Après 17 ans, Focus tourne la page et poursuit l’aventure dans le Vif et sur le Net
Ce fut une belle aventure. 17 ans à secouer le cocotier culturel. Focus version papier tire sa révérence et poursuit l’aventure dans les pages du Vif et sur le Net.
Janvier 2008-janvier 2025. Après 17 années à secouer le cocotier culturel, Focus tire sa révérence. En tout cas sous sa forme actuelle. Dès la semaine prochaine, vous retrouverez bien la griffe et le ton Focus, pages télé comprises, mais dans une version plus ramassée et intégrée dans le Vif.
Moins de print mais plus de digital, une partie des moyens sera redéployée sur le nouveau champ de bataille de l’info, c’est-à-dire ici. C’est dans l’air du temps même si ce désarmement -au sens naval du terme- ne se fait pas sans un solide pincement au cœur. Car au-delà des chiffres vertigineux (900 numéros, plus de 60 000 pages noircies et 700 éditos à mon compteur personnel), c’est surtout une quantité incroyable de souvenirs, de rencontres fabuleuses (parmi des milliers d’autres, je pense à ces numéros collector réalisés sous le patronage inspiré et inspirant de Jaco Van Dormael, de Dominique A, de Bouli Lanners ou de Philippe Katerine), d’événements hors les murs (concerts, avant-premières, expos…), de couvertures d’anthologie (Riad Sattouf, Jean-Luc Moerman et même le street artist Invader pour ne citer que quelques-uns des artistes qui ont un jour customisé le magazine), et d’engueulades homériques (les journalistes de Focus ont la passion chevillée au corps, ce qui provoque parfois des étincelles) qui remontent en une fois à la surface et filent la boule au ventre.
Une aventure collective qui a, on l’espère, permis à certains d’entre vous de faire de belles découvertes, de mettre des mots, des sons, des images sur des émois et des peines, en plus de trouver votre chemin, si pas dans la vie, du moins dans la jungle des sorties. Notre boussole a toujours été de rendre compte de la complexité du monde en passant par les petites routes de l’imagination plutôt que de filer droit sur les grandes artères rectilignes du mainstream formaté. La curiosité n’est pas un vilain défaut quand elle ouvre de nouveaux horizons.
Si on a pu éclairer quelques âmes errantes, tous ces efforts -combien de nuits écourtées, de bouclages à l’arrache, de débats fiévreux?- n’auront pas été vains. L’aventure continue, on l’a dit, mais on s’en voudrait de tourner la page sans nous jeter quelques fleurs, l’air de rien, et sans vous remercier de nous avoir accompagnés et inspirés, que vous soyez là depuis le premier numéro -dont la couverture, en 3D s’il vous plaît, était consacrée au film de Ben Stassen, Fly Me to the Moon-, ou que vous ayez pris le train en marche sur les recommandations d’un proche ou en trompant l’ennui dans la salle d’attente du dentiste.
Des émotions par paquets donc, et aussi des remises en question, surtout depuis le Covid. L’épidémie a changé la société. On le sent, les psys ramassent les morceaux, les historiens préparent déjà le délicat inventaire. Les rapports sociaux sont plus tendus, le confinement a servi d’engrais à la digitalisation. On est sortis de cette épreuve transformés. L’impatience a gagné du terrain, la pensée en vase clos aussi. La nuance ne fait plus recette depuis que chacun dispose d’un mégaphone numérique pour crier sa frustration, donner son avis sur tout et sur rien ou condamner autrui sans procès. « Le média, c’est vous », fanfaronnait récemment le nouveau prophète Elon Musk, actant que dans un monde hyperconnecté, le bruit de fond a submergé la parole de la presse.
Son rôle est pourtant plus essentiel que jamais. Sur le terrain culturel comme ailleurs. Expliquer, contextualiser, décrypter, confondre les impostures, donner du sens… Autant de missions cruciales à l’heure où le divertissement tend à supplanter la création un peu audacieuse et discordante. Que restera-t-il sinon demain pour meubler son temps libre, à part des séries Netflix prévisibles et des playlists sans surprise?
Cette (r)évolution, qui va encore s’amplifier avec l’IA, Focus en a été le témoin privilégié. Quand tout a commencé, début 2008 donc, l’iPhone n’avait qu’un an et Spotify ne sera lancé que quelques mois plus tard… Ce n’était plus l’ancien monde mais pas encore le nouveau. Il a fallu composer au fil des ans avec une nouvelle concurrence, de nouveaux rythmes et de nouveaux usages.
Face à ces défis, on peut céder à la nostalgie, s’enfermer dans une rumination stérile. On peut aussi se retrousser les manches et continuer à défendre, sur d’autres supports, les valeurs qui nous ont toujours animés. On continuera donc d’explorer, de célébrer la créativité, de dénicher la beauté là où elle se trouve.
À 17 ans, on a déjà perdu quelques illusions mais on a encore toute la vie devant soi. ●
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