Rap Punk théorie: quand Virginie Despentes et Cara Zina menaient un groupe de rap pionnier
Au début des années 90, à Lyon, Straight Royeur mélange riff et scratch, dopé au féminisme. Un livre, Fear of a Female Planet, raconte aujourd’hui la trajectoire fulgurante d’un groupe mené par deux apprenties rappeuses, Cara Zina et une certaine Virginie Despentes…
C’est le récit d’une rencontre assez improbable. Entre le rock énervé et le rap. Mais aussi entre le féminisme made in France et l’activisme musical afro-américain. Avec, parmi les personnages principaux, celle qui est devenue l’une des stars de la scène littéraire hexagonale, notamment via King Kong Théorie et Vernon Subutex, Virginie Despentes.
L’action se déroule à la charnière des années 80 et 90, sur les pentes de la Croix-Rousse, quartier populaire de Lyon. C’est là que deux punkettes, copines originaires de Nancy, Cara (Caroline) Zina et Virginie Despentes, vont former Straight Royeur. Une drôle d’embarcation rap-punk féministe, à la trajectoire fulgurante -trois ans pas plus-, mais marquante. Elle fait aujourd’hui l’objet d’un livre. Intitulé Fear of a Female Planet, il revient sur l’histoire du groupe, racontée par l’une de ses principales protagonistes Cara Zina, et le sociologue Karim Hammou, auteur d’Une histoire du rap en France. Ce dernier explique la genèse du projet: « Je menais une enquête sur les rappeuses oubliées des années 90. C’est comme ça que j’ai découvert Straight Royeur. D’abord via un portrait de Virginie Despentes, paru dans Libé, en 1995. Puis grâce au travail de Caroline sur le Net, qui avait ouvert un Myspace puis un SoundCloud avec la musique du groupe. J’ai fini par lui envoyer un message. Outre le fait qu’on a directement bien accroché, j’ai découvert une histoire passionnante. » Cara Zina: « C’était très flatteur d’être contactée par un spécialiste du rap français. À l’époque, on avait déjà l’impression d’en faire. Mais ce n’était pas forcément l’image qu’on nous renvoyait. »
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Trente ans plus tard, on découvre les maquettes de Straight Royeur: un mélange de riffs incisifs et de scratchs délurés, d’anglais et de français. Rap malgré tout? Karim Hammou: « Deux facteurs comptent beaucoup pour moi. D’abord, la manière dont les personnes elles-mêmes définissent leur musique: quand on a commencé à discuter avec Caro, il était clair que le rap était une source d’inspiration majeure. Ensuite, le fait que les références à la culture hip-hop abondent. Que ce soit dans les paroles, les titres, mais aussi par exemple le lettrage de la maquette, qui s’inspire de la culture graffiti. »
Au départ, pourtant, Cara Zina et Virginie Despentes sont fans des Bérurier Noir, navire amiral de la scène punk de l’époque. Arrivée de Nancy, la première a prétexté des études en audiovisuel pour rejoindre la seconde à Lyon, qui, après pas mal de petits boulots alimentaires, tient le disquaire du coin. Le soir, elles traînent au Wolnitza, bar associatif, où elles refont le monde. L’idée de monter un groupe germe. Avec l’envie de le relier à leurs revendications féministes. Cara Zina: « Le féminisme n’était pas encore un gros mot. Mais il commençait à être parfois un peu mal vu. » Dans le morceau Les Loutes, elles crachent notamment: « Tu dis le MLF, elles en ont fait assez, plus la peine d’en parler/Mais qu’est-ce qui a changé? »
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Le choc Public Enemy
Straight Royeur a donc une cible -le patriarcat. Et un nom -« Un pote de Virginie parlait souvent des « rouilleurs », explique Cara Zina, pour désigner les mecs qui tenaient les murs et qui risquaient de « rouiller » sous la pluie. On s’est contentées d' »américaniser » ». Ce n’est toutefois qu’en croisant des activistes du rap à Lyon, présents au Cool K, le tout nouveau bar hip-hop du quartier, que la formule se fixe. Cara Zina: « C’est un peu l’éternelle histoire de Roméo et Juliette. Je suis tombée amoureuse de Hashan. Il entraînait ses potes au Wolnitza. Et moi je poussais les « Wolnitziens » à s’intéresser à ce qui se passait au Cool K. »
Le choc n’est pas qu’amoureux, il est aussi musical. Fin des années 80, le groupe rap new-yorkais Public Enemy frappe fort, notamment avec l’album Fear of a Black Planet. Karim Hammou: « Il va toucher aussi bien les rappeurs que la scène rock alternative. C’est aussi un choc pour les militants, qui trouvent chez Public Enemy une façon de musicaliser la lutte politique percutante. »
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La dénonciation du sort réservé aux Noirs aux États-Unis trouve facilement écho avec la lutte féministe de Straight Royeur. Voire les idéaux d'(extrême) gauche, dont se revendiquent alors plusieurs groupements terroristes, des CCC en Belgique à Action directe en France. « On était fascinés par la lutte armée, concède Cara Zina. Mais à côté des tenues paramilitaires des danseurs de Public Enemy, il y avait aussi Flavor Flav, habillé en pyjama, arborant une grosse montre autour du cou, qui rappelait les fantaisies du P-Funk de George Clinton. » Voire les pitreries des… Bérus, qui portaient volontiers un nez rouge de clown.
Le rap en français a beau être à l’époque encore inexistant, médiatiquement parlant, Straight Royeur va donc se lancer dans le bain. Gilles tient la guitare hardcore, MC la basse, Rock Cee est aux platines, Virginie Despentes et Cara Zina au micro. Quelques premières maquettes sont enregistrées, des concerts à la clé -dont une première partie pour NTM. Mais rapidement, le groupe s’essouffle. Lassée, Virginie Despentes prend la tangente et part écrire Baise-moi. Fin de l’aventure. Pour autant, l’histoire de Straight Royeur n’est pas anecdotique. Karim Hammou: « Le groupe va être une sorte de laboratoire créatif, qui amènera aussi bien Virginie que Caroline à l’écriture. Sa trajectoire permet aussi de pointer la diversité musicale du rap. La plupart du temps, quand on raconte l’Histoire du rap francophone, on se braque sur Paris et Marseille, sans voir tout ce qui a pu se passer ailleurs: à Lyon, Toulouse, Bruxelles, Lausanne, etc. Et puis le parcours de Straight Royeur permet de rappeler que, contrairement à ce qu’on pense souvent, dès le début, des femmes sont là, intéressées et investies dans cette musique. »
Fear of a Female Planet, de Cara Zina et Karim Hammou, Nada éditions, 208 pages. ****
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