De Big Little Lies à Tuca & Bertie, l’empreinte de #MeToo dans les séries

Big Little Lies, série emblématique de l'ère post-#MeToo

Après la vague du mouvement #MeToo, les choses se sont mises à bouger dans le monde audiovisuel. À la télévision aussi les langues se sont déliées et de nouveaux sujets sont traités sur le petit écran. Voici comment le mouvement #MeToo a influencé les séries.

En octobre 2017, suite à l’affaire Weinstein, le hashtag #MeToo se propage sur Internet à une vitesse impressionnante. C’est le début du mouvement qui met en évidence et dénonce le grand nombre de cas de harcèlement et d’agressions sexuelles, principalement sur le lieu de travail. Si le mouvement a commencé dans le monde du cinéma, il s’est ensuite étendu plus généralement. Deux ans après, on observe que la télévision s’est peu à peu métamorphosée pour prendre en compte ces problématiques. En effet, comme le confiaient au Soir les organisateurs du festival Are You Series? en décembre passé, « la série s’approprie des thématiques de manière très frontale, elle te confronte à ton époque, tout se mélange, il n’y a parfois plus de distinction entre fiction et réalité. C’est un miroir de notre société. »

Les séries télévisées ont toujours eu du succès, et avec l’essor actuel des plateformes de streaming, elles sont de plus en plus présentes et variées. En tant que reflet de la société, c’est presque naturellement qu’elles s’adaptent aux grandes tendances. Les discussions entre scénaristes ont désormais inclus la question qui a agité la Toile pendant plusieurs mois. Mais alors que, dans le sillage du mouvement, on a simplement vu apparaitre quelques sous-intrigues remontant à la surface le passé honteux d’un personnage masculin, certaines nouvelles séries qui apparaissent aujourd’hui font du harcèlement ou de la violence faite aux femmes leur sujet principal.

Du changement dans les séries déjà bien implantées

Grey’s Anatomy, Veep, The Good Fight, Jessica Jones et même des comédies comme Brooklyn Nine Nine ont intégré dans leur scénario la question du harcèlement ou violences sexuelles portés par le mouvement #MeToo. Mais comme le constate Emily Nussbaum du New Yorker, elles le font souvent en réécrivant ou réinterprétant des histoires qui paraissaient autrefois drôles ou romantiques, y trouvant de nouveaux angles plus sombres.

Jackson Avery découvre les méfaits de son grand-père dans l'épisode
Jackson Avery découvre les méfaits de son grand-père dans l’épisode « La mauvaise réputation » de Grey’s Anatomy© Getty

Grey’s Anatomy en est un exemple emblématique. Pendant des années, la Fondation Harper Avery délivre un prix prestigieux aux médecins de la série. Dans la saison 6, diffusée en 2009-2010, Jackson Avery, le petit-fils d’Harper, fait son entrée dans la série en tant qu’interne dans l’hôpital. La fondation est alors un élément plus central de l’intrigue puisqu’elle devient un des actionnaires majeurs de l’hôpital. Dans la saison 14, diffusée en 2018, Harper Avery décède. Jackson découvre alors que son grand-père était poursuivi pour harcèlement sexuel et que 13 femmes sont tenues, par un accord de non-divulgation, à ne rien dire sur ce qu’elles ont subi de la part d’Harper. Ce tournant dans la série fait directement écho à l’affaire Weinstein, l’agresseur étant celui dont les médecins cherchaient tous la reconnaissance de leur carrière.

La célèbre série de médecins n’est pas la seule à faire référence à cet évènement. Dans la dernière saison de la série Veep, diffusée entre mars et juin 2019, le hashtag #NotMe est utilisé par un groupe de femmes déclarant qu’elles ne sont jamais sorties avec le candidat à la présidence, Jonah Ryan. La série se termine d’ailleurs par un complot dans lequel l’héroïne, Selina Meyer, utilise un scandale de type #MeToo pour miner un opposant.

De nouvelles fictions nées dans le monde post-#MeToo

Plus récemment, certaines nouvelles séries créées intégralement dans le monde post-#MeToo vont plus loin en construisant une grande part de leur intrigue sur la question du harcèlement et/ou ses conséquences sur la vie des victimes. Comme l’a constaté Emily Nussbaum du New Yorker, « dans l’ensemble, les showrunners ont pris des chemins singuliers, brutaux et souvent audacieux dans la discussion, renversant les clichés plutôt que de les reproduire, cherchant de nouvelles perspectives sur le sujet de l’exploitation au travail ». C’est notamment le cas de deux séries du moment, Big Little Lies (qui s’intéresse plutôt aux violences conjugales) et Tuca & Bertie qui soulèvent la question chacune à leur manière.

