Le combat pop de Goat Girl

De gauche à droite: Holly Mullineaux, Ellie Rose Davies, Lottie Pendlebury et Rosy Jones. Les Goat Girl don't just want to have fun...
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Avec On All Fours, les Londoniennes de Goat Girl se réinventent en empruntant le côté pop de la Force. À la rencontre d’une jeunesse musicale créative, libre, engagée et activiste…

Elles avaient tout de suite laissé entendre qu’elles ne feraient pas les choses comme tout le monde. Après s’être distinguées avec une poignée de singles à guitares accrocheurs (Country Sleaze, Scum), les jeunes Londoniennes de Goat Girl sortaient un premier album moins direct, truffé d’interludes, dans lequel venait se glisser un violon ou un Swarmatron. Trois ans, une tonne de louanges et un tas de concerts (avant le Covid) plus tard, les quatre filles dans le vent reviennent avec un disque pop éclairant pourquoi elles revendiquaient déjà à l’époque l’influence de Broadcast et de Stereolab. « Tu trouves qu’il est fort différent du précédent?, questionne, assise sur son lit, la guitariste Ellie Rose Davies, 23 ans, le regard perçant et le cheveu très court qui témoigne d’une chimio de six mois et d’un cancer du sang (elle n’évoque pas la maladie durant l’entretien, a appris la nouvelle pendant que Goat Girl mixait son album et est en rémission). Certaines choses, selon moi, sont toujours là. Les guitares granuleuses que Lottie aime tant jouer et qui étaient caractéristiques de notre premier disque. Puis le sentiment qui se dégage des paroles et sonne, à mon avis, comme un prolongement logique de ce qu’on avait proposé jusqu’ici. On aborde toujours des questions sociales. On parle de justice et d’égalité. »

Dans sa vie, ses textes et les bannières accrochées à ses fenêtres, Goat Girl défend la veuve et l’orphelin, combat les attitudes autoritaires et soutient le combat féministe, les gens de couleur, les réfugiés, les gays, les lesbiennes, les bis et les trans… « Rosy et Lottie sont plus activistes dans leur vie de tous les jours. Mais de manière générale, on essaie toutes d’être réfléchies dans notre façon de vivre le quotidien. D’où ça me vient? Mes parents sont tous les deux des espèces de hippies. Ils m’ont inculqué certaines valeurs. Mais dans le monde qui est le nôtre actuellement, j’ai l’impression que ça commence à faire partie de l’état d’esprit général. Il y a une unité qui se crée, je pense, à travers les réseaux sociaux. Surtout chez les jeunes. Des activistes essaient d’imprimer des changements positifs dans ce monde. Ils sont visibles. Ça semble tout de suite plus accessible et réaliste… »

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« Les gens sont exposés à beaucoup d’opinions et d’expériences de vie auxquels ils n’étaient pas confrontés auparavant, rebondit Holly Mullineaux, la bassiste, dans une autre chambre, sur un autre pieu. Ils semblent ouvrir les yeux sur les nombreuses injustices qui gangrènent cette planète. Il y a un truc de génération aussi. Une génération qui a grandi ces dix dernières années en Angleterre avec les Tories au pouvoir. De toute évidence, leurs mesures affectent certaines personnes plus que d’autres. Je pense notamment à la hausse du coût des études. Ce n’est qu’un petit exemple. Tu es de toute façon affecté par la politique qui frappe tout ton environnement. Je constate beaucoup de mécontentement pour l’instant. »

Les temps sont flous. Les gens sont fous. Goat Girl a signé son contrat chez Rough Trade le jour où le Royaume-Uni décidait de quitter l’Union européenne. « Entre le Covid et le Brexit, la situation actuelle est assez accablante. Il m’arrive de me sentir désespérée. Mais c’est pour ça justement qu’on essaie de rassembler, d’insuffler un changement positif avec des gens qui baignent dans le même état d’esprit que nous et qui ont envie de se soutenir. Il est évident que le gouvernement ne va pas aider ceux qui en ont le plus besoin. »

