Black Midi, explosif et imprévisible

Never be bored, la devise en musique comme dans la vie des quatre gars de Black Midi.
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Nerveux, saccadé, brutal, différent, Black Midi sort son premier album, Schlagenheim, et s’impose à 20 ans à peine comme le nouveau fleuron de la scène rock britannique. Rencontre.

Après avoir secoué Het Bos à Anvers et l’Ancienne Belgique, dans le cadre du défricheur festival BRDCST, Black Midi se produira le 10 octobre au Beursschouwburg. En attendant, la moitié des quatre garçons londoniens dans le vent est en repérage et assure la promo d’un disque étrangement intitulé Schlagenheim. Black Midi a la cote et fait l’objet de critiques dithyrambiques aux quatre coins du monde, mais est loin de se la jouer John, Paul, George et Ringo. Pas pop. Plus rock. Nerveux. Saccadé. Même carrément radical. Rarement un groupe à guitares aura fait autant parler de lui avant même l’arrivée d’un album. Juste sur base de concerts enflammés et d’une poignée de vidéos YouTube. Les Anglais semblaient jouer volontairement la carte du mystère: absents des réseaux sociaux, très discrets en interviews, à des années lumières de tous ces artistes qui passent leurs journées à tweeter et à se faire mousser. « Tout a été très vite pour nous, explique le bassiste et de temps en temps chanteur Cameron Picton, bien plus calme et posé pour causer autour d’une table que quand il s’agit de faire de la musique devant un public. On n’avait pas vraiment le temps ni les moyens pour occuper ainsi le terrain. On existait depuis un an quand notre premier morceau est sorti. On a toujours fait comme on l’entendait, à nos propres conditions. Ce n’était pas qu’on voulait susciter de l’attente et entretenir la curiosité des gens. C’est surtout qu’on cherchait à proposer quelque chose dont on serait entièrement satisfaits. » Un truc ambitieux. Un son et des morceaux sur lesquels ils auraient le contrôle absolu. « On a vraiment beaucoup joué en live. On n’avait pas trop le temps d’écrire et d’enregistrer des chansons. Nous n’avons toujours réalisé que trois vraies sessions d’enregistrement. On suit notre chemin. Tous les groupes sont différents. Chacun fait à sa façon, d’une manière qui le met à l’aise. »

Tout a commencé à l’été 2017 pour Black Midi. Tous londoniens, Cameron Picton, Geordie Greep, Matt Kelvin et Morgan Simpson sont alors étudiants à la BRIT School for performing arts and technology. Plantée à Croydon, la célèbre école secondaire publique des arts du spectacle est l’une des seules du genre gratuite au Royaume-Uni. Elle a vu entre autres défiler sur ses bancs Adele, Jamie Woon, Katie Melua, King Krule, Kate Nash, Jeremy Warmsley ou Amy Winehouse… « Nous étions tous les quatre dans la même école, dans la même année et dans le même programme. Celui consacré à la musique, poursuit l’exceptionnel batteur Morgan Simpson. On était tellement peu nombreux en classe qu’on se connaissait tous. C’est dur de dire ce qu’on y a vraiment appris. On nous a équipés, préparés, familiarisés au travail de la musique. »

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« Sans la BRIT School, on ne se serait jamais rencontrés, du moins pas encore, reprend Picton. Ce serait peut-être arrivé plus tard dans nos vies. Je ne sais pas s’il y a beaucoup d’autres groupes ne comptant en ses rangs que des étudiants passés par les murs de l’école. Je pense que quelques-uns se promènent sur le circuit londonien mais ils ne sont pas trop enclins à en parler. L’établissement a la réputation qu’il a. Chacun fait comme il le sent. »

Les deux jeunes hommes (les Black Midi ont tous entre 19 et 20 piges) sont arrivés dans l’institution à l’âge de seize ans. Leurs potes y avaient débarqué à quatorze balais. « Une des premières choses que les enseignants te disent quand tu arrives, c’est qu’ils ne vont pas t’apprendre à être un artiste. IIs veulent te fournir les outils nécessaires pour faire ce que tu as envie avec la musique. Tu veux devenir musicien, professeur, musicothérapeute… Ils t’en ouvrent la voie. »

