir »? Demandez-vous qui écrit les livres, qui choisit ce dont il faut se souvenir et ce qui peut être oublié. » Qui fait porter le chapeau? Quels fantômes reviennent alors nous hanter? Noah Hawley a créé un récit où l’Histoire est une forme de souvenir peuplé de non-dits et la violence, leur continuité. Mais le twist que cette saison 4 fournit après son générique de fin, et qu’il ne nous revient pas de révéler, est la touche finale à ce portrait de l’Amérique, au croisement de l’intime et du collectif.

Fargo (saison 4), Série créée par Noah Hawley. Avec Chris Rock, Jason Schwartzman, E’myri Crutchefield. ****

Disponible via l’option Movies & series de Proximus.

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