À quatre pattes

Le discours est articulé. Plein de bon sens. Intelligent. Holly (ex-Wyldest) est la dernière arrivée. Elle n’a pas participé à la fabrication du premier album. Elle a rejoint Goat Girl en 2019, en remplaçant la bassiste Naima Jelly. Mais elle semble être là depuis toujours. On All Fours est un disque bien plus collaboratif que son prédécesseur. « On All Fours met en avant nos quatre personnalités plutôt que la mienne. Je pense que c’est crucial pour une formation qui aspire à fonctionner de façon démocratique« , résumait récemment dans les Inrocks la chanteuse Lottie Pendlebury, qui composait jusque-là dans son coin à la guitare. Le titre de l’album (« à quatre pattes », en français) n’en a que davantage de sens. « On mangeait ensemble après une journée de travail assez proche de la fin de l’enregistrement, se souvient Holly. La femme de Dan Carey, notre producteur, a sorti ce bouquin: Giles Goat-Boy (un roman de John Barth dans lequel l’univers est dépeint comme un campus universitaire). On en lisait des phrases et On All Fours est arrivé sur la table. On trouvait ça un peu idiot, un peu grossier. Il y avait cette idée d’espèce, de domination, de pouvoir, d’animalité, un truc tribal aussi qui nous semblaient tous appropriés au disque et à ce qu’il raconte. »

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Dan Carey. Il faut y revenir. Le patron du micro label défricheur Speedy Wunderground se cachait derrière tous les meilleurs albums de 2019 (Black Midi, Kate Tempest, Warmduscher). L’an dernier, il s’est occupé du Fontaines D.C. et commence 2021 sur les chapeaux de roue. « C’est devenu un ami, sourit Ellie. Il a des qualités très spéciales et un enthousiasme contagieux. Il est très fort pour impliquer tout le monde dans l’enregistrement. Parce que la confiance, c’est souvent une partie du problème pour les musiciens. Pour moi en tout cas. Dan croit vraiment en ta musique. Ça te permet de te sentir à l’aise dans cet environnement particulier qu’est le studio. » Holly poursuit: « Il essaie vraiment d’aller chercher le meilleur de chacun et de rendre l’album aussi bon qu’il peut l’être. Ce n’est pas juste une question de technique. C’est une question d’énergie dans la pièce, de feeling. Ça participe vraiment à sa méthode. Il ne nous laisse par exemple jamais jouer deux fois la même chanson en suivant. Parce que ça brise selon lui un peu la magie et l’excitation. Il a fait beaucoup d’efforts pour faire sonner les choses comme on voulait qu’elles sonnent. Donner cette impression de live malgré le fait que beaucoup d’éléments électroniques devaient être minutieusement casés. »

L’accouchement ne s’est pas fait en douceur. Lottie a connu un petit blocage au début de l’écriture. « Elle s’inquiétait un peu de comment le traverser. Il y avait sans doute les attentes qui suivaient notre premier album et dont elle avait conscience. Trouver une manière d’écrire qui lui convenait pour dire ce qu’elle avait à dire lui a pris un peu de temps. » C’est que Goat Girl a le tempérament exigeant. Il lui a fallu des mois, environ un an de travail, avant de considérer que la musique était assez bonne pour figurer sur l’album. « Ce n’est pas qu’on a réfléchi au genre de son qu’on cherchait. On a surtout expérimenté. »

The return of the space (sad) cowboy.
The return of the space (sad) cowboy.

Elles ont échangé leurs instruments pour briser les chaînes et casser leurs habitudes et se sont retrouvées pour diverses sessions à Londres et dans ses parages. Les quatre vingtenaires ne sont pas des virtuoses mais se débrouillent toutes avec une guitare et un clavier. « Ça a été beaucoup d’allers-retours, de changements, d’essais, résume Holly. On a essayé de combiner nos goûts musicaux et on n’écoute pas tant de guitare et de rock que ça. On a cherché un endroit où on serait toutes heureuses. Mettre d’accord quatre personnes, c’est déjà à la base compliqué. Mais quand elles doivent s’entendre sur le moindre aspect, le moindre détail d’une bonne dizaine de chansons… »

Avant d’enregistrer son disque, Goat Girl est notamment parti en retraite aux Yoghurt Rooms, un repaire bucolique aux allures de ferme qui accueille des mariages et autres événements festifs dans la campagne anglaise. « C’est une amie de ma mère qui gère cet endroit, précise Ellie. On y est allées hors saison. Donc, on a eu un bon deal. Tu as vraiment beaucoup d’espace. On y est restées une semaine. On devait juste réfléchir à ce qu’on allait manger et à quel vin on allait boire. Et puis, on faisait de la musique. Toute la journée. Toute la nuit. On pouvait aussi se promener, aller voir les animaux. »

Le groupe s’est aussi imposé une session éprouvante dans le deuxième studio de Dan Carey. Holly reprend le crachoir. « C’était l’été. On essayait de terminer certaines choses. On avait cette deadline devant nous. On dormait là. C’était en sous-sol. Il faisait terriblement chaud. Ça ne marchait pas. On ne voyait plus la lumière du jour et on devenait un peu folles. Mais on a quand même réussi à y faire de bonnes choses. Je pense que tout ça en valait la peine. Il n’y a rien que je n’aime pas sur ce disque. »