Big Little Lies, les dessous d’une relation abusive

La première saison de la série adaptée du livre Petits secrets, grands mensonges de Liane Moriarty, est sortie sur nos écrans au début de l’année 2017. Big Little Lies met en scène, dans le cadre idyllique de Monterey, une ville balnéaire californienne, cinq mères de famille dont la vie semble, à première vue, parfaite. Néanmoins, se révéleront petit à petit les dessous brutaux du quotidien de certaines de ces femmes: violences domestiques d’un côté, souvenirs violents d’un viol de l’autre. Celeste (Nicole Kidman), est régulièrement battue par son mari, Perry (Alexander Skargard), mais le cache à tout le monde, y compris ses amies. Dans le dernier épisode de la saison, on découvre que Perry est aussi le violeur de Jane (Shailene Woodley, lire notre interview) et donc le père de Ziggy, qui a le même âge que les enfants de Celeste.

Celeste, Jane et Madeline dans Big Little Lies
Celeste, Jane et Madeline dans Big Little Lies

La série est portée par deux productrices bien connues, soutenant la lutte pour l’égalité des sexes, Reese Witherspoon et Nicole Kidman, qui ne s’attendaient pas à un tel succès de la série. « On a commencé la production bien avant #MeToo. Puis ça s’est répandu peu à peu quand Big Little Lies est sorti. C’est pourquoi pour ce rôle de Celeste, il y a eu une réponse plus importante que tout ce que j’avais fait auparavant », partage Nicole Kidman au Guardian.

Big Little Lies était initialement prévue comme une minisérie d’une saison unique puisqu’elle était basée sur le livre de Liane Moriarty. Les deux productrices ont décidé d’en faire une seconde saison pour poser la question de l’après. Pour cela, l’auteure a écrit une suite de son roman. Autre changement: Andrea Arnorld remplace Jean-Marc Vallée à la réalisation. Le regard porté sur ces femmes est donc maintenant entièrement féminin.

Dans sa deuxième saison (actuellement en cours de diffusion sur HBO), Big Little Lies va encore plus loin en explorant les conséquences et les suites des violences conjugales. On y voit le personnage de Celeste se reconstruire difficilement après à la disparition de son mari abuseur. Malgré l’absence, le problème n’est pas réglé. Jane et Celeste sont, dans cette série, de rares portraits de femmes vivant avec un traumatisme sexuel. Ce qui rend la série encore plus riche est l’ambiguïté de la relation entre Celeste et son mari. Contrairement à Jane, elle ne se comporte pas en victime parfaite et la séparation avec son agresseur n’est pas si simple que cela.

Tuca & Bertie, des thématiques graves dans un animé loufoque pour adultes

Tuca & Bertie est un tout nouveau venu sur Netflix depuis mai 2019. Il s’agit d’une série d’animation pour adultes créée par Lisa Hanawalt, l’illustratrice de BoJack Horseman. Dans un univers haut en couleur, Tuca, une toucan extravagante, déménage de sa colocation avec sa meilleure amie, Bertie, une oiselle anxieuse qui emménage avec son compagnon. Le sujet principal de la série sont les aventures quotidiennes des deux amies.

Tuca & Bertie est également un commentaire acerbe du mouvement #MeToo. Une des intrigues principales de la série est la relation que Bertie entretien avec Pete, son nouveau patron dans une pâtisserie. Bertie est très impressionnée par Pete, non seulement parce qu’il l’attire sexuellement (comme le témoignent ses rêves érotiques) mais aussi parce qu’il est un maitre dans sa discipline. Seulement, un jour, il lui demande de vérifier un roux à la banane qu’il est en train de préparer. Alors qu’elle a la tête au-dessus de la casserole, il la pousse vers le bas pour que la vapeur lui brule le visage. Pete se révèle être un sale type abusif mais qui est aussi un modèle pour Bertie et sa chance de faire carrière dans la pâtisserie.

Tuca & Bertie
Tuca & Bertie© Isopix

« J’ai choisi la cuisine assez tôt dans le processus pour le développement de son personnage », explique Lisa Hanawalt au New York Times au sujet de Bertie. « Je voulais quelque chose qui serait comparable à comment je me suis sentie en entrant dans le monde des comics quand j’étais une jeune dessinatrice, encadrée par des éditeurs et des dessinateurs plus âgés. »

Bertie continue à travailler pour Pete, ne se posant aucune question et répondant « oui chef! » à toutes ses demandes. Ce n’est finalement que lorsqu’une autre apprentie, subissant les mêmes sévices, s’en va en claquant la porte, que Bertie réalise la situation dans laquelle elle se trouve.

Tuca & Bertie, comme Big Little Lies, correspondent à un canevas qu’Emily Nussbaum a remarqué dans plusieurs séries tenant compte du mouvement #MeToo: « les femmes dans ces séries peuvent aussi bien être les complices que les victimes, parfois même les deux à la fois. Souvent, ces histoires mettent en scène des personnages qui se replongent dans des expériences compliquées, s’efforçant de voir les choses sous un autre angle. Plus important encore, ces intrigues ne s’intéressent pas tant aux individus en eux-mêmes qu’aux systèmes qui les entourent et à la désagréable sensation de reconnaitre une mauvaise situation en se rendant compte qu’on en fait partie. »

Ces deux exemples ne sont pas les seuls mais sont peut-être les plus emblématiques dans l’ère post #MeToo. Ils abordent des thématiques très peu traitées sous cet angle et du point de vue féminin. Les deux séries laissent également une place aux femmes derrière la caméra et à la création.

Sophie Decaestecker

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