Le Windmill, Damo Suzuki et Dan Carey…

Comme pour pas mal d’autres groupes de la jeune scène londonienne, le Windmill à Brixton a été particulièrement important dans le développement de Black Midi. Les quatre sauvages y ont donné leur premier concert un mois après avoir terminé l’école et ne savent même pas combien de fois ils y ont joué depuis. « Avant qu’on s’y produise, je n’y allais quasiment jamais, avoue Picton. J’étais trop jeune. Je ne m’y pointais que quand il y avait un truc que je voulais vraiment voir. T’as pas envie de te taper la route pour t’entendre dire que tu ne peux pas rentrer parce que tu n’as pas 18 ans… Un pote était dans un groupe qui n’existe plus maintenant, Karmacoma, et y a joué plusieurs fois. Je rentrais avec lui pour le soundcheck. »

Tim Perry, qui tient les lieux d’une oreille et d’une curiosité de maître, est vite devenu fan des quatre audacieux et radicaux surdoués. « On avait réalisé quelques jams ensemble quand Geordie s’est mis à contacter tous les clubs de la ville pour nous trouver des dates. Il nous a dit que personne n’avait répondu à part le Windmill. Ce qui était vrai. Et il s’était quand même adressé à une quinzaine de salles… Il avait balancé quelques vieux morceaux du groupe avant mon arrivée. C’était de très longues plages drony. Très différents de ce qu’on fait maintenant. On était tout heureux. Waw, quel truc de malade. Tim nous a dit: c’est super, revenez le mois prochain. Et c’est arrivé encore et encore. On a dû s’y produire une vingtaine de fois. »

« On a vraiment beaucoup joué en live. On n’avait pas trop le temps d’écrire et d’enregistrer des chansons. Nous n’avons toujours réalisé que trois vraies sessions d’enregistrement. »

C’est dans ce pub assez communautaire doublé d’une salle de concerts que Black Midi a joué en mai 2018 avec Damo Suzuki, le chanteur de Can. L’événement a même été immortalisé sur une cassette. « Ça a été une expérience assez amusante. Le mec est très calme. Il ne nous a pas dit grand-chose, se souvient Simpson. C’était assez surréaliste. Super cool. Vraiment dans l’impro. Il revient à Londres en juillet et sera plutôt entouré d’un groupe de free jazz. Notamment avec le batteur de Sons of Kemet. J’entretiens quelques liens avec cette scène. J’ai notamment donné quelques concerts avec Joe Armon-Jones. Je l’ai rencontré via Kwake Bass, un batteur qui est dans la musique électronique et joue notamment avec Kate Tempest. »

Amusant, c’est encore au Windmill, ce nid du rock anglais, que Black Midi a rencontré Dan Carey, producteur de la rappeuse, mais aussi de Goat Girl et de Fontaines DC. Carey avait sorti le premier morceau enregistré par le groupe (bmbmbm) sur son label de singles: Speedy Wunderground (comptez 78,85 euros sur Discogs). Il l’a ensuite épaulé dans la confection de son premier album (Schlagenheim). « Ça a été super facile, commente Morgan. Il a vraiment cette capacité de rendre les choses aisées. Tu as clairement l’impression de bosser avec lui et pas qu’un producteur vient prendre le contrôle de ta musique et veut y apposer sa griffe. On a fait un disque et il nous a aidés à le fabriquer. »

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Mis en boîte en cinq jours, avec deux semaines de rab pour les overdubs et les voix, le résultat laisse entrevoir l’ouverture d’esprit et la singularité des petits prodiges du rock anglais. Leur connaissances musicales aussi. Morgan joue de la batterie depuis qu’il a deux ans. Il est fan de Billy Cobham du Mahavishnu Orchestra, de Greg Saunier (Deerhoof), Zach Hill (Death Grips), Mitch Mitchell (The Jimi Hendrix Experience) et du jazzman Tony Williams… « Ce que j’adore, c’est leur personnalité. Je les reconnais en cinq secondes. Ils ont leur propre truc. Et ce n’est définitivement pas quelque chose de facile quand tu as autant de musiciens qu’aujourd’hui. Sinon, celui que j’admire vraiment pour la manière avec laquelle il a géré sa carrière, c’est pour le moment Miles Davis. Il est le meilleur exemple du mec qui est parvenu à évoluer et qui a traversé le temps en avançant. Tout ce qu’il a sorti du début à la fin de son parcours est en constante évolution. »

À la concurrence, Geordie évoque sa passion pour la musique classique et d’avant-garde. Il cite Stravinsky, Bartok et Alfred Schnittke… Cameron, lui, parle de Talk Talk, d’Arthur Russell, de Scott Walker. « J’aime l’idée que tu puisses faire tout ce que tu désires. Ne t’enfonce pas dans un truc spécifique trop longtemps, va vers l’avant. Pas nécessairement vers l’avant d’ailleurs, change de direction. Musicalement, il n’y a pas d’avant. Fais tout ce dont tu as envie. »