Un album aux velléités pop. « Je ne veux pas parler à la place de Rosy et Lottie mais on en a déjà discuté. Elles ont vraiment embrassé la musique pop de notre jeunesse. Rosy aime beaucoup Charli XCX mais aussi Lady Gaga. Du rap également. On a un faible pour la pop music et on l’assume. On y chipe quelques ingrédients. J’aime le côté catchy et les mélodies qui la rendent si accessible. C’est pour ça que tellement de gens en écoutent. Il y a un truc qui résonne en nous. »

Non-binaire

Clips, pochettes… Tout ce qui entoure le nouveau Goat Girl a été fait avec des amis. En famille. Le sens de la communauté dont elles aiment tant parler a accompagné la fabrication du disque, de ses visuels. « C’est un peu comme si tout ce petit monde intégrait le groupe, remarque Ellie. Avant, on avait moins d’emprise sur les artistes et les réalisateurs avec lesquels on bossait, mais cette fois, on a vraiment voulu prendre la main là-dessus. Choisir des gens qu’on connaissait, qu’on respecte et qui comprennent le concept artistique. »

Dans la communauté de Goat Girl centrée autour du Windmill mais aussi du Sister Midnight et de la George Tavern, de clubs, de pubs et de magasins de disques, on trouve des musiciens, des poètes, des gens de gauche, des potes… « Les personnes qui partagent un même état d’esprit ont tendance à se rassembler et on a beaucoup de chance d’avoir un tas de gens talentueux dans notre entourage proche, note Holly. Des gens qu’on connaît de l’école, qu’on a rencontrés en concert. Tout ça semble si lointain. On n’a pas vu grand monde cette année. On n’a fait que parler à des connaissances. Ça me manque vraiment de pouvoir sortir et établir des connexions spontanées avec les gens. C’est compliqué d’avoir un sens de la communauté pour l’instant. »

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Questionnées sur leurs icônes féministes, les deux Goat Girl commencent par préciser que leur batteuse, Rosy Jones, se décrit comme non-binaire. Comprenez qui ne se sent ni homme ni femme. « Siouxsie Sioux a été une vraie source d’inspiration pour moi, retrace Holly. Je suis fan de PJ Harvey et de trucs comme ça aussi. Mais c’est davantage des femmes dont j’adore la musique que des exemples face à tel ou tel combat. » « Moi, je pense à Cindy Sherman, embraie Ellie. C’est une photographe que j’ai beaucoup aimée en grandissant. Parce qu’elle prenait des photos d’elle dans différentes tenues. Elle m’a montré ce que les femmes pouvaient être. Ma mère est une grande source d’inspiration également. Je vois la féminité comme une énergie nourrissante. C’est de l’attention, de la compréhension. Mais un tas de gens ont ces qualités. Mon père déjà… »

L’engagement du footballeur de Manchester United Marcus Rashford, devenu l’un des héros de la lutte contre la pauvreté alimentaire chez les enfants, leur parle. « Quand tu as une plateforme ou un accès au public, tu peux l’utiliser pour des choses qui seront utiles à d’autres, termine Holly. Tu n’y es pas obligé, évidemment. Mais pour nous, c’est important. Ce que fait Rashford est super mais ça me rend triste que ce soit à un footballeur de mettre la pression sur le gouvernement pour qu’il ne prenne pas d’horribles décisions. Il y a des choses qu’on peut faire pour secouer ceux qui dirigent. Mais c’est fou de se dire qu’ils ne changent leur fusil d’épaule que quand ils ont peur de se faire épingler ou d’être embarrassés. Plus que pour essayer de bien faire les choses. »

Goat Girl – « On All Fours »

Distribué par Rough Trade/Konkurrent. ****

C’est désormais sous des atours plus pop et électroniques que Goat Girl fait résonner sa poésie imagée et engagée. The Crack observe comment l’humanité détruit la planète. They Bite on You est adressé aux parasites capitalistes. P.T.S. Tea aborde la question de genre et le stress post- traumatique. Crise de panique et médication (Anxiety Feels), expérience de la dépression (Closing In)… On All Fours est un disque personnel et universel. Un album mélodieux de pop indé brillamment chiadé qui dévoile sa richesse au fil des écoutes, connaît son Broadcast, s’aventure du côté de Caribou (le final de Sad Cowboy) et épate jusque dans l’instrumental Jazz (In the Supermarket). In Goat (Girl) we trust…

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