La crise climatique s’invite dans les romans, les films et les séries mais sans impacter nos comportements
Le Déluge, Cabane, Survivre, Don’t Look Up… La crise climatique s’invite dans les romans, les films et les séries. Est-ce que ça change pour autant la donne? Pas sûr.
L’oracle Jacques Chirac ne nous contredira pas: ce n’est pas parce qu’on a décidé de regarder ailleurs pendant que la maison brûle -ou prend l’eau comme à Valence récemment- que tout va s’arranger. Au contraire. Les rapports scientifiques, notamment du GIEC, se suivent et se ressemblent pour indiquer que le réchauffement climatique s’accélère et que le monde joue à la roulette russe en ne prenant pas la mesure de l’effondrement en cours. Le scénario du pire est quasiment acquis. Ce qui explique sans doute pourquoi autant de romans, films et séries nous alertent sur les effets potentiels de la crise climatique. Pour rappel, on se situe actuellement sur une trajectoire de +3,2°C d’ici 2100. Autant dire que nos petits-enfants, et avec eux la faune et la flore qui aura survécu d’ici là, vont déguster. COP ou pas COP, la perspective d’inverser l’emballement s’éloigne irrémédiablement. Ce que mon fils de 17 ans, pragmatique à défaut d’être optimiste quand je le houspille pour baliser son avenir, résume d’une phrase: « De toute façon on est foutus ».
Depuis toujours, en matière d’écologie, c’est un pas en avant, trois pas en arrière. Après le vent de fronde incarné par Greta Thunberg et relayé lors de manifestations mobilisant massivement la jeunesse aux quatre coins du monde, on assiste actuellement au backlash. La guerre, la crise, le déni, les réalités alternatives, la lassitude, la fuite dans le virtuel ou le refus de l’écologie punitive ont chassé la bombe climatique des préoccupations médiatiques et des fils Insta et TikTok. Ce qui se traduit aussi dans les urnes: chez nous avec des Verts en déroute, aux États-Unis avec l’élection d’un président perméable au climato-scepticisme et qui compte bien pomper jusqu’à la dernière goutte de pétrole pour faire tourner la S.A. America. Après moi, le déluge!
Tiens, tiens, Le Déluge, c’est justement le titre d’un des livres événements de cette rentrée. Dans cette brillante fresque chorale, Stephen Markley laisse entrevoir les conséquences apocalyptiques, à tous les niveaux de la démocratie américaine, de notre inaction. Pas en 2100 mais en 2039. Certes, c’est de la fiction, mais nourrie d’une solide documentation et basée sur les projections des scientifiques. En s’intéressant au sort de personnages aux profils variés sur une période longue (2013-2039), le romancier rend palpable le basculement en train de s’opérer et inscrit les soubresauts actuels (politiques comme l’assaut du Capitole en 2021, écologiques comme les catastrophes « naturelles » qui se multiplient et s’intensifient) dans un récit cauchemardesque quasi écrit d’avance.
Personne ne peut prédire l’avenir. Mais tout le monde, à commencer par les artistes, peut essayer de l’imaginer. Ce n’est sans doute pas un hasard si la « cli-fi » (ou « climate fiction ») connaît un regain d’intérêt. Lors de la dernière rentrée littéraire, un autre roman lanceur d’alerte a également marqué les esprits au rayon francophone. Cabane, d’Abel Quentin, dézingue notre obsession suicidaire de la croissance en rappelant que les auteurs du rapport Meadows (rebaptisé Rapport 21 dans le livre) avaient anticipé tous les fléaux actuels dès… 1972, prophétisant même la destruction de la planète pour le mitan du XXIe siècle si rien ne changeait. Or, rien n’a changé. 2039, 2050… c’est demain.
On peut s’étonner que ces visions d’un futur inhabitable, que l’on retrouve aussi dans les films et séries comme Don’t Look Up, Interstellar, 2012, Survivre, The Last of Us ou Silo, n’entraînent pas de réactions en chaîne pour changer illico de modèle. On frissonne en regardant sur les écrans le monde s’écrouler et on reprend sa vie « normale » après. Une leçon d’humilité pour la fiction. Et un aveuglement ou un fatalisme pour le moins inquiétants.
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Autre étrangeté: les trames des éco-fictions d’aujourd’hui sont finalement assez proches de celles qu’imaginaient déjà les futurologues dans les années 50, 60 et 70 pour notre présent (voire avant comme La Fin de la Terre de l’écrivain québécois Emmanuel Desrosiers, paru en 1931). Songeons à Sur la route de Cormac McCarthy ou à Soleil vert de Richard Fleischer. Inondations, mégafeux, tsunamis, écocides étaient déjà à l’ordre du jour. L’explication est aussi simple que flippante: la réalité d’aujourd’hui a tout simplement rattrapé la fiction. Les images des torrents de boue dévalant les villages espagnols pourraient être reprises telles quelles dans un film catastrophe de Roland Emmerich. On appelle cette frontière de l’imagination le « mur du futur ». Un mur qui se rapproche dangereusement. Mais faisons confiance aux nouveaux meilleurs amis Donald et Elon pour nous sortir de ce mauvais pas… ●
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