Laurent Raphaël

Pourquoi autant de murs dans les séries et les films?

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Tantôt frontière, tantôt mystérieux, tantôt invisible, le mur est un personnage à part entière dans nombre de séries et films. Voici pourquoi.

Est-ce parce qu’ils se sont multipliés un peu partout sur la planète -on en dénombre aujourd’hui une soixantaine, érigés avec une efficacité toute relative pour lutter contre l’immigration, contre une menace terroriste ou simplement pour séparer des frères ennemis comme à Belfast-, et qu’ils sont donc profondément ancrés dans notre imaginaire, que les murs colonisent également la fiction?
On pense tout de suite à celui, monumental et mystérieux, qui sépare le royaume des Sept Couronnes des terres glacées et sauvages situées plus au nord dans Game of Thrones. Un personnage à part entière de la série -catalyseur de la menace diffuse qui se trouve de l’autre côté-, comme l’est également la muraille blanche mystérieuse que découvrent des scientifiques lors d’un forage contesté dans le Grand Nord, pièce maîtresse de White Wall.

Le mur dans Games of Thrones. Un protection moins solide qu’il n’y paraît contre les menaces qui se trouvent de l’autre côté.


Dans cette minisérie frigorifiée diffusée sur Arte en 2023, l’énigme de l’origine de l’édifice -reliquat d’une ancienne mine? « Barrage » dressé par des écologistes pour stopper un projet d’enfouissement de déchets? Portail extraterrestre?- débouche sur des questions métaphysiques et sociétales universelles et vertigineuses. Notamment sur notre place dans l’univers et sur notre responsabilité envers les générations futures. Ou comment projeter sur une simple cloison nos angoisses, nos doutes, nos fantasmes…  
Mur qui sépare de l’inconnu, de l’ennemi, mur aussi qui protège des dangers du monde extérieur. Du moins jusqu’à un certain point. Car aussi haut et épais soit-il, le rempart se révèle bien souvent friable et poreux. C’est vrai pour la barrière chère à Trump qui suture la frontière entre les états-Unis et le Mexique, et n’empêche pas les flux de migrants. C’est vrai aussi pour les fortifications qui sont censées protéger la Norvège d’un monde devenu complètement chaotique dans The Fortress, et qui se transforment en prison le jour où un virus s’attaque au poisson d’élevage qui constitue la principale ressource de l’enclave. Une dystopie au réalisme troublant en cours de diffusion sur Canal+ qui interroge les limites de l’isolationnisme.
Cette critique en creux, forcément politique, du repli sur soi des plus chanceux derrière des palissades traversait déjà un film choc, La Zona, de Rodrigo Plá, sorti en 2008. L’histoire d’un gamin qui profite d’une brèche pour s’introduire dans la Zona, un ghetto de Mexico bunkerisé où vivent retranchées des familles fortunées. Repéré, il est l’objet d’une chasse à l’homme aux conséquences dramatiques. Monté sur ressort, ce thriller social questionne les privilèges de quelques-uns, et le fascisme qui mijote en vase clos.
Des exemples qui s’inscrivent dans une forme de tradition, le mur -simple clôture dans les westerns ou bloc de granit terrifiant dans la SF, qui cultive d’ailleurs un fort penchant pour la maçonnerie- apparaissant régulièrement sur les écrans. Autant donc pour ses propriétés graphiques que pour sa puissance symbolique. Rien de plus expressif pour suggérer immédiatement l’enfermement ou la ségrégation. Pas besoin d’ailleurs qu’il se dresse physiquement pour se poser là. Le mur peut être juste mental, il n’en est même que plus solide. Il arrive aussi qu’il serve de paravent pour ne pas pas voir l’horreur qui se déroule derrière, comme dans le troublant Zone of Interest de Jonathan Glazer, où la vie ordinaire se poursuit au pied de l’enceinte du camp d’extermination. Même si personne n’est dupe bien sûr.


Le sommet est atteint quand un film « montre » un mur invisible, matérialisant dans l’espace ces cloisons qui musellent nos pensées. Si c’était déjà une des trouvailles scénaristiques du Prisonnier, série matricielle sur l’enfermement, c’est encore plus net dans le film Le Mur invisible (2012), et dans la série inspirée de Stephen King Under the Dome (2013). À noter qu’on retrouve le principe de la cloche dans Fortnite, le célèbre jeu vidéo.     
Pour briser les murs, et surtout ceux qui cloisonnent, étouffent, enchaînent les esprits, rien de tel que les livres, ces passeports pour l’imaginaire. Ça tombe bien, Le Vif lance justement une vaste campagne de promotion de la lecture sous toutes ses formes. Avec L’heure de Lire, on va vous redonner le goût de tourner les pages, pour réfléchir par soi-même ou juste s’évader. Qui sait, vous attraperez peut-être le virus, comme ces personnalités que nous avons interrogées et qui partagent leur enthousiasme pour la chose imprimée ainsi que leurs derniers coups de cœur. Un seul mot d’ordre: regardez moins de stories, lisez plus d’histoires! ●

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