Pourquoi les Zaho de Sagazan, Emma Peters et autres Louane reprennent-elles les tubes du passé?

Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Zaho de Sagazan, Emma Peters, Louane ou Angèle ont un point commun: elles ont toutes fait le buzz avec des reprises de tubes d’un passé proche ou lointain. La guerre musicale des générations serait-elle finie?

On a coutume de dire qu’une génération se construit contre la précédente. Un postulat qui étend à l’échelle de la société la théorie psychanalytique de la révolte contre la figure du Père, étape importante du développement d’un individu. Chaque parent en a fait l’expérience: ’y a comme un goût d’aigreur chez les jeunes, comme disait Diam’s dans La Boulette quand les darons (et daronnes) marchent sur les plates-bandes de leurs rejetons. Je le constate à mes dépens quand je tente d’amorcer une conversation avec mon fils sur SDM, Damso et autres tauliers du rap. C’est son rayon, son univers. Pas touche. Mon avis sur la question ne l’intéresse pas. Pire, il le gêne presqu’autant que si je lui faisais un gros câlin devant ses copains. Mais le vent tourne si l’on en croit les reprises par Zaho de Sagazan, Emma Peters, Angèle et consorts de tubes du passé.


De même que les avant-gardes artistiques secouent les codes et conventions de leurs aînés (le surréalisme comme le punk), la jeunesse se rebelle « naturellement » contre ses géniteurs et génitrices et leurs idées bien arrêtées. Seule solution pour ne pas rentrer dans le moule: dynamiter l’héritage. Cette belle doctrine, qui a fleuri dans le sillage des mouvements contestataires des années 50 et surtout 60, a toutefois du plomb dans l’aile. Et ça s’entend. On ne compte plus les groupes et artistes d’hier repris en chœur par les tranches inférieures de la pyramide des âges. En général à la faveur de séries télé ou de TikTok, ces experts en recyclage culturel. Kate Bush, Sinéad O’Connor, Fleetwood Mac devraient prendre la poussière dans la discothèque des 50+, ils tournent au contraire en boucle sur les smartphones de nouveaux fans depuis que leurs tubes d’antan tapissent les stories et feuilletons préférés de la génération Alpha. Comme le titrait le Guardian, TikTok est « âge-agnostique ».


Plus frappant encore que ces retours de hype improbables -qu’on observe aussi à l’occasion de la reformation de groupes emblématiques comme Oasis, ou au moment de la sortie de nouveaux disques des têtes de proue de courants musicaux du XXe siècle comme The Cure-, on voit la nouvelle vague de la chanson française -mais pas que- reprendre des tubes du passé, et leur donner au passage un petit coup de polish. Après Zaho de Sagazan qui emmène sur une autre planète le Modern Love de Bowie à Cannes, c’est Emma Peters qui met sa fragilité, ses tripes et sa voix éraillée au service du Beautiful Boy de John Lennon sur le plateau de La Grande Librairie sur France 5. La version glamourisée par Angèle du Nightcall de Kavinsky lors de la cérémonie de clôture des J.O., qui n’est pourtant pas si vieux que ça, s’inscrit dans la même logique transgénérationnelle. Pour les oreilles juvéniles qui ont streamé le morceau en masse, cette version a remplacé l’original.

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Pour comprendre la mesure de ce qui se passe, il faut s’imaginer à l’époque Taxi Girl reprenant Charles Trenet. Impensable, sauf éventuellement en le maquillant au point d’être méconnaissable. L’autre soir sur France 2, c’est Louane qui déclarait sa flamme à feu Aznavour, joignant la musique à la parole en reprenant en direct La Bohème. Charles Aznavour, comme édith Piaf -reprise par… Zaho de Sagazan dans le final des J.O., CQFD-, sont les grands gagnants de cette vaste entreprise d’excavation.
Ce pont entre deux et même trois rives temporelles ne s’est pas fait en un jour. On peut identifier au moins quatre couveuses: d’abord, le jeunisme qui a sévi à partir des années 80 et a incité les « kidultes » à copier leur progéniture, pour le meilleur et pour le pire. Ensuite, la rétromanie qui a transformé la nostalgie en business juteux, au détriment de l’innovation. Ensuite encore, le saut technologique du numérique qui a mis toute l’Histoire de la musique à portée d’index. Et enfin, le succès des télé-crochets du style Star Academy qui ont, l’air de rien, remis au goût du jour les catalogues de gloires perdues de vue, y compris les plus ringards. Il ne faut plus 20 ans désormais pour qu’un concept jugé obscène et moralement irrecevable devienne pop. La preuve, une série (Culte) retrace aujourd’hui avec une pointe de fascination l’aventure de Loft Story, considéré en 2001 comme de la trash TV infréquentable. C’est vrai qu’entre-temps, on a vu pire sur nos écrans…
Plus besoin de machine à remonter le temps: le présent a les yeux et les oreilles rivés dans le rétroviseur. ●

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