Damso périlleux: notre critique de QALF
En trois albums, Damso a récolté notoriété, gloire, succès, et la montre qui va avec. Avec l’événement QALF, il a désormais aussi le temps.
Damso a toujours aimé jouer avec le temps. C’est d’abord une question de musique, le rap en particulier, qui veut ça: placer le bon mot au bon endroit, le bon flow sur la bonne mesure. Mais c’est aussi devenu pour l’intéressé une matière première pour se raconter, un fil narratif à tordre dans tous les sens. « Le temps, j’aimerais pouvoir le manier », racontait-il déjà sur Graine de sablier, en 2016, sur Batterie faible, son premier album officiel. Depuis, c’est en effet ce qu’il n’a cessé de faire.
Cela fait par exemple des années que QALF était attendu. Il était même déjà annoncé sur la pochette de Salle d’attente, la toute première mixtape de Damso en 2014. Entre-temps, le projet n’a cessé de resurgir tout au long des disques qui ont suivi – en 2017, Ipséité teasait déjà sa sortie. Comme si tout avait été prévu depuis le début. Finalement, QALF a atterri sur les plateformes de streaming vendredi dernier: il les a instantanément enflammées…
À quoi ressemble-t-il? On pensait voir débouler un disque constitué d’inédits, comme ceux que Damso a semés sur le Net tout au long de ces dernières années – une sorte de black album à la Prince. Ç’aurait été logique. Fausse piste. QALF n’est pas une compile mais bien un véritable nouvel album. Et une manière de boucler une première boucle. Tout en en ouvrant une nouvelle.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
Depuis Lithopédion (2018), Damso n’a jamais complètement disparu des radars – chacune de ses apparitions, d’Orelsan à Kalash en passant par Nekfeu ou Hamza (ci-dessus), a fait tourner le compteur de vues. Mais il s’est fait plus discret, notamment sur les réseaux. Il a quitté son label – celui de Booba -, pour filer en indépendant et monter sa propre structure. Baptisée 34 centimes, elle est comme un rappel de la galère des débuts – « Personne quand j’étais en hess/34 centimes dans le compte en banque » (Mucho Dinero).
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
Elle est surtout présentée comme la garantie de pouvoir faire désormais ce qui lui plaît. C’est le sens de QALF, acronyme de Qui aime, like et follow. Les autres pouvant zapper sans problème et passer à autre chose. C’est cette liberté qu’a décidé de s’offrir Damso: celle de ne plus devoir rendre de compte à la concurrence, aux réseaux, à une maison de disques, des sponsors ou même son public. Et retrouver ainsi le kick initial, quand il rappait dans les box de garage de BX (ci-dessus). L’album démarre d’ailleurs par le morceau MEVTR, pour « Le meilleur d’entre vous tous réunis« , titre que Damso s’octroyait à ses débuts…
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
À l’essentiel
QALF n’est pas pour autant un retour à la case départ. Avant que la prod de MEVTR ne tape, l’album s’ouvre par des tablas, un chant indien et un piano qui file librement. Comme Damso, désormais émancipé de toutes contraintes. Sur Baltringue, en 2018, il rappait: « Tu fuis la vie, tu fuis la mort, tu te fuis toi-même ». Désormais, le rappeur bruxellois ne veut plus esquiver. Cela veut dire être raccord avec une certaine sérénité, inédite pour lui. Le succès n’a pas toujours été facile à gérer, éreintant, au point de le laisser groggy. Et d’intituler un album Lithopédion, désignant, pour rappel, un « foetus issu d’une grossesse extra-utérine non arrivée à terme, et qui est mort sans avoir été expulsé ». Ce genre d’atmosphère…
QALF n’évacue pas complètement les traits les plus « nwaar ». Par exemple pour rappeler l’actualité tourmentée de ces derniers mois – par deux fois, il glisse une allusion à la mort de George Floyd (sur MEVTR et Bxl Zoo). Mais les passages les plus grinçants sont réduits à quelques phases. Des exercices de styles aussi courts que percutants, qui semblent en réalité être davantage là pour garder la forme que pour vraiment remuer la bile. C’est par exemple Life Life, le grésillant D’ja roulé ou encore le duo avec Hamza, Bxl Zoo. Même là, Damso se marre – la macarena a laissé place à la carioca, autre danse, autre ambiance.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
Ailleurs, Damso se fait plus personnel. Il l’a toujours été, parfois jusqu’à l’impudeur. Mais cette fois, plus question de remuer la vase des sentiments. Il se fait même (presque) lumineux. Ou en tout cas plus apaisé. « J’me ramollis », avoue-t-il sur 911, irrésistible slow r’n’b-funk eighties. Plus besoin de s’étaler sur de longs storytelling ponctués de rimes vicelardes, il se tient à des saillies courtes. Plus très loin de la chanson, c’est comme si Damso avait décidé d’épurer pour aller à l’essentiel. Touchant, il évoque son fils – Deux toiles de mer, pour le coup le seul morceau à dépasser les trois minutes et proposer une structure plus complexe, comme il avait pu le faire par exemple sur Mosaïque solitaire – ; ou sa mère, que la maladie a failli emporter (Rose Marthe’s Love). Ailleurs, le riddim deep électro de Sentimental rappelle la doublette Praliné/JTC de Kalash, tandis que Coeur en miettes lui permet d’inviter Lous & The Yakuza, amie de longue date (« J’ai marque sur le front tel Lous », sur Kietu). Né au Congo, en 1992, William Kalubi de son vrai nom rappe même pour la première fois en lingala – Pour l’argent – avant de s’offrir un duo avec la star Fally sur Fais ça bien. Une manière de mettre l’Afrique sur la carte de QALF, sans glisser dans la zumba de kermesse.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
La sortie de QALF a été précédée de multiples théories. C’est devenu une habitude chez Damso. Comme nul autre, il a su transformer sa musique en un grand jeu de piste, pareil à un film de Christopher Nolan, semant des indices à gauche et à droite, qui permettent d’alimenter les scenarii les plus tarabiscotés. Le dernier en date mise sur une suite imminente donnée à QALF. Ce que l’intéressé n’essaie même plus vraiment de nier…
QALF montre que ce que Damso a perdu u0026#xE9;ventuellement en tranchant, il l’a gagnu0026#xE9; en indu0026#xE9;pendance et en audace.
Soit. En attendant, QALF montre que ce que Damso a perdu éventuellement en tranchant, il l’a gagné en indépendance et en audace. Ce qui n’est pas rien. En particulier par les temps qui courent. C’est une drôle de période pour le rap en général, francophone en particulier. Un genre qui est devenu musique générationnelle, et une véritable cagnotte pour l’industrie musicale. Mais en restant toujours mal compris par les médias généralistes, qui ont du mal à l’aborder autrement que par l’angle polémique – des textes de Freeze Corleone aux accusations d’agressions sexuelles concernant Moha la Squale et Roméo Elvis (extrêmement lourdes dans le premier cas). Au-delà même des controverses, le poids désormais considérable du rap a pu aussi, sinon l’embourgeoiser, en tout cas le plonger dans de nouvelles routines et facilités. C’est pour cela aussi que QALF tombe à pic. Un album qui n’est peut-être pas parfait ou définitif. Mais qui a le grand mérite de recentrer le débat sur la musique, et les libertés qu’elle permet. Voire la rédemption qu’elle peut offrir.
Dans une story Instagram, postée la veille de la sortie, Damso filmait Kinshasa, depuis sa chambre d’hôtel, avant de sourire face caméra, semblant réalisé le chemin parcouru: « Nan, c’est une belle histoire ». Et si elle ne faisait que commencer?
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici