Les charmes magnétiques de Dana Gavanski

© Clementine Schneidermann
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

La Canadienne de Londres Dana Gavanski ensorcèle avec When It Comes, un somptueux deuxième album aux charmes magnétiques. Entretien.

Elle a le cheveu à la garçonne. Le regard profond. Et le charme typé des filles de l’Est. Dana Gavanski est canadienne, d’origine serbe, et vit à Londres depuis quelques années. C’est de chez elle, assise par terre dans son living room, au sud de la ville, que la remarquable singer-songwriteuse se raconte et présente When It Comes. Deuxième album doux et ensorcelant qui confirme l’étendue de son talent. Quelque part entre Nico et Cate Le Bon, Aldous Harding et Angel Olsen… “J’ai essayé de revenir au songwriting et de faire en sorte qu’il soit excitant pour moi. Qu’il y ait du challenge en tout cas. J’ai pris un an et demi pour écrire des chansons même si beaucoup ne sont pas arrivées jusqu’au disque. J’ai pas mal tâtonné. Pour la première fois, j’ai utilisé Logic pour fabriquer les morceaux. Explorer le son et les textures. C’est autre chose que de juste être assise, toute seule, avec sa guitare.

Souriante, bavarde, sympa, Dana revient de loin. Pendant le confinement, elle a perdu la voix. Des semaines. Des mois. “Avec le lockdown, j’avais plein de temps pour moi. La période se prêtait à l’écriture. J’ai commencé à me pencher là-dessus et très vite, ma voix s’est mise à dérailler. Au début, je ne l’ai pas vraiment accepté. Je pensais juste être un peu malade. Donc j’ai continué à écrire des chansons. Je n’aurais probablement pas dû. Mais c’est dur de ne rien faire, de ne pas utiliser ta voix. C’est un outil fondamental de la vie. A fortiori quand on est chanteuse.” Puis, aussi, quand on est quelqu’un d’aussi sociable que Dana Gavanski… “Je souffrais dès que je parlais plus de 20-30 minutes. Mais je continuais de causer, même si ça me faisait mal.

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When It Comes est une ode à la voix comme instrument, un hommage à son pouvoir. Dana n’est pas encore complètement débarrassée de ses tracas mais elle a mis le doigt sur le problème et va beaucoup mieux depuis l’hiver dernier. Ses soucis étaient liés à l’anxiété. “Ils étaient dus aux circonstances. Le monde a fermé ses portes. C’était dur de s’imaginer la musique revenir, on n’avait aucune perspective. Les gens tombaient malades, mouraient. Tu avais peur que ta famille et tes amis chopent le virus. J’ai tellement pensé à la maladie, à la mort. Tout un tas de choses hors de contrôle. Je pense que c’est lié aux nouvelles technologies, à l’immédiateté et l’omniprésence de l’information. Au début, j’écoutais et je regardais les news tous les jours. Constamment. Obsessivement. C’est si peu naturel. Et mauvais pour l’esprit. C’est, j’en suis sûre, ce qui explique en partie mon stress.” Après le Covid, c’est devenu l’Ukraine et la Russie. “Et avant, c’était Trump. Ça ne s’arrête jamais. Mais est-ce qu’on doit vraiment tout savoir? En a-t-on seulement envie?” Est-ce que ça a seulement du sens de rester prostré devant sa télé qui régurgite les mêmes infos toute la journée pour vendre tout le contraire quelques jours plus tard?

Embrasser la nuit

Fille d’une peintre et d’un producteur de cinéma, Dana a grandi à Vancouver. Elle s’est rendue à Montréal dès l’âge de 19 ans pour étudier (notamment l’histoire de l’art), être ailleurs, découvrir autre chose. Elle rêvait alors de 7e art… “Le cinéma que j’aime est surtout fictionnel. J’adore Ingmar Bergman, Jim Jarmusch, Chantal Akerman. Est-ce que tu as lu son livre Ma mère rit? C’est incroyablement écrit. J’ai d’abord vu Jeanne Dielman avec Delphine Seyrig (un film d’action domestique qui décrit trois jours de la vie d’une femme d’intérieur prostituée à temps partiel). J’aurais voulu faire des films ancrés dans le quotidien. C’était un fantasme. Faire mes propres films. Passer ma vie à en regarder. Appartenir à ce monde. Mon père bossait dans cette industrie et j’avais beaucoup d’amis dans le cinéma plutôt à tendance expérimentale.” Elle a même été durant un été l’assistante de son paternel sur le tournage d’un film d’horreur dans les Laurentides et un hôtel transformé en bureau, souvenir de The Shining. “Plus tard, mes potes étaient surtout des musiciens. J’ai changé de monde.

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Enfant timide, très anxieuse et peu sûre d’elle (“je ne sais pas nécessairement pourquoi”), Dana a mis du temps à arriver à la musique. “Longtemps, je n’ai joué qu’une seule chanson. La même. Celle que ma famille me faisait toujours jouer. (rires) Je ne m’y suis remise que lorsqu’un de mes anciens petits amis a abandonné sa guitare chez moi en partant à New York. J’avais déjà 25-26 ans. J’ai répété, j’ai avancé, j’ai fait des reprises de folk dans des brunches du samedi. Du Neil Young, du Gillian Welch. Sans doute un peu de Joni Mitchell.”

C’est d’ailleurs dans ce registre boisé qu’a commencé Dana en 2019 avec ses Spring demos. Après son premier album, le déjà remarquable Yesterday Is Gone, et l’EP Wind Songs, relectures de King Crimson, Judee Sill et Tim Hardin, When It Comes ouvre le champ des possibles. Beauté bizarre. Cadre ensorcelant. “Je voulais l’album plus upbeat, plus joueur et plus étrange, dit-elle. Même si je ne savais pas trop comment m’y prendre.”

Imaginé avec son prince charmant James Howard, marqué par la théâtralité d’un David Bowie (elle a même pris des cours de mime) et enregistré avec Capitol K au Total Refreshment Centre (“j’adore ce sentiment de communauté, cette entraide, ces rapprochements et les surprises qui vont avec”), When It Comes est un disque irrésistible, vulnérable, désarmant. Une collection de comptines pour embrasser la nuit et toiser les insomnies. Magique.

When It Comes, distribué par Full Time Hobby/Konkurrent. ****(*)Le 29/09 à la Villa Bota (Bruges).

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