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Déconstruction

Cultiver l’imprévisible, briser les codes, enfreindre les règles… Black Midi respecte ses principes anarchistes. Difficile d’ailleurs quand ses morceaux commencent à imaginer là où ils vont bien pouvoir vous emmener. Shellac, les Butthole Surfers, Swans, Pere Ubu, Frank Zappa, David Byrne, Battles… Les références sont nombreuses mais aucune ne peut réellement refléter toute leur singularité. « On aime bien que l’auditeur entende un tas de choses en nous écoutant. Au début, les gens venaient nous voir en nous disant: vous sonnez comme ceci ou cela. Des trucs dont on n’avait jamais entendu parler, souvent américains comme Polvo… On nous a fait de la sorte découvrir des groupes qui parfois nous ressemblaient, il faut bien le reconnaître. » « C’est facile de se sentir vexé par les comparaisons, intervient Morgan. Mais au final, plus il y en a, mieux c’est. »

Autre monde, autre temps… Franz Ferdinand désirait faire danser les filles avec sa musique. Black Midi veut que les hommes puissent se joindre à la fête. On ajoutera sur des rythmes compliqués, des chansons électriques, épileptiques et saccadées. Crack Cloud (en mode post-punk no wave), Drahla (art rock à la Sonic Youth)… La déstructuration, la cassure, la brisure semblent à la mode pour le moment dans le rock. Comme pour mieux symboliser les convulsions et les hoquets flippants d’une société malade. Ces groupes sont les rejetons d’une génération curieuse et impatiente qui a grandi avec les sites de streaming et le téléchargement sauvage. Un terrain de jeu illimité et une connaissance parfois extrêmement vaste dès un très jeune âge de la musique. « Internet te permet de découvrir quasi tout ce qui a été enregistré. Tu peux explorer à ta guise. La clé, après, c’est d’avoir un esprit ouvert. Et d’arriver à le conserver ainsi. Never be bored, c’est une règle importante. Et pas que pour la musique, sourit Picton. Pour la vie aussi je pense. »

Les quatre Londoniens n’ont pour l’instant pas le temps de s’emmerder et ils continuent de tout faire différemment des autres. Les deux premiers morceaux qu’ils ont publiés cette année, Talking Heads (parce qu’il sonnait un peu comme le groupe de David Byrne) et Crow’s Perch, ne figurent pas sur l’album. Une initiative pour le moins étrange en termes de business plan… « Ça offre aux gens plus de musique à écouter, expliquent-ils d’une voix. Quand on a choisi les chansons pour le disque, on a gardé celles qui semblaient le mieux coller. Nous ne sommes pas fans du réchauffé. À notre avis, ils resteront des singles. On est déjà passés à autre chose. On est en train d’y réfléchir. » Mais au fait, ça veut dire quoi Schlagenheim? « Les paroles sont de Geordie mais il s’agit d’un endroit. Un endroit fictif. L’endroit où l’album se passe. C’est un mot cool qui n’a pas de signification particulière. Il n’y a pas d’histoire, de concept, de contexte derrière. » Juste un fameux disque qui a tout pour marquer l’année.

Le 10/10 au Beursschouwburg (Bruxelles).

Black Midi – « Schlagenheim »

Rock. Distribué par Rough Trade/Konkurrent. ****

Black Midi, explosif et imprévisible

Il y a des groupes et des disques qui échappent aux catégorisations. Qui jouent avec les étiquettes et les références, les mastiquent, les avalent, les digèrent pour mieux les recracher à la tronche de ceux qui les écoutent. C’est le cas de Black Midi et de son remarquable premier album Schlagenheim. Ici, c’est Queens of the Stone Age qui a embauché David Byrne (953). Là, le chant hurlé rappelle les meilleurs moments d’At the Drive-In (Near DT, MI). Le post-punk se fracasse sur le math rock… Bruyant, épileptique, esprit et dynamiques free jazz. Bmbmbm a une vibe à la Shellac. Western réveille le fantôme américain d’un Lift to Experience. L’expéditif et décapant Years Ago renvoie à Mike Patton, ses expérimentations et ses coups de sang. Black Midi aime chercher midi à quatorze heures, joue l’effet de surprise permanent, toujours sous haute tension. Manipulant tout ce qui lui passe sous la main pour fabriquer son violent mur du son. Un groupe important est né